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États-Unis: il faut oublier le soldat Ryan

publié le 16/02/2025 par Jean-Paul Mari

Loi du plus fort, lâchage de l’Ukraine, rapprochement avec Poutine, affaiblissement de l’OTAN, attaques contre la démocratie, soutien ouvert à l’extrême droite en Europe… l’Amérique n’est plus notre alliée

L’électrochoc de Munich

Capitulation ? Pas encore, mais cela vient. Cela s’est passé à Munich, mauvais signe historique, rappel des accords du même nom qui ont vu les Européens céder à Hitler en espérant qu’ils auraient la paix en retour. Quelques jours auparavant, Donald Trump a appelé longuement Vladimir Poutine pour parler de la guerre en Ukraine. Ils se promettent d’y mettre fin en lançant des négociations immédiates et vont « se rendre mutuellement visite dans leurs pays ». Poutine en visite officielle à Washington, donc.

La paix, comment ? Tout de suite après, le secrétaire américain à la Défense, J. D. Vance, déclare qu’un retour aux frontières de 2014 et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN sont des objectifs « irréalistes ». Zelensky, lui, n’a droit qu’à quelques minutes au téléphone avec Trump. Cela s’appelle un lâchage en règle.

Le président ukrainien, sacrifié, à la tête d’un pays épuisé par trois ans de guerre, se débat comme un poisson hors de l’eau, asphyxié, et supplie qu’on ne règle pas le sort de son pays en son absence. Il en appelle à l’Europe et reconnaît finalement que, sans les États-Unis, la guerre serait perdue.

Cordon sanitaire ? Une foutaise !

Dans la foulée, Washington explique aux Européens qu’ils doivent s’occuper davantage de leur sécurité. Une façon de préparer la fin de l’OTAN, dont le parapluie prend l’eau de toutes parts. Au cas où les Européens n’auraient pas compris – bornés, ces Européens ! – J. D. Vance, vice-président américain, met les choses au point précisément à Munich. Vance est un homme dangereux, plus dur encore que Trump. On l’oublie, mais les Américains n’ont pas seulement réélu un fou d’Amérique : ils ont aussi choisi un entourage ultra-réactionnaire, dont J. D. Vance, Elon Musk et bien d’autres. ( voir  « Les libertariens »)

Que dit Vance face aux Européens sidérés ? En substance, que seule la voix du peuple compte, que le cordon sanitaire contre l’extrême droite et les pro-nazis est une foutaise et que la principale menace vient de… l’intérieur de l’Europe, entendez : la démocratie telle qu’elle est conçue par les Européens, qui étouffe « la liberté d’expression ». Au passage, il la moque : « Si la démocratie américaine peut survivre à dix ans de Greta Thunberg, vous pouvez bien survivre, à votre tour, à quelques mois d’Elon Musk… »

Un soutien total à l’extrême-droite en Europe

Juste après le discours, J. D. Vance s’entretient avec la candidate de l’extrême droite allemande Alice Weidel, tout en refusant de rencontrer l’actuel chancelier Olaf Scholz.

Face à cette déclaration claire de guerre idéologique à l’Europe, les représentants européens sont restés paralysés. La haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, avance timidement : « Nous ne voulons pas nous quereller avec nos amis. » Comme si l’Europe n’arrivait pas, ou ne voulait pas, prendre conscience de la nouvelle réalité. La réalité contemporaine n’est plus l’histoire. Le ressort de la mémoire est cassé, et une partie du monde et de ses dirigeants ont oublié le nazisme et l’Holocauste, ou n’en ont plus grand-chose à faire.

Deux parrains main dans la main

Face à face aujourd’hui, et bientôt main dans la main, deux dirigeants puissants qui se comportent en parrains. On connaissait Poutine, ses mensonges, ses promesses sans suite, sa capacité à fouler aux pieds les accords qu’il vient de signer, et ses menaces. On redécouvre Trump, en parrain endurci. Il abat ses cartes : installez vos usines chez moi ou vous paierez des droits de douane extravagants (comme les hommes d’Al Capone : « Achetez ma bière ou je détruis votre bar »). Vous voulez la couverture militaire de l’Amérique ? Au diable l’OTAN, cela se paie (en Sicile, on appelle cela le « pizzo »). L’Amérique a payé pour soutenir l’Ukraine en guerre, le pays doit nous rembourser en terres rares… (Vous devez de l’argent au patron, vous feriez mieux de rembourser…), etc.

Oublier le soldat Ryan

Oui, les États-Unis, « nos alliés américains », ont changé. Il faut oublier le soldat Ryan. L’Europe peut crier à l’aide, personne ne viendra. Poutine l’a compris et se prépare à avaler une partie de l’Ukraine. Il a face à lui, miracle, un dirigeant qui ne pense qu’à faire des affaires. Et après ? Croire à la paix par une reddition partielle est une illusion. Après l’Ukraine, ce ne sera pas la Pologne : Poutine est dangereux, mais pas inconséquent. Après, ce sera sans doute à l’est : le Kazakhstan, la Géorgie au sud et la Moldavie plus à l’ouest. Et personne ne réagira… Mourir pour Chișinău ? Non, merci. Les États baltes, sur la liste suivante, l’ont bien compris, notamment la Lituanie, qui vient de doubler son budget militaire, passant à 6 % de son PIB.

La fin d’un logiciel géopolitique

Et l’Europe, l’Europe, l’Europe ! À voir les réactions, ou plutôt l’absence de réaction, secouée en son for intérieur par les assauts de l’extrême droite en Hongrie, en Italie, en Slovaquie, aux Pays-Bas et même en Allemagne, elle a bien du mal à comprendre ce changement brutal de logiciel. Et à réaliser que ce n’est plus John Kennedy ou Obama qui occupent la Maison-Blanche, mais un Elon Musk s’exprimant devant la presse, debout, casquette sur la tête et gamin juché sur ses épaules, aux côtés d’un parrain blond populiste, assis sur sa chaise, plus avide d’immobilier et de deals commerciaux que de géopolitique, dont on n’est pas sûr qu’il ait vraiment compris les monstres qu’il est en train d’enfanter.


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