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Ces signes d’alarme qu’on n’a pas voulu voir (1)

publié le 15/03/2025 par Pierre Feydel

De quoi le trumpisme est-il le nom ? Pas d’un conservatisme radical. Version du fascisme années 30 ou autre chose? L’alarme, pourtant, avait été donnée

Trump : fasciste ou populiste ?

Robert Paxton est un historien américain bien connu des Français. Son livre paru en 1973, « La France de Vichy », a provoqué quelques remous dans notre pays. Ce professeur à l’université Columbia de New York y analysait la façon dont des forces politiques françaises avaient favorisé, voulu, la collaboration avec les nazis. Le « vichysme » était bien une création nationale et non pas un régime imposé par les nazis. Le 6 mars 2017, dans une tribune publiée par Le Monde , l’universitaire, à la retraite depuis dix ans, prônait la modération.

Non, estimait-t-il, Trump n’est pas un fasciste. Il a enseigné l’histoire pendant trente ans et s’est spécialisé dans l’extrême droite européenne au XXᵉ siècle. Il juge le qualificatif fasciste galvaudé. Mais il en voit des tendances dans le trumpisme. Une façon d’accuser les minorités et les étrangers des malheurs du pays lui paraît significative. La hargne verbale et la mâchoire crispée de Donald Trump ont pour lui des accents mussoliniens.

L’historien évoque la marche des chemises noires mussoliniennes sur Rome en 1922, ou les violentes manifestations antiparlementaires à Paris en 1934

Un changement radical après l’assaut du Capitole

Mais alors que le fascisme réclame un État fort sans liberté individuelle, il constate que Trump et sa bande cherchent surtout à soumettre l’intérêt général aux intérêts particuliers des plus riches. À l’époque, il conclut : « Les fascistes, ce sont toutes les personnes que vous n’aimez pas. » Dans le New York Times Magazine, fin octobre 2024, Robert Paxton explique pourquoi il a changé d’avis. À 92 ans, à la retraite, il s’est éloigné de la vie publique sans jamais se désintéresser de l’actualité. Le 6 janvier 2021, dans son appartement de Manhattan à New York, devant son écran de télévision, à la fois hypnotisé et horrifié, il assiste à l’émeute qui s’empare du Capitole. « Je n’imaginais pas une telle chose possible », avoue-t-il. Il évoque la marche des chemises noires mussoliniennes sur Rome en 1922, ou les violentes manifestations antiparlementaires à Paris en février 1934.

Une tentative de coup d’état

Et là, dans cette tentative de coup d’État à Washington, l’historien voit l’un des stigmates du fascisme. Il découvre une mutation du trumpisme vers l’utilisation d’une forme de violence révolutionnaire. L’opinion de Robert Paxton a du poids dans le monde américain des idées, parmi tous ceux qui essayent de caractériser le trumpisme. D’ailleurs, aux États-Unis, son ouvrage sur la France de Vichy a connu un regain d’intérêt ces derniers temps, comme si certains y voyaient une analogie avec le trumpisme. D’autres historiens américains contestent ce point de vue. Les comparaisons, c’est vrai, peuvent empêcher de distinguer les spécificités. D’autres historiens, à leur tour, se sont lancés dans l’examen du trumpisme. Ils ont tenté de disséquer l’idéologie, si l’on peut définir ainsi ce qui anime aujourd’hui le Parti républicain, pour voir s’ils y trouvaient tout ou partie des ingrédients définissant le fascisme.

Une révolution, pas une radicalisation

Car en fait, il ne s’agit pas d’un glissement du conservatisme américain vers encore plus de radicalité. C’est bien une révolution, avec tentative de coup d’État telle que celle du 6 janvier 2021. L’historien français Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, pense que les traits caractéristiques sont là. Les premières décisions du second mandat de Trump ne sont pas simplement un durcissement drastique des idées de la droite américaine. Elles vont beaucoup plus loin. La destruction de l’appareil d’État, l’expulsion d’immigrés en situation irrégulière, une attaque contre toutes les évolutions sociétales des dernières années sont autant de preuves. La société américaine semble pour le moment tétanisée devant toutes ces agressions, même si, ici et là, des réactions commencent à se faire jour.

La fascination du président Trump pour Adolf Hitler qui « n’aurait pas fait que de mauvaises choses »

Les militaires avaient pourtant donné l’alerte

Pourtant, des hommes avaient prévenu, des soldats de haut rang, peu susceptibles de gauchisme exacerbé. Le général du corps des Marines John Kelly, secrétaire à la Sécurité intérieure puis chef de cabinet du président lors du premier mandat, fait état publiquement, à treize jours de la présidentielle de 2024, de la fascination du président pour Adolf Hitler qui « n’aurait pas fait que de mauvaises choses ». L’officier quittera la Maison-Blanche le 8 novembre 2018. Il qualifie Trump de « fasciste ». Dans son livre « War », le journaliste Bob Woodward cite le général Mark Milley, ex-chef d’État-Major, qui traite Trump de « fasciste total » et « d’homme le plus dangereux du pays ». À bien des égards, même si ces qualificatifs ne sont pas tout à fait adéquats, le monde était prévenu.


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