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Etats-Unis. Les symptômes du mal (2)

publié le 18/03/2025 par Pierre Feydel

Culte de la personnalité, atteinte à la séparation des pouvoirs, désignation de boucs émissaires…des stigmates fascisants gangrènent la démocratie américaine. Jusqu’où ?

« Faire la fête comme si on était en 1933 »

L’historien Timothy Snyder, professeur à l’université Yale, auteur de « Terres de sang : l’Europe entre Hitler et Staline », écrivait, avant la seconde élection de Donald Trump, dans une tribune au « New Yorker » : « Trump a toujours été une présence, non une absence ; la présence du fascisme ». « Philosophie magazine », qui rapporte cette citation dans son édition du 29 janvier dernier, rappelle divers soutiens dont a bénéficié le leader républicain, qui vont dans ce sens : David Duke, suprématiste blanc, membre éminent du Ku Klux Klan ; Richard B. Spencer, agitateur d’extrême droite qui, à la première élection de Trump, voulait « faire la fête comme si on était en 1933 » (date de l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne) ; ou encore des personnalités de l’American Nazi Party. Ces extrémistes pèsent peu dans l’opinion américaine. Trump, bien entendu, se défend de toute complicité avec eux.

Moi, moi, moi… et Dieu

Il est plus intéressant de chercher ce qui, dans le trumpisme en général, serait des marqueurs véritablement fascistes. Le culte de la personnalité en serait sûrement un. Depuis la tentative d’assassinat, lors de la campagne présidentielle en Pennsylvanie le 13 juillet 2024, Donald Trump est devenu plus encore pour certains de ses partisans « l’envoyé de Dieu » chargé de sauver les États-Unis. Pour eux, le fait qu’il ait échappé au pire en est le signe flagrant. Il a lui-même attribué sa survie « à la grâce de Dieu tout-puissant ». De surhomme, le voilà désormais prophète, doté d’une personnalité divine. Impossible donc de le contester. Ces fans priaient pour lui ; désormais, ils lui adressent directement leurs prières. Ce genre de culte a bénéficié à la plupart des dictateurs. Mais peu ont été, à ce point, l’objet d’une sorte de ferveur quasi religieuse.

Attaque frontale contre la séparation des pouvoirs

Bien entendu, le chef, le Führer, le Duce, celui qui conduit le peuple vers la félicité, ne saurait supporter la moindre entrave, le moindre obstacle, le moindre intermédiaire entre sa personne et son peuple bien-aimé. Il ne peut souffrir qu’un Congrès transformé en chambre d’enregistrement et des juges uniquement chargés d’exécuter ses décrets. Les parlementaires républicains se sont quasiment tous ralliés. L’opposition démocrate paraît frappée de mutisme. Déjà, nombre de magistrats fédéraux peu complaisants ont été virés. Et ceux qui ont pris des décisions opposées au massacre de USAid, demandé à Elon Musk de réembaucher des fonctionnaires limogés ou de rétablir des budgets supprimés, ne sont pas du tout sûrs que Trump mettra en œuvre leur décision. L’exécutif a pris le pas. La séparation des pouvoirs qui garantit l’équilibre démocratique a du plomb dans l’aile.

Désigner des boucs émissaires

Le fascisme a aussi besoin de boucs émissaires. Le trumpisme a les siens : ce sont les immigrés illégaux. Donald Trump menace de les expulser ou de les emprisonner. La chasse est ouverte. Le président Trump les a accusés d’« empoisonner le sang » de la nation américaine. Des propos assez semblables à ceux que tenaient les nazis sur les Juifs. D’une manière générale, les immigrés sont accusés d’être des criminels que leur pays préfère exporter sur le territoire de l’Union. Lors de la campagne électorale, le candidat républicain, lors d’un débat avec Kamala Harris éberluée, avait même accusé des immigrés haïtiens à Springfield (Ohio) de manger les animaux domestiques. La polémique qui suivit hésitait entre le grotesque et le ridicule. Elon Musk et J. D. Vance ont, bien entendu, relayé les propos de leur maître.

L’esprit critique n’est qu’une trahison ! A bas la raison et l’intellect !

Les immigrés, sur fond de racisme et de xénophobie, ne sont pas les seules cibles du trumpisme. Il faut y ajouter les milieux universitaires, les intellectuels soupçonnés de wokisme systématique, les médias qui osent émettre des réserves quant à la politique du pouvoir, les scientifiques, etc. Tous ceux qui font preuve de raison sont contestés ou rejetés. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, il vaut mieux croire que savoir. Cette attitude est typique des régimes autoritaires, fascistes compris.

Selon Umberto Eco, philosophe, pionnier de la sémiotique (l’étude des signes) et écrivain, le fascisme primitif italien détestait l’esprit critique qu’il considérait comme une trahison. C’est aussi le cas des trumpistes. Aujourd’hui, le nationalisme populiste teinté d’idéologie libertarienne qui gouverne les États-Unis imprime déjà sa vilaine marque. Il pollue gravement la démocratie américaine. La question est : jusqu’où ?


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