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FIGRA 2023 documentaires : la vie pour de vrai

Bloc-Notes Edito évenements publié le 03/06/2023 | par Jean-Paul Mari

Que fait-on quand on « surfe » sur les images d’internet ? Une balade sur You Tube fait défiler vidéos et films de la carpe et du lapin. Ici, des images d’actus, la politique, un fait-divers, là, une minute de film d’animation historique, un combat de catch, deux minutes d’horreur de la guerre en Ukraine flirtant avec l’invasion fictive de zombies violets dévorant le monde.. Surfer, naviguer. Faux. On ne navigue pas, on dérive.

Les documentaires, ici, à Douai, au FIGRA, ne parlent que d’une seule chose : le réel ? Qu’est-ce que le réel ? Bonne question. Disons le réel apparent, celui qu’on peut fixer sur la pellicule, numérique, appréhender, fouiller et, finalement, interroger. L’affirmation que tout ne se vaut pas, qu’un film d’horreur n’est qu’une fiction de carton, mais que la terreur ou l’humanité, si elle est saisie, vous bouleverse comme un gamin qui sait encore pleurer.

Les docs au FIGRA sont classés par catégories. Il y a les plus de 40’, les moins de 40’, Autrement vu et les autres. Marco Nassivera, rompu à l’information sur Arte, est président du jury Terre d’Histoires. Il se dit frappé par la capacité de renouvellement de thèmes pourtant déjà abondamment traités. Le secret ? Certainement pas le spectaculaire, une musique envahissante, des commentaires prolifiques ou les sujets en vogue, conçus pour plaire, réalisés par des auteurs-courtisans.

D’abord et toujours , une histoire, sa force, et la capacité à la raconter. Ici, l’Histoire n’est pas le passé, mais un laboratoire de recherche sur la mémoire. Et on y découvre des trésors de nouveautés, comme cette enquête sur l’incendie du Reichstag, la place des femmes — médecins ou gardes des camps — dans le nazisme ou cette contre histoire des cow-boys noirs dans l’Amérique.

Dans la catégorie reine, celle des plus de 40’, un film, un moment, suffit à faire pleurer un vieux briscard du reportage comme Frédéric Tonolli, président du jury. Dans « Retour à Raqqa », un ex-otage revient sur les lieux de sa détention. Il a vécu l’enfer, l’humiliation, la terreur et vu un de ses compagnons se faire décapiter. Toutes les raisons de se plaindre, non ?

Non. Il retrouve une population écrasée – l’enfer au quotidien – et souffle : « qui suis-je pour me plaindre face à tout ce qu’ils vivent, eux ? »Le jury, qui avale quatre films par jour, sort sonné de la projection. Besoin de rester ensemble, de prendre un verre, de garder et partager ce moment de dignité, de fraternité, d’amour.

Après cela, on considère d’un œil distrait les docs au commentaire appliqué et indicatif sur les sujets compote de pommes à la mode, le réchauffement climatique, la pollution, l’Ukraine ou les femmes. Les thèmes sont bons, mais les esprits sont dociles, appliqués à faire plaisir aux roitelets des chaines qui pèsent les sujets comme des produits de tête de gondole.

Le doc, vrai, est fait par ceux qui donnent sans compter, combattent, s’engagent, se livrent, bien ou mal. Quand éclate la sincérité, tout est dit. Qu’est-ce qu’un documentaire ? Pas celui qui pointe une guerre « juste »,les bons et les méchants, mais celui qui fouille notre monde, ses hommes, nos craquelures.

Celui qui interroge : «  Au fond, qui es-tu ? », «  Comment es-tu vraiment au moment de mourir ? » Celui qui cherche l’humanité, dans les profondeurs, au creux de sa faiblesse, au pire moment de son histoire. La vie, oui, mais pour de vrai.


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