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Affaire Matzneff : l’écrivain Jérôme Garcin démissionne du Renaudot.

publié le 05/01/2020 | par grands-reporters

Depuis la publication du « Consentement », début janvier, où Vanessa Springora raconte de façon détaillée le comportement pédophile de l’écrivain Gabriel Matzneff, de nombreuses critiques se sont concentrées contre le jury Renaudot qui, emmené par Christian Giudicelli, lui avait décerné son prix de l’essai en 2013.


Jérôme garcin

Jérôme Garcin, qui dirige les pages Culture de « l’Obs » et anime « le Masque et la Plume » sur France inter, avait intégré ce jury en 2011, en même temps que Frédéric Beigbeder. Dans la lettre de démission qu’il a adressée cette semaine à ses camarades, il explique avoir « voulu attendre que la tempête passe pour les avertir » de sa décision. Puis en précise les raisons ainsi :
“« Je ne pars pas seulement en raison de l’affaire Springora (après tout, même si j’ai refusé de voter pour Matzneff, je n’ai pas pour autant quitté le jury après sa consécration), mais aussi pour les vices de forme qu’elle a révélés, notamment la recherche des “coups”, au détriment de la littérature, et l’aberrante constitution d’un jury à 90% masculin. Et j’ose déjà espérer que ma place sera occupée par une femme. »”
A noter : le jury du prix Renaudot se compose aux dernières nouvelles de Frédéric Beigbeder, Dominique Bona, Georges-Olivier Châteaureynaud, Louis Gardel, Frantz-Olivier Giesbert, Christian Giudicelli, J.M.G. Le Clézio et Jean-Noël Pancrazi.

Gabriel Matzneff a reçu le prix Amic de l’Académie française en 2009, le prix Renaudot en 2013 et le prix Cazes en 2015.

TRENTE ANS DE SILENCE
Pédophilie :
– Voir le dossier complet publié en 1993 dans le Nouvel-Observateur par Jean-Paul Mari: « L’enfant et les crocodiles ».
– Lire (ci-dessous) les pages consacrées à Gabriel Matzneff dans «Le prix d’un enfant» (Marie-France Botte et Jean-Paul Mari, Editions Robert Laffont). Dès novembre 1993, nous dénoncions, écrits de Matzneff à l’appui, le cynisme et la pédophilie affichée de l’écrivain, en France comme à l’étranger. L’ouvrage fut reçu, sur cet aspect, dans la quasi-indifférence générale, souvent dans la gêne, parfois avec hostilité.

Ci-dessous, les extraits de ce livre – page 222 à 225 – publié il y a maintenant près de trente ans:

 

Extrait de « Le prix d’un enfant », Marie-France Botte et Jean-Paul Mari, Éditions Robert Laffont, Collection « Vécu », publié en novembre 1993

 

Réfugié en Italie, l’écrivain Gabriel Matzneff sort de son silence.

Le parquet de Paris a ouvert contre lui, début janvier une enquête préliminaire pour viols sur mineurs de moins de 15 ans, après la parution du livre de l’éditrice Vanessa Springora. Dans Le Consentement elle décrit sa relation sous emprise avec l’écrivain dans les années 1980, débutée quand elle avait 13 ans.

L’écrivain précise ne pas avoir « envie de lire » le livre de Vanessa Springora. « Je ne dirai jamais rien contre elle car c’est une personne lumineuse », ajoute-t-il. L’attirance revendiquée de Gabriel Matzneff, aujourd’hui âgé de 83 ans, pour les « moins de 16 ans » et pour le tourisme sexuel avec de jeunes garçons en Asie, qu’il a racontée dans des livres, a pendant longtemps été tolérée dans le monde littéraire parisien.

« Un touriste, un étranger, ne doit pas se comporter comme ça. On doit, adulte, détourner la tête, résister à la tentation. Naturellement je regrette, de même que si je fais quelque chose qui n’est pas bien, je le regrette », dit-il. « A l’époque », fait-il toutefois valoir, « on parlait de détournement de mineur, d’incitation du mineur à la débauche, d’atteinte à la pudeur… Mais jamais personne ne parlait de crime ».

Et d’ajouter : « C’était il y a plus de quarante ans ! (…) Vous étiez là comme voyageur et vous aviez des garçons et des filles jeunes qui vous draguaient et vous sautaient dessus, sous l’œil bienveillant de la police ». 

 

PS: Matzneff bénéficie du  versement d’une alocation  au titre du soutien aux artistes nécessiteux, soit 6 000 euros par an, à peine plus que ce que coûte son séjour en Italie. L’homme bénéficie également d’un logement social, dans le Ve arrondissement, attribué en 1994 sous la mandature de Jacques Chirac. Depuis le scandale, la Ville de Paris a fait savoir qu’elle « ne dispose aujourd’hui d’aucune base légale pour demander le départ de M. Matzneff, celui-ci étant en dessous du plafond de revenus requis et ayant plus de 65 ans ».

 

Matzneff vu par Matzneff ( avant d’être poursuivi par la justice).

Ce texte de Matzneff, écrit par lui-même à la troisième personne, est paru en 1989 aux Éditions François Bourin dans le livre de Jérôme Garcin Le Dictionnaire : Littérature française contemporaine.

Voici donc ce qu’il écrivit en parlant de lui-même dans les deux éditions (respectivement pages 296-298 et 269-270 :

« Depuis son divorce d’avec Tatiana et son éloignement de l’Église, l’histoire de sa vie est celle de ses amours. Ses amantes les plus passionnées ont souvent des prénoms qui d’achèvent par un « a » :Francesca, Nadia, Maria, Zohra, Hadda, Vanessa… ; mais ce n’est pas une règle absolue, comme le prouvent Marie-Élisabeth, Pauline, Anne, Élisabeth, Agnès, Deniz, Marie-Agnès, Isabelle, Marie-Laurence, Pascale, Dominique, Betty, Emmanuelle, Thanh, Géraldine, Brigitte, Thuy, Béatrice, Julie, Lorie, Anne-Chantal, Edwige, Marie, Virginie, Manon, Catherine, Marie-Pascale, Lauriane, Sabine, Christine, Muriel, Martine, Amélie, Véronique, Diane, Hélène… et tant d’autres qui toutes figurent dans son journal intime. Certaines d’entre elles ont, après sa mort, publié des souvenirs qui attestent qu’il a laissé dans leurs cœurs une trace lumineuse. Les petits garçons, Olivier (douze ans), Richard (quatorze ans), Nelson (treize ans), etc., qui ont traversé la vie (c’est-à-dire le lit) de Matzneff n’ont pas, eux, écrit de souvenirs.   […] 

Parisien durant les mois d’été, globe-trotter le reste de l’année, il affectionnait dans sa jeunesse les rivages du Mare Nostrum : l’Espagne, l’Italie, le Maghreb, l’Égypte, la Syrie… Passé quarante ans, ce fut surtout en asie que le mena son tempérament nomade : Ceylan, la Thaïlande, les Philippines… Il aimait spécialement Manille. Il y fut très heureux. Il s’y donna la mort.

Magnanime, l’église orthodoxe lui accorda des funérailles religieuses. Nombreuses furent ses ex-jeunes amantes qui honorèrent cette belle cérémonie de leur présence et de leurs larmes. » Fin de citation

 

A lire aussi sur le silence complaisant voire la défense du milieu littéraire: « Si Josyane Savigneau n’existait pas, il faudrait l’inventer »

par Pierre Jourde ( Publié dans BIBLIOBS le 8 janvier 2020)

Le livre de Vanessa Springora:  » Le consentement »

Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin «  impérieux  » de la revoir.
Omniprésent, passionné, G. parvient à la rassurer : il l’aime et ne lui fera aucun mal. Alors qu’elle vient d’avoir quatorze ans, V. s’offre à lui corps et âme. Les menaces de la brigade des mineurs renforcent cette idylle dangereusement romanesque. Mais la désillusion est terrible quand V. comprend que G. collectionne depuis toujours les amours avec des adolescentes, et pratique le tourisme sexuel dans des pays où les mineurs sont vulnérables.
Derrière les apparences flatteuses de l’homme de lettres, se cache un prédateur, couvert par une partie du milieu littéraire. V. tente de s’arracher à l’emprise qu’il exerce sur elle, tandis qu’il s’apprête à raconter leur histoire dans un roman. Après leur rupture, le calvaire continue, car l’écrivain ne cesse de réactiver la souffrance de V. à coup de publications et de harcèlement.

«  Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence  : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre  », écrit-elle en préambule de ce récit libérateur.Plus de trente ans après les faits, Vanessa Springora livre ce texte fulgurant, d’une sidérante lucidité, écrit dans une langue remarquable. Elle y dépeint un processus de manipulation psychique implacable et l’ambiguïté effrayante dans laquelle est placée la victime consentante, amoureuse. Mais au-delà de son histoire individuelle, elle questionne aussi les dérives d’une époque, et la complaisance d’un milieu aveuglé par le talent et la célébrité.


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