Gaza, ville anéantie
Depuis deux ans, la bande de Gaza est interdite aux reporters étrangers. Quand la porte s’entrouvre, on découvre une ville rayée de la carte. Invivable
Voilà deux ans, depuis le 7 octobre 2023, que Gaza est interdite aux reporters étrangers. Alors, quand la porte s’entrouvre, le journaliste est sidéré. Témoin ce reportage de l’envoyé spécial du Monde, Luc Bronner, dans Gaza, autorisé à pénétrer dans la partie de l’enclave contrôlée par Israël ou interdite aux Palestiniens sous peine de mort, soit aujourd’hui 82 % du territoire.
Entendons-nous bien : la porte n’était qu’entrouverte. Trois petites heures seulement pour une quinzaine de médias internationaux, enfermés dans un véhicule israélien, sous contrôle. Objectif : montrer aux médias des installations souterraines du Hamas sous l’aile de l’hôpital jordanien. Sauf que…
Le reporter, d’expérience, est d’abord et surtout abasourdi par ce qu’il voit : une ville anéantie et déserte, un no man’s land habité de gravats. Il cherche les mots pour décrire : « Aussi loin que porte le regard règnent désolation, amoncellement de gravats, maisons pulvérisées… les fantômes de quartiers entiers… les destructions paraissent irréelles. » Il cherche à s’appuyer sur des chiffres : 78 % des immeubles détruits ou endommagés depuis deux ans, 88 % des commerces et des entreprises, 97 % des écoles, 77 % des routes… soit 61 millions de tonnes de débris.
Mais les chiffres ont leurs limites. Comment imaginer 61 millions de tonnes ? Les yeux du reporter, eux, disent le réel : « Des chiens errent. Des corbeaux regardent les véhicules militaires. Mais il n’y a plus de traces d’habitants ce vendredi après-midi. » Un no man’s land, au sens littéral.
66 000 Palestiniens tués, dont beaucoup d’enfants, et 170 000 blessés. Au total, l’armée israélienne a déversé, au bas mot, 70 000 tonnes de bombes sur cette minuscule enclave.
Le présent du reporter nous renvoie au passé historique.
D’abord celui des villes bombardées.
Berlin : 68 000 tonnes de bombes larguées par les Alliés, presque autant que sur Gaza. 39 millions de tonnes de débris, moins que Gaza. 45 000 civils tués, plus qu’à Gaza. La capitale du Reich comptait plus de quatre millions d’habitants ; il en reste la moitié, mais la ville n’est pas déserte.
Dresde : un million de personnes ce 15 février 1945. 4 000 tonnes de bombes incendiaires en une nuit. Une tempête de feu. 45 000 civils tués par les bombardements. La « Florence de l’Elbe » est rasée. Les trois quarts de la population fuient. 250 000 personnes habitent toujours les décombres.
Ces villes affreusement bombardées ne sont pas des no man’s land. D’autres sont intactes mais désertes.
Phnom Penh, avril 1975. La folie des Khmers rouges envoie les citadins à la campagne. Le début de l’autogénocide khmer. Nous avons tous en mémoire ces images d’une ville abandonnée, totalement vide : ces portes qui battent au vent, ces papiers qui volent le long des avenues fantomatiques. Pas une maison détruite, mais pas âme qui vive.
Gaza, octobre 2025. L’incursion rapide d’un reporter dans la bande de Gaza nous révèle ce que nous savions déjà mais que nous n’avions pas « vu ». La bande de Gaza, à 80 %, est une ville, une zone rasée et déserte. Deux millions et demi d’habitants, 65 000 morts et 170 000 blessés : un habitant sur dix a été tué ou blessé. Plus détruite que Berlin, plus meurtrière que Dresde, aussi vide que Phnom Penh, Gaza réunit tous les maux, elle qui est à la fois rasée et déserte.
Ceux qui ont essayé de le dire et de le montrer, les journalistes palestiniens, en ont payé le prix : plus de 210 reporters tués, voire ciblés. Une parole qu’Israël a balayée du revers de la main en stigmatisant des journalistes locaux forcément partiaux, voire « complices des terroristes ».
On savait déjà pourquoi, mais on le vérifie : pourquoi le gouvernement de Netanyahou et son armée ont pris tant de soin à interdire l’entrée des correspondants étrangers à Gaza.
Pour empêcher toute comparaison avec les guerres du passé, leur horreur et leurs crimes. Pour éviter, plus simplement, qu’un reporter, sidéré et choqué, écarquille les yeux devant le spectacle de Gaza aujourd’hui. Anéantie et invivable.

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