Génocide à Gaza : le poids d’un mot
Peut-on qualifier le massacre de civils perpétré à Gaza par l’armée israélienne de génocide ? Un crime défini par un Juif ayant échappé lui-même à ce même crime…

Une accusation lourde de sens
Peut-on qualifier le massacre de civils perpétré à Gaza par l’armée israélienne de génocide ? Dès le début de l’opération, le mot a été employé alors même que la volonté de nettoyage du territoire ne paraissait pas encore manifeste, alors même que les victimes, rapidement très nombreuses, paraissaient surtout devoir être attribuées à des dommages collatéraux inhérents à tout bombardement massif. Depuis plusieurs semaines, les accusations de génocide sont de plus en plus nombreuses de la part de personnalités politiques, de partis qui jusque-là se retenaient. Mal nommer les choses, écrivait Albert Camus, c’est ajouter aux malheurs du monde. Certes, mais ne pas les nommer… L’attitude du gouvernement israélien, les glapissements de l’extrême droite au pouvoir à Jérusalem, les témoignages de plus en plus nombreux des atrocités vécues par les Gazaouis ont exaspéré les tensions, y compris à l’intérieur même d’Israël.
Définir le génocide selon le droit international
Au-delà des polémiques, il faut sans doute revenir à la définition même de ce concept du droit international pénal et à l’histoire de sa genèse. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est un traité de droit international approuvé à l’unanimité le 9 décembre 1948 par la résolution 260A (III) de l’Assemblée générale des Nations unies. Elle est entrée en vigueur le 12 janvier 1951. Que dit-elle ? Article 1 : « Le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens. » Article 2 : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe. » Les articles suivants précisent qui peut être poursuivi pour génocide, et les juridictions qualifiées.
Raphaël Lemkin, le juriste à l’origine du concept
C’est un juriste juif polonais qui a inventé le mot de génocide. Rafał (Raphaël) Lemkin est né dans ce qui est aujourd’hui la Biélorussie. Son père est un paysan. Mais sa mère, cultivée, lectrice vorace, peintre, linguiste et philosophe, va s’occuper activement de l’éducation de ce fils dont elle a décelé les talents. À 14 ans, Rafał parle une dizaine de langues étrangères, dont le français, l’espagnol, l’allemand, l’hébreu… En 1915, il est au lycée et s’intéresse au génocide arménien perpétré par les Turcs. C’est à l’université Jean-Casimir de Lwów, alors polonaise, aujourd’hui la Lviv ukrainienne, après avoir été la Lemberg austro-hongroise, qu’il devient docteur en droit. Puis il approfondit ses connaissances en philosophie à l’université allemande d’Heidelberg. Nommé procureur à Varsovie, il est chargé de rédiger le nouveau code pénal polonais. Mais le droit international pénal va vite le rattraper. Il doit présenter au Conseil juridique de la SDN, l’ancêtre de l’ONU, en 1933, un texte sur le « crime de barbarie ». Son gouvernement lui interdit de sortir de Pologne. Mais le document est lu en son absence. On y discerne les prémices du concept de génocide.
Au-delà des meurtres
Sa réputation ne cesse de grandir dans les milieux juridiques internationaux. La Seconde Guerre mondiale éclate. Mobilisé, il défend Varsovie, échappe à la captivité et émigre en 1941 aux États-Unis. Quarante-neuf membres de sa famille disparaissent dans les camps. Lemkin enseigne à l’université Duke en Caroline du Nord. Il devient conseiller de la délégation américaine au tribunal de Nuremberg. En 1944, dans son ouvrage « Axis Rule in Occupied Europe » (La règle de l’Axe dans l’Europe occupée), apparaît pour la première fois le mot génocide. Les délégations françaises et britanniques emploient le mot lors de leurs interventions à plusieurs reprises lors du procès des dignitaires nazis. Dans un article paru en 1945, Lemkin donne une définition encore plus large du génocide. Il évoque les famines intentionnellement provoquées, la dégradation morale, le travail forcé. Le meurtre n’est pas pour lui l’acte principal qui caractérise le génocide. Rafał Lemkin meurt à New York en 1959. Il ne considérait pas son œuvre comme achevée et rêvait d’un système de prévention des génocides.
Les génocides reconnus par la communauté internationale
Aujourd’hui, l’ONU a reconnu trois génocides : celui des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915-1916 ; celui des Juifs par les nazis de 1941 à 1945 ; celui des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994. La Cour pénale internationale y rajoute celui des deux millions de Cambodgiens massacrés par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 et celui de Srebrenica, où 8 000 hommes et enfants bosniaques musulmans furent exterminés par l’armée de la République serbe de Bosnie. Bien d’autres massacres pourraient, au cours de l’histoire, mériter le triste qualificatif de génocide. Mais on imagine difficilement qu’Israël puisse rajouter son nom à cette effroyable liste. Que ce pays puisse être condamné au nom d’un crime de masse défini par un Juif ayant échappé lui-même à ce même crime…

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