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Guerre au Kivu : la malédiction du coltan

publié le 01/02/2025 par Jean paul de Gaudemar

Smartphones, avions, ordinateurs : derrière ces objets du quotidien se cache une guerre pour le coltan. Au Kivu, des millions de vies sont sacrifiées pour se l’accaparer

Un minerai stratégique

Comment comprendre cette guerre interminable se déroulant au Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC)? Les causes sont multiples, d’abord politiques et idéologiques, sinon surtout raciales. Elles sont aussi économiques. Le Kivu est en effet l’un des plus importants producteurs au monde de coltan, dont il abrite 50 à 80 % des réserves mondiales. Composé de colombite et de tantalite, il fournit deux métaux stratégiques : le niobium et surtout le tantale. Ce dernier est essentiel à la fabrication de condensateurs électroniques et d’alliages utilisés dans l’aéronautique et les technologies de pointe. Il se négocie autour de 50 USD/kg. En 2000, le tantale a atteint jusqu’à 380 USD par livre, une aubaine pour les trafiquants de toutes sortes, légaux ou illégaux. La conquête ou du moins la maîtrise de ces gisements est donc désormais un enjeu majeur.

Une foule de protagonistes

C’est précisément le 23 janvier 2025, jour symbolique, que le M23  a lancé une nouvelle offensive, pour s’emparer de Saké, une bourgade située à une vingtaine de kilomètres de Goma et menacer ainsi la capitale du Nord-Kivu. Objectif : s’assurer du contrôle de la région. La dénomination du M23 fait référence à un accord du 23 mars 2009 signé entre le gouvernement congolais de l’époque et un groupe d’officiers rebelles. Mécontents du résultat, les rebelles ont créé le mouvement et lancé une nouvelle rébellion au Kivu, qui avait conduit – déjà – à la prise de Goma en 2012. Un nouvel accord de paix avec l’appui de la communauté régionale des Grands Lacs et de l’ONU, fait se retirer le M23 de Goma.

Dès 2021, le mouvement reprend ses offensives avant de lancer cette dernière offensive du 23 janvier 2025 le conduisant à nouveau vers Goma. Principal ennemi de la RDC, ce mouvement rebelle est depuis longtemps soutenu logistiquement et armé par le Rwanda. Plusieurs enquêtes récentes de l’ONU en ont apporté la preuve et les dirigeants rwandais ne le cachent plus vraiment. De l’autre côté, la RDC et ses forces armées, est appuyé  par un allié officieux, un autre mouvement rebelle (les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda ou FDLR), un groupe comportant de nombreux anciens responsables du génocide Tutsi au Rwanda. Entre les deux, mais sans pouvoirs véritables, une mission de l’ONU, composée principalement de Latino-américains, ainsi que d’une force rassemblée par la sous-région, la SADC, emmenée par des Sud-Africains et des Kenyans.

Branle-bas diplomatique

L’offensive du M23 a semé la panique dans les chancelleries et préoccupe fortement les États de la région. Le président de la RDC, Félix Tshisekedi, rentré précipitamment de Davos, a pris lui-même la direction des opérations. Le président kenyan Ruto qui préside la CEAC, a convoqué une réunion, tenue en l’absence des principaux intéressés. Et le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni le mardi 28. La France et le Royaume-Uni ont demandé à leurs ressortissants de quitter Goma, après plusieurs manifestations devant des ambassades à Kinshasa, dont une devant celle de France. De cette agitation, ne risque de sortir que peu de choses, vu la mauvaise volonté des deux parties principales, RDC et Rwanda.

La loi du terrain

Pour l’instant, la situation semble tourner en faveur du M23. Le 27, le mouvement a pénétré dans la ville  de Goma sans grande résistance des forces armées congolaises, dont une partie aurait rendu ses armes au contingent de l’ONU, la Monusco. Face à un mouvement déterminé, bien entraîné et bien armé comme le M23, l’armée congolaise ne semble guère faire le poids, malgré les soutiens de ses alliés des FDLR mais aussi de milices privées comme Congo Protection ou Agemira, dont il se dit qu’elles recourent à des instructeurs roumains et français. Ce que, de son côté, Kigali, principal soutien du M23, ne cesse de dénoncer.

Le tantale, supplice du Kivu ?

La prise de Goma par le M23 n’est certainement pas le dernier épisode. Morts, blessés, déplacements incessants pour fuir les combats, voilà des années que la population du Kivu, principalement dans sa partie nord, subit un véritable supplice. La région, qui abrite le magnifique Parc national des Virunga, en constate chaque jour les considérables dégâts écologiques. Pourquoi, se battrait -on autant et depuis si longtemps s’il n’y avait pas l’enjeu économique du coltan ? Son exploitation fait depuis longtemps la fortune de tous ces protagonistes, dont l’armée congolaise qui aurait participé activement au trafic de ce minerai, pour le plus grand profit de ses dirigeants. Le M23 lui-même maitrise l’un des plus importants gisements au profit du Rwanda. Comme les différents autres groupes rebelles et les  différentes sociétés locales et internationales qui poussent l’un ou l’autre des deux camps dans le sens de leurs intérêts.

Une solution internationale?

Pour que cesse cette guerre, il faudrait donc arrêter cette guerre pour la conquête du tantale. Et clarifier les enjeux. La RDC apparait légitime dans sa volonté de défendre son sol et les gisements qu’il contient. Mais sa position se trouve de fait affaiblie par le mauvais usage qu’ont fait certains de ses dirigeants de ce pactole. Le pays n’est pas en position de force pour négocier à l’heure où le M23 et son puissant allié rwandais paraissent maîtriser le Nord-Kivu. Mais c’est là où la communauté internationale peut être d’un grand recours.

L’Union Africaine étant incapable de jouer un tel rôle, ce serait  une belle occasion pour les régions concernées, CEAC et/ou SADC, de prouver qu’elles sont en mesure de régler un tel conflit dans un esprit de solidarité panafricaine. Sinon, ce seront les grandes puissances, aux aguets depuis longtemps, qui entreront officiellement dans la danse. Et l’on doute que ce soit pour le plus grand profit des peuples du Kivu et de la région.

Que des manifestants s’attaquent au même moment à Kinshasa à des ambassades de ces  mêmes puissances, États-Unis, France, Belgique, n’est certainement pas un hasard.

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