Israël dans le bourbier de Gaza
La guerre à Gaza s’enlise, les radicaux menacent du pire sans convaincre, les militaires renaclent, Netanyahou laisse faire et l’opinion se lasse…

Bezalel Smotrich, ministre et colon religieux radical
Si les médias étrangers se focalisent sur les déclarations provocatrices du ministre des Finances Bezalel Smotrich ; les analystes et les médias en Israël ne leur accordent qu’une importance relative. Devenu le leader de ce qui reste du parti national-religieux historique « Mafdal », Bezalel Smotrich est de fait le représentant, au sein du gouvernement, de la frange la plus radicale des colons religieux des territoires occupés en Cisjordanie. Les sondages successifs sur les intentions de vote pour les élections législatives à venir en 2026 le placent le plus souvent en dessous du seuil d’éligibilité, et toujours nettement derrière son rival d’extrême droite Itamar Ben Gvir, chef du parti « Force juive » (Otzma Yehudit).
Une rhétorique incendiaire pour faire oublier le déclin politique
En tant que ministre des Finances, il vient d’annoncer, avec son ton hargneux et péremptoire habituel, que les salaires des fonctionnaires vont être réduits de 3,5 % pour financer l’effort de guerre, alors que le public apprend en même temps que les ministres vont s’octroyer des augmentations de 10 %. Son impopularité, conjuguée à sa faiblesse politique, le force donc à exister dans les médias par la surenchère et les provocations verbales. On ne compte plus ses altercations, pendant les conseils des ministres, avec les responsables militaires rapportant des réalités du terrain souvent difficiles à entendre.
Des propos extrêmes sur Gaza
L’annonce gouvernementale du début de semaine sur les options possibles de continuation des opérations militaires à Gaza lui a donné l’occasion de se surpasser :
« Nous allons cesser d’avoir peur du mot “occupation”. »
« Nous allons enfin occuper la bande de Gaza, et nous y installer même dans le cas où un accord serait trouvé pour la libération des otages. »
Netanyahou laisse faire, au nom de la survie politique
Benjamin Netanyahou, empêtré dans des affaires judiciaires présentes et à venir, a fait le choix de laisser parler Smotrich pour sauver sa coalition, même quand celui-ci ose avouer que la libération des otages… n’est pas sa priorité. Si les déclarations de Smotrich font la couverture des médias, elles sont loin de refléter la teneur réelle des mesures décidées pour les opérations militaires à Gaza.
Si les annonces se veulent fermes et menaçantes, elles se heurtent au réalisme et à la prudence de Tsahal, d’où la précaution prise de préciser qu’elles ne sont pas d’application immédiate.
Une guerre qui s’enlise sur le terrain
Pour le moment, les actions militaires sur le terrain piétinent. Aucun otage n’a pu être libéré, et il n’y a aucun signe d’affaiblissement du Hamas. Au contraire, les embuscades augmentent et on commence à compter de nouveau des pertes parmi les soldats.
Depuis le 7 octobre 2023, 891 soldats israéliens ont été tués, dont 390 dans la bande de Gaza.
Le gouvernement se soucie peu de la pression internationale liée à la situation humanitaire catastrophique de Gaza. Plus de 52 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, la majorité étant des civils. Israël a largué près de 100 000 tonnes d’explosifs, anéantissant plus de 2 200 familles.
Les militaires, et en particulier l’armée de l’air, questionnent l’évolution récente de la doctrine opérationnelle et l’intensification des bombardements. Ils appréhendent les possibles poursuites judiciaires internationales liées à une augmentation difficilement justifiable des pertes civiles palestiniennes, sans résultat opérationnel visible sur le terrain.
Fracture entre le politique et les militaires
Même si Tsahal et le gouvernement tiennent à continuer à afficher un accord de façade, les désaccords n’échappent à personne. Alors que le gouvernement déclare que sa priorité est l’éradication du Hamas, le nouveau chef d’état-major Eyal Zamir se permet de le contredire et affirme, via le porte-parole de Tsahal, que l’éradication du Hamas passe après la libération des otages,
De plus, Tsahal a clairement fait savoir au gouvernement que l’extension annoncée des opérations militaires nécessite de rappeler les mêmes dizaines de milliers de réservistes qui ont déjà servi pendant les 18 derniers mois de guerre. Le chef d’état-major, Eyal Zamir, sait qu’il faudra s’attendre à des refus croissants et à de possibles défections, de la part de familles excédées qu’on demande toujours aux mêmes de risquer leur vie. D’ailleurs, l’armée, lassée des tergiversations du gouvernement sur les dispenses de conscription aux religieux ultra-orthodoxes, vient d’envoyer des milliers d’ordres de conscription aux jeunes ultra-orthodoxes, tout en sachant que très peu répondront à l’appel.
Des opérations suspendues dans l’attente de Trump
À ces difficultés logistiques s’ajoute un effort budgétaire conséquent qui explique pourquoi l’extension des opérations militaires à Gaza est en fait repoussée, et subordonnée aux résultats de la visite annoncée de Donald Trump au Moyen-Orient.
Ayant fait le choix, pour sa survie politique, de ne pas respecter les accords préalablement conclus avec le Hamas, Benjamin Netanyahou attend que Donald Trump et les Saoudiens le sortent de la nasse en obtenant des concessions de dernière minute du Hamas sur la libération des otages. Dans ce cas, il pourra expliquer à son opinion publique que les pressions militaires israéliennes ont porté leurs fruits : un sursis jusqu’aux élections de 2026.
Mais si aucune avancée n’est obtenue et qu’un accord nucléaire avec l’Iran est annoncé à la place, Netanyahou aura perdu sur tous les tableaux.
Seul un appel à la grève générale…
Pendant ce temps, les oppositions, soutenues dans les sondages par une majorité de l’opinion, continuent de clamer que le gouvernement Netanyahou sacrifie cyniquement la vie des otages pour sa survie politique, tout en entraînant le pays dans une aventure militaire catastrophique et sans issue.
Reste que les manifestations et les appels de tous les horizons, les prises de parole des personnalités les plus prestigieuses et respectables du pays, se révèlent inefficaces face à un gouvernement d’extrémistes déterminés.
Certains, comme l’ancien Premier ministre Ehoud Barak ou l’ancien chef d’état-major adjoint Yaïr Golan, actuel président du parti de gauche des Démocrates, commencent à dire que seule la mise à l’arrêt du pays par des grèves massives fera reculer la clique qui soutient Netanyahou.

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