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Israël : la culture de l’impunité

publié le 10/08/2015 | par René Backmann

Un enfant palestiniens d’un an et demi est mort carbonisé, son frère et ses parents ont été très gravement brûlés dans l’incendie de leur maison revendiqué par des colons en Cisjordanie. Les meurtriers seront arrêtés et traduits en justice affirme Netanyahou. Difficile à croire : un rapport récent démontre qu’un Palestiniens qui dépose plainte contre un agresseur israélien n’a que 1,9% de chances d’obtenir justice…


En moins de 24 heures, la société israélienne, assoupie dans son addiction au statu quo et à la force militaire, s’est retrouvée brutalement confrontée à deux reprises à quelques-uns des principaux périls qui la minent, menacent son existence et rendent chaque jour plus utopique une solution pacifique et juste du conflit avec les Palestiniens.


Le fanatisme politique et religieux
, la disposition à la violence, le mépris du droit international, la sacralisation de l’occupation et de la colonisation, la conviction d’avoir raison et la culture de l’impunité sous-tendent les attentats – en apparence sans rapport l’un avec l’autre – qui ont eu lieu jeudi et vendredi à Jérusalem et à Douma, un village palestiniens du nord de la Cisjordanie.


Jeudi, à Jérusalem, un juif ultra-orthodoxe, Yishaï Shlissel a poignardé six des participants à la Gay pride.
L’une des victimes est, selon Magen David Adom, l’équivalent israélien de la Croix Rouge dans un « état très grave ». Deux autres sont moins sérieusement atteintes, trois souffrent de blessures plus légères. Yishaï Shlissel était sorti de prison trois semaines plus tôt. Il y purgeait une peine de dix ans de détention pour avoir, déjà, en 2005, blessé trois personnes lors de la Gay pride de Jerusalem.

Une dizaine de jours avant de passer à l’acte, il avait donné une interview à une radio locale dans laquelle il proclamait que « le combat continue contre ceux qui souille le Nom [Dieu]». Il avait aussi publié sur internet une lettre dans laquelle in dénonçait « l’abomination » que constituait pour lui, la tenue d’une Gay pride à Jérusalem.


Dans un pays où l’extrémisme religieux gagne chaque jour du terrain, jusqu’au sein de l’armée
[lien avec mon papier du 11 décembre 2014], et où les services de sécurité ne passent pas pour laxistes – les 6500 Palestiniens détenus en Israël en témoignent – la police n’avait pas jugé ces indices assez inquiétants pour placer Shlissel sous surveillance. Dans une brève intervention à la télévision, le premier ministre Benjamin Netanyahu a dénoncé « un détestable crime de haine » tandis que les deux grands rabbins du pays condamnaient cette agression qui va « à l’encontre des voies de la Torah juive ».


Quelques heures plus tard, en Cisjordanie occupée, plusieurs hommes masqués s’introduisaient avant l’aube dans le village palestinien de Douma
, à moins de cinq kilomètres des colonies de Shilo, Migdalim et Maale Efrayim, et jetaient des bouteilles incendiaires à travers les fenêtres, ouvertes à cause de la chaleur, de deux maisons. Dans l’une d’entre elles dormait la famille Dawabche. Le père, Saad, a été brulé à près de 80%, sa femme Riham, à 90%, leur fils aîné Ahmed, 4 ans, à 60%. Tous trois, transportés ensuite dans des hôpitaux israéliens sont en danger de mort. Le plus jeune fils, Ali, un an et demi est mort carbonisé.

Sur les murs de la maison, les incendiaires ont dessiné une étoile de David et laissé deux inscriptions : « vengeance » et « le prix à payer ». La formule « le prix à payer » est le slogan habituel utilisé par les colons lorsqu’ils attaquent des cibles palestiniennes et détruisent des bâtiments, des arbres fruitiers ou des récoltes en Cisjordanie.


En l’occurrence, les assaillants faisaient sans doute allusion à la destruction, deux jours plus tôt, par l’armée israélienne de deux maisons de la colonie de Beit El, près de Ramallah.
Ordonnée par la Cour suprême, la destruction de ces deux maisons, construites sans permission sur un terrain privé palestinien, avait pourtant donné lieu à une généreuse « compensation » de l’Etat. Le jour même de la démolition, le gouvernement de Benjamin Netanyahu, dont la coalition s’effondrerait sans le soutien des colons, autorisait la construction prochaine de 300 nouveaux logements à Beit El et de 500 autres logements dans quatre colonies de la périphérie de Jérusalem-Est.


« C’est un acte de terrorisme en tout point, a déclaré le premier ministre israélien,
en apprenant l’attaque contre la famille Dawabche. Les forces de sécurité utiliseront tous les moyens pour arrêter les meurtriers et les traduire en justice ». Déclaration qui n’a pas davantage convaincu les responsables palestiniens que la population. « On ne peut dissocier cette attaque barbare d’un gouvernement qui représente une coalition pour la colonisation et l’apartheid » a explosé l’ancien négociateur Seb Erekat, numéro 2 de l’OLP. « Je doute qu’Israël mette en œuvre une véritable justice, a admis le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Nous allons remettre à la Cour pénale internationale un dossier contenant les éléménents sur ce nouveau crime de guerre ».

Incrédulité et colère, largement partagées en Cisjordanie comme à Gaza, où l’histoire de l’occupation ne plaide pas en faveur d’Israël.
Selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, au cours des dernières années, des civils israéliens ont incendié « des dizaines de maisons, de mosquées, de magasins, de terres agricoles et de véhicules en Cisjordanie. La grande majorité de ces attaques sont restées sans suite. Bon nombre n’ont même jamais donné lieu à un début d’enquête policière. Depuis août 2012, précise B’Tselem, des civils israéliens ont incendié neuf maisons palestiniennes en Cisjordanie et un cocktail Molotov a été jeté sur un taxi palestinien, brûlant gravement ses passagers. Aucune de ces agressions n’a donné lieu à une inculpation ».

Dans un rapport publié le 17 mai, l’ONG israélienne Yesh din, (il y a une justice), qui assiste les Palestiniens dans leurs démarches face à la justice israélienne étudie en détail la trajectoire de 1067 dossiers de plaintes, déposées, avec son soutien par des Palestiniens. « Année après année, écrivent les auteurs de l’étude, les chiffres indiquent que la police israélienne n’a apporté aucune amélioration à son traitement des infractions ou crimes à motifs politiques dont les victimes sont des Palestiniens de Cisjordanie et à la recherche des coupables ».


Sur 1067 plaintes déposées entre 2005 et 2014, constatent les juristes de Yesh Din, 70 mises en examen seulement ont été prononcées.
Dans l’écrasante majorité des cas (91,4%) l’enquête a été close sans même qu’un suspect ait été recherché. Et sur les 70 mises en examen, 19 seulement ont donné lieu à des condamnations. En d’autres termes, conclut le rapport « un Palestinien qui dépose une plainte devant le district de police de Cisjordanie, a environ 1,9 de chances que son dossier débouche sur une véritable enquête, l’identification d’un suspect, sa mise en examen, son procès et sa condamnation ».

Cette impunité, constate également Yesh Din dans un autre rapport, daté du 21 juin, est encore aggravée par le refus de l’armée d’occupation – en principe chargée, en vertu du Droit international, de protéger la population civile – de faire son devoir dans ce domaine. En fait l’armée se contente généralement de rester passive lors des affrontements entre la population palestinienne et la police – quand elle ne prête pas ouvertement main forte aux policiers. Les témoignages de 77 officiers et soldats obtenus par Yesh Din montrent que les militaires ignorent qu’ils sont chargés de maintenir la loi et l’ordre en protégeant la population palestinienne et n’ont pas été entraînés pour cette mission.

La même impunité contribue d’ailleurs activement au développement de la colonisation, notamment en « légalisant » a posteriori les « colonies sauvages » qui renforcent l’entreprise de colonisation de la Cisjordanie. Entreprise qui n’a connue aucune trêve. Depuis la signature des accords d’Oslo, en septembre 1993, tous les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche, ont poursuivi, à des rythmes divers, la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Près de 200 000 colons y étaient implantés en 1993. Ils sont aujourd’hui près de 600 000 : 400 000 en Cisjordanie et 200 000 à Jerusalem-Est. Et des chantiers sont en cours partout.

Alors qu’il est devenu une évidence que la poursuite, voire l’accélération, de la colonisation est désormais l’obstacle majeur à la reprise d’un dialogue et à la recherche d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien, l’impunité dont bénéficient les colons de la part du gouvernement israélien et l’impunité dont bénéficie Israël, de la part de la communauté internationale, laissent mal augurer d’un avenir de paix dans la région. Surtout si les colons, de plus en plus souvent guidés par l’espoir de l’arrivée du Messie et la lecture de la Bible, et leurs alliés continuent à détenir les clés des coalitions gouvernementales israéliennes.

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