Île de Pâques . La fabuleuse écriture rongorongo.
700-1100 après J.C.- Des migrants maori qu’un raz-de-marée avaient jetés sur l’océan, après avoir longtemps navigué au gré des courants, rencontrent une île sauvage totalement isolée et inhabitée. Ils parviennent à la coloniser et la nomment Te pito o te henua (Le nombril de la terre) et Mata ki te rangi (Les tribus astronomes ou Les yeux tournés vers le ciel). La tradition orale raconte que ces migrants, venus de Hiva en terre maori, possédaient une belle écriture gravée sur des tablettes ou des bâtons de bois précieux.
Ces signes, cette écriture s’appelait le rongorongo : « le grand message ou la grande étude ». Durant des siècles, ces migrants ont sculpté des statues, les moai qui représentaient les ancêtres. Une fois érigés sur de grandes plateformes cérémonielles, ils devenaient sacrés et on leur ouvrait les yeux taillés dans le corail et le tuf rouge. Une grande quantité de moai sont restés dans la carrière (fig.1). Il y en a 397 couchés, inachevés, comme pour enseigner la méthode de travail des Maori aux futures générations.
D’ailleurs, le terme moai veut dire : « pour les descendants ». Et plus de 1000 statues tout autour et à l’intérieur de l’île, couchées, cassées ou restaurées par des archéologues venus du monde entier. Le chantier commence à peine sur le site du Rano Raraku, la carrière des moai.Toutes les informations sur les sculpteurs restent à découvrir sous terre.
Fig.1- Carrière des moai
Lorsque le Hollandais Jakob Roggeveen explore l’île, le jour de Pâques de l’an 1722, il la décrit dans son journal de bord comme une terre pauvre, brûlée par le vent, sans aucun arbre. Il nomme cette nouvelle terre « île de Pâques » peuplée d’environ 3000 habitants lesquels, selon lui, « appartiennent à la race polynésienne ». Roggeveen a bien noté qu’il avait vu des statues monolithiques, preuve d’une civilisation avancée, mais il ne donne aucune information sur le fait que les natifs possèdent une écriture. Il n’a pas le temps de les connaître et ses hommes maladroits en tuent même quelques-uns.
Ce sont les deux explorateurs suivants qui ont donné quelques indications sur l’écriture des gens de cette île. L’Espagnol Gonzales de Haedo y fait une halte et tente de l’annexer à la couronne d’Espagne en 1770, en la baptisant « Isla de San Carlos ». Ses officiers et géographes tracent des cartes (fig.2) et l’informent que les indigènes ont une écriture particulière, « leur propres caractères».
Fig.2- Carte de Gonzales de Haedo
Plus tard, en 1774, James Cook aperçoit de fines gravures sur une planche qui avait servi à réparer une pirogue. Il le note également dans son journal de bord. Cette planche, couverte en réalité de signes rongorongo, vendue plus tard à Thomson en mission pour la Smithsonian Institution, se trouve conservée à Washington. Les deux explorateurs confirment ce qu’avait noté Roggeveen : plus aucun arbre adulte sur l’île et les natifs, pour rejoindre les vaisseaux des visiteurs, utilisent de frêles embarcations composées de planches cousues.
Les natifs semblent vivre en paix mais cela ne durera pas. Poussés par la famine, des guerres violentes opposent les tribus durant des décennies. Les plateformes cérémonielles comportant les statues des ancêtres sont profanées. Les tablettes rongorongo deviennent butin de guerre.
Et ce n’est pas fini : en 1862, après le passage des bateaux pirates qui sillonnent les eaux du Pacifique, les habitants de Rapanui connaissent un siècle d’événements si douloureux qu’ils ont failli disparaitre de la planète : 1407 déportations, principalement des hommes solides, l’élite, mais aussi des femmes et des enfants, enrôlés avec un contrat de travail forcé. On les conduit depuis Estea (nouveau nom de l’île) dans les îles de la Chincha appartenant au Pérou.
L’extraction du guano dans des conditions inhumaines avait exterminé les travailleurs chinois et va rapidement exterminer les Polynésiens. Parmi les esclaves, il y avait le dernier roi, son fils et les maîtres en écriture, les Maori rongorono. Grâce à l’intervention du diplomate français Raymond de Lesseps, quelques survivants sont rapatriés. Malheureusement ils vont contaminer leurs familles car ils sont porteurs de la tuberculose et de la petite vérole.
A Tahiti et à Valparaiso (Chili), la situation des habitants de l’île, livrés à eux-mêmes, préoccupe ecclésiastiques et gouverneurs. On envisage une mission. Un courageux frère laïc, ouvrier mécanicien natif du Dauphiné va partir secourir les Pascuans. Il se nomme Eugène Eyraud. C’est lui qui découvre l’écriture. Il la mentionne en janvier 1864, dans une relation à ses supérieurs hiérarchiques. Il suppose que ces caractères hiéroglyphiques gravés sur des tablettes suspendues aux maisons « sont les restes d’une écriture primitive que les Pascuans reproduisent sans chercher à en connaître le sens ».
Ces sauvages qui ont martyrisé leur visiteur français durant 10 mois auraient-ils une écriture ? Impossible ! Par contre les religieux pensent, plus que jamais, qu’il faut envoyer une mission à l’île de Pâques, sous les auspices du vicaire apostolique de Tahiti, Monseigneur Florentin Etienne Jaussen.
Une mission prend forme en 1866. Trois prêtres viennent s’y installer dans le but d’évangéliser. Le premier recensement du père Roussel signale 930 habitants (ils étaient 3000 en 1722). Les missionnaires enseignent le catéchisme. Mais dans une ambiance mêlée de prières et de violentes épidémies que le père Roussel ne peut arrêter faute de médicaments, personne ne songe aux traditions.
L’écriture sacrée des maîtres du rongorongo est profanée, sauf par les anciens de la dynastie Miru, qui la conservent en secret et dont le dernier roi mourut au Pérou en esclavage. Rapidement tout a changé et c’est ainsi que s’éteignent les rituels.
Fig.3- Site d’Orongo
On se sait pas exactement à quand remonte le rituel de l’homme oiseau. Les archéologues supposent qu’après les luttes tribales et afin que la paix revienne, un homme valeureux devait les diriger mais pour cela mériter leur respect : durant la cérémonie de l’homme oiseau, les concurrents, plongeaient depuis le site d’Orongo (fig.-3) dans la mer infestée de requins pour nager vers un petit îlot éloigné là où nichaient les oiseaux migrateurs.
Tous les coups étaient permis pour éliminer les rivaux et le premier qui revenait avec un œuf de manu-tara (fregata minor du Pacifique) devenait chef tangata manu « homme-oiseau » durant un an et gouvernait l’île qui lui apportait tout ce qu’il désirait. Les missionnaires ont rapidement interdit cette compétition trop violente, bien qu’à leur époque elle eut lieu uniquement sur la terre ferme.
Ils nomment un chef, un ariki, choisi parmi les plus sages : Atamu Te Kena. Ce sera le dernier roi de l’île de Pâques.
1866 : une frégate anglaise, le HMS Topaze, sillonne le Pacifique et s’arrête à Rapanui. Avec la complicité des missionnaires, le chirurgien Palmer prend de nombreuses notes et repart avec des objets gravés d’écritures.
L’équipage charge sur la frégate le plus beau des moai (fig.-4) une magnifique statue en basalte, sculptée au dos de symboles polynésiens, d’un couple d’oiseaux, de signes et d’écritures. Elle était autrefois placée sur le site d’Orongo et protégeait les Rapanui des hautes vagues du Pacifique. Les natifs pleurent le départ du moai Hoa haka nana ia (l’amie qui brisait les lames de l’océan). C’est l’un des rares moai qui représenterait une femme.
Fig.4- Moai Hoa haka nana ia
La méfiance s’installe chez les natifs auxquels on arrache leurs biens les plus précieux, ce qui les relie aux traditions et à la force de leurs ancêtres. En réaction à cette première expropriation et ayant fait la connaissance du bon évêque de Tahiti Monseigneur Tepano Jaussen, ils tissent une corde de cheveux humains, l’enroulent autour d’une pièce de bois et l’envoient à l’évêque par l’intermédiaire des Pascuans qui vont travailler sur les plantations de Tahiti Le cadeau n’est pas la corde de cheveux.
Lorsqu’elle fut déroulée l’évêque de Tahiti découvrit « une page d’écriture » sur un morceau de bois d’environ 25 cm, maladroitement amputé et avec une profonde entaille. Il avait servi à enrouler du fil à pêcher. Un morceau de bois couvert, recto verso de jolis signes, des végétaux, des étoiles, de figures composées, anthropomorphes ou zoomorphes (fig. 5) L’évêque n’en revient pas : « Ces sauvages d’Océanie avaient donc une écriture ? ».
Fig.5- Tablette échancrée
Avec l’aide des Pascuans, durant les années qu’il lui reste à vivre, il va dessiner et prendre des notes sur les possibles interprétations du rongorongo. Ces notes, que les linguistes ont jugées inappropriées pour décrypter la mystérieuse écriture de l’île de Pâques, sont conservées par le Vatican. Il y a des copies faites à la main, à la bibliothèque de Chartres.
Le prélat est informé par le missionnaire qui accompagne les Pascuans, que ces tablettes, autrefois objets de rituels profanes, servent désormais à alimenter les feux de certaines tribus pour faire cuire les aliments. Alors, le bon évêque exige du père Zumbhom de lui remettre toutes les antiquités qu’il trouverait à l’avenir et c’est ainsi que le prélat sauva l’écriture. Les missionnaires lui apportèrent quelques belles pièces.
En figure 6, on peut admirer la tablette appelée mamari (en forme d’œuf), magnifique, intacte. Très bien conservée par un chamane descendant de la dynastie Miru qui avait également le privilège de sculpter les crânes. Elle est en bois de rose d’Océanie. À présent au musée des SC de Picpus à Grottaferrata près de Rome ainsi que trois autres objets anciens couverts de signes au recto et au verso. Sur la tablette Mamari, l’écriture commence au centre en tracés boustrophédon inversés. C’est-à-dire qu’à la fin de la ligne, l’écriture repart en sens inverse, et le retour se fait comme le travail des bœufs au labour.
Fig.6- Tablette mamari
Cette tablette comporte, au centre du recto, des informations importantes en astronomie, gravées soit en première écriture si la tablette est d’époque, soit que ces informations aient été recopiées. Elle a assurément un lien avec l’ancien nom de l’île Mata ki te rangi, les yeux tournés vers le ciel. Les astrophysiciens consultés durant mes recherches pensent que les natifs ont fait figurer sur cette tablette, l’apparition d’un astre (fig.7), visible de jour comme de nuit et ce durant une période donnée.
Fig.7 Supernova
Une supernova apparut en effet dans le ciel en l’an 1054 -dans la constellation du Taureau-. Elle fut longtemps visible dans tout l’hémisphère sud, 24 heures sur 24, puis sa lumière diminua et elle se transforma en nébuleuse (neb. du Crabe). La supernova (appelée par les Chinois l’étoile invitée) avait brillé avec autant de magnitude apparente que la planète Vénus. Dans la banque de données polynésienne, les anciens la nommèrent hetu ahi-ahi (étoile très brillante, comme le feu).
Cette hypothèse nous fait réfléchir à l’ancienneté du rongorongo qui ne fut certainement pas créé après le passage des Espagnols. D’autre part, l’archeóbotaniste Catherine Orliac (CNRS) a déterminé que la tablette Mamari provenait d’un arbre de bois de rose d’Océanie de 20 cm au moins de diamètre. Donc de l’époque où l’île possédait des arbres adultes. Malheureusement, pas encore de datation au Carbone 14.
Vers la fin du 19e, la route de l’île de Pâques est connue, tracée sur les cartes maritimes et c’est la fin du grand isolement. Les voiliers s’arrêtent pour s’approvisionner en eau. Entre-temps, le peu de tablettes qu’il reste (des centaines furent détruites), servent comme éléments décoratifs à l’entrée des maisons-bateaux, à réparer les pirogues ou les rames, à obtenir la flamme par frottement et entretenir le feu entre les pierres. Certaines, bien qu’à demi-brulées sont conservées pour faire du troc.
En 1870 la corvette Chilienne O’Higgins, fait une halte et emporte trois très beaux objets sauvés du feu, dont un bâton qui avait appartenu à un grand artiste, à un maître des signes. Puis ayant changé de mains, il avait servi à attiser les braises, pour être ensuite abandonné aux xylophages dans l’humidité d’une grotte. C’est l’aventurier français Dutrou Bornier établi sur l’île, qui fait du troc et obtient du matériel destiné à réparer son voilier. Les capitaines de corvette Goñi et Gana ont écrit, dans leur rapport à l’Institut du Chili, que « les habitants de cette île n’avaient absolument rien à voir avec cette écriture ».
Conservée par la marine chilienne puis offerte au Musée National d’Histoire Naturelle de Santiago du Chili, cette magnifique pièce, en bois de rose d’Océanie révèle la méthode de travail des anciens pour choisir d’un arbre adulte une branche sans nœud, préparer le bois, le poncer, et graver des sections qui parfois émerveillent par leur absolue perfection.
Le maître en écriture qui a gravé les premiers signes sur la surface la plus horizontale, fut d’une adresse époustouflante : ont dirait des tracés au laser, en finesse et en profondeur. En fig.8 une section de la première ligne (le début du tracé est à gauche) et en fig. 9 un aperçu de l’écriture réelle.
Fig.- 8 Premiêre ligne du bâton de Santiago
Fig.-9 Le bâton du maître des signes
Plusieurs mains ont travaillé à cet œuvre d’art. Des datations au C14 nous renseigneraient sur l’âge du bois et sur l’année de la combustion, donc l’année où le bâton du maître des signes fut profané.
1871 : Un bateau de guerre russe passe par Tahiti et l’un des scientifiques reçoit de la part de l’évêque un bel objet gravé de signes rongorongo. Puis, sur sa route il en collecte un autre. Le Musée Pierre le Grand de Saint Petersbourg conserve à la Kunskamera (Chambre des curiosités) deux objets rapportés par le scientifique Mikkluko Maklai. En fig. 10 la tablette la plus grande ; 62 centimètres ! Elle a la forme d’un atour tenu à la main par un dignitaire et porté contre la poitrine. Elle comporte des perforations post-gravure.
Fig.- 10 Grande tablette de Saint Petersbourg
Cette même année, Thomson, l’intendant de l’expédition de la Smithsonian Institution de Washington, réussit à acheter à un Pascuan deux objets sacrés qui pourtant étaient cachés sous les pierres d’une plate-forme cérémonielle entourant un moai et comportant les restes mortels d’un ancêtre. L’un de ces objets présente la forme d’une pièce ayant servi à réparer une pirogue. Il demande à l’ancien Ure Vae Iko, de lire les tablettes ou les photos obtenues par Mgr Tepano Jaussen.
L’interprète de l’expédition, Tati Salmon, métis anglais et tahitien, prend des notes et les traductions qu’il donne à Thomson s’avèreront fantaisistes, dénuées de sens. Mais Thomson les publia telles quelles. Durant plus d’un siècle, sans que jamais personne ne vérifie les traductions de Salmon, on va se servir du livre de Thomson et ses interprétations vont complètement fausser la compréhension du rongorongo telle que les anciens l’interprétaient encore à la fin du 19e, c’est-à-dire description des signes (les signifiants) et sémantique (une ou plusieurs interprétations, ou signifiés).
Bref on a continué à ne pas reconnaitre aux Pascuans le droit à la connaissance, on les a traités de menteurs, de mystificateurs…
Voici ce qui se passa, à la suite de la profanation du tombeau : un jeune initié, neveu de l’Ariki Nga-ara -le dernier roi de la dynastie Miru qui convoquait les sages maori rongorongo chaque année à Anakena- il se nommait Take et eut l’idée de cacher en terre toutes les tablettes qu’il restait afin qu’elles demeurent pour toujours à Rapanui. Les grandes tablettes de la dynastie Miru ne furent plus jamais retrouvées.
En 1872 la Flore navigue en Polynésie avec à bord un jeune homme exceptionnel : l’aspirant Julien Viaud que nous connaissons sous son nom d’auteur : Pierre Loti. Il prend des notes, fait de magnifiques dessins sur la vie des Pascuans avec lesquels il a eu de très bons contacts (fig.11). Pierre Loti eut l’occasion d’observer l’écriture et la décrivit en de fort jolis termes : « Oh la troublante et mystérieuse petite planche, dont les secrets à présent demeurent impénétrables » et… en citant les signes rongorongo « ils éternisent ce langage sacré, intelligible pour les autres hommes, que les grands chefs parlaient lors des conseils tenus dans les cavernes.
Ils avaient un sens ésotérique, ils signifiaient des choses profondes et cachées que seuls pouvaient comprendre les rois et les prêtres inities. » Il n’y a jamais eu depuis, meilleure description du rongorongo de l’île de Pâques, écriture unique en Océanie.
Fig.11 Dessin de Pierre Loti
Les missions découragées s’étaient retirées en 1871 et les familles pascuanes se trouvaient encore décimées par les épidémies. Alphonse Pinard voyageant à bord du bateau de guerre français le Seignelay, prit le temps de faire un recensement. Lors de son passage en 1877, il ne restait plus que 111 courageux habitants, qui luttaient pour survivre.
Monseigneur Tepano Jaussen contacta alors autorités et ecclésiastiques du Chili pour envisager un possible protectorat. Le président Balmaceda y fut favorable.
En 1888, lorsque Policarpo Toro, capitaine de corvette chilien rattachera l’île de Pâques à l’état du Chili, il tentera de la repeupler en rapatriant depuis Tahiti, les Pascuans venus y travailler sur les plantations et mariés à des femmes natives de Polynésie Français. Parmi ces couples, se cachait à bord un jeune homme malade de la lèpre.
La population de l’île aurait dû profiter de ce sang nouveau, mais la lèpre va se propager rapidement malgré le soutien de la marine chilienne qui envoie ses médecins.
Un seul homme continue à chanter le rongorongo des anciens à ses enfants et petits enfants, à ses neveux. Il fut baptisé Dominique par le père Roussel. Les Pascuans l’appelaient Tomenika Vaka. Il était de la dynastie Miru, descendant de Vaka mamari pane kairoro (Constructeur de pirogues et sculpteur de crânes) l’homme qui détenait la tablette Mamari.
Tomenika en parle avec regrets car au début du 20e siècle, de l’ancienne écriture il ne reste que le souvenir.
Non seulement les familles de l’île de Pâques ont perdu les tablettes, les bâtons des maîtres et les atours des fêtes annuelles, mais aussi les écoles initiatiques, les signes rongorongo et les paroles sacrées de leurs rituels. Certains Rapanui en sont même effrayés. L’esclavage, la maladie et la mort entouraient le rongorongo. Il était devenu tabou, il portait malheur. Ces craintes vont durer des décennies.
Le rattachement à l’état chilien n’a pas signifié la santé et la prospérité pour les Pascuans. La première archéologue qui, en 1914, s’arrête pour étudier les sites de l’île de Pâques est une courageuse britannique : Katherine Routledge. Elle trouve une population -environ 300 habitants- qui a froid et faim, mais elle restera avec son mari et son équipage, vivant parmi les natifs durant un an.
Fig.12- Photo prise par Katherine Routledge
Elle prend de nombreuses photos (fig.12) des notes sur les statues, sur les plates formes cérémonielles et interroge les anciens sur le rongorongo. Son guide, l’octogénaire Ramon te Haha, de la dynastie Miru était le dernier témoin des cérémonies annuelles du roi Nga-ara. Il y avait assisté lorsqu’il était jeune. Les maîtres qui récitaient donnaient la lecture des signes contenus sur des tablettes qu’ils portaient en pendentif autour du cou ou comme atour de dignitaire. Les tablettes que possédait le roi mesuraient de 1m à 1m30.
Selon Ramon te Haha, les anciens racontaient que cette écriture venait d’ailleurs, qu’elle fut apportée par le roi Hotu Matua, de la dynastie Miru, l’ancêtre courageux navigateur qui venait de Hiva en terre maori. Elle était donc, selon lui, très ancienne et Hotu Matua avait émigré avec ses Maori rongorongo et ses astronomes. Ces astronomes vont jouer un rôle essentiel dans l’élévation des plates-formes cérémonielles comportant des moai.
Katherine Routledge avait emporté avec elle des photos de la tablette de Londres qui comporte la gravure de 290 signes.
Les anciens de la dynastie Miru sont heureux de revoir leur écriture. Pour eux c’était étrange et nouveau…cette image en noir et blanc. Ils relèvent les signes sur des feuilles de papier. Ramon te Haha lui montre un nouveau style de rongorongo, dessiné sur un carnet par son oncle lépreux, l’ancien Tomenika qui se trouve en fin de vie au dispensaire. Katherine se protège le visage, les mains, revêt plusieurs épaisseurs de jupes et va lui rendre visite. Elle obtient le dessin de quelques signes avec leurs significations.
Dans ses nombreuses notes conservées aux archives de la Royal Geografical Society de Londres, ont retrouve sur feuilles volantes (certaines furent perdues) des tracés simples ressemblant à des lexiques, avec même, en face des signes rongorongo, des noms de famille. Par exemple la famille Araki avait son rongorongo. Elle note également quels sont les initiés qui furent les maîtres en écriture de la fin du 19e siècle.
C’est dans les précieuses notes de Katherine Routledge, qui fut un témoin objectif et honnête, que les familles Rapanui actuelles retrouvent des preuves de l’enseignement du rongorongo et de la vie initiatique de leurs anciens à la fin du 19e siècle, après que leur ariki Atamu te Kena ait accepté le protectorat du Chili.
Il est bon de rappeler que le roi de l’île de Pâques n’avait pas voulu accorder la propriété aux Chiliens. Il avait pris une poignée de terre et l’avait mise dans sa poche, fermement, pour faire comprendre qu’elle était toujours Rapanui et qu’elle appartenait aux Rapanui, et ne comprenant pas le traité, il avait signé d’une croix. Malheureusement l’île fut louée à une société très malhonnête. En 1916 le navire chilien Baquedano visite Rapanui. Son capitaine envoie un rapport alarmant au gouvernement : les Pascuans sont maltraités par la compagnie anglaise Williamson et Balfour qui exploite l’île pour l’élevage des moutons.
Le congrès chilien fait alors voter la loi Pascua du 29 février 1917. L’île sera désormais soumise à l’autorité de la marine Nationale. Les Rapanui sont libres de circuler sur leurs terres. La lèpre n’est pas enrayée. Les jeunes gens de la famille de Tomenika décédé à la léproserie le lendemain-même de la visite de Katherine Routledge, sont contaminés et rejoignent le dispensaire. Il y a des initiés parmi eux, des amoureux du rongorongo, passionnés également par la nouvelle écriture romaine, enseignée par les bonnes sœurs. Plus tard ce sont ces jeunes lépreux qui écriront les manuscrits sur la tradition orale. Ils se nomment Arture Teao et Gabriel Hereveri : ne les oublions pas.
La seconde expédition qui va séjourner longtemps à Rapanui est franco-belge avec l’archéologue belge Henry Lavachery et l’ethnologue suisse Alfred Metraux. Ils resteront un an (1934-1935). Metraux émet quelques hypothèses sur le rongorongo, comme moyen mnémotechnique servant à réciter. Son collègue va plus loin : il recense plus de 400 pétroglyphes car l’île est un véritable livre de pierres.
Fig.-13 Pétroglyphe rongorongo
Lavachery les dessine admirablement bien, cherche et trouve quelques similitudes avec les tracés du rongorongo. Il quitte l’île, très attaché aux Pascuans, mais ne les reverra jamais plus. Fort heureusement, en 1935, un film fut réalisé par l’équipage venu sur place pour rapatrier la mission. Il intéresse tous les journalistes passionnés par l’île de Pâques.
Il est unique, émouvant. Intitulé « L’homme de Pâques », réalisé avec beaucoup de délicatesse grâce à l’initiative de Thomas Lavachery, neveu de l’archéologue belge, véritable témoignage sur l’île, ses habitants, ses traditions perdues, sa léproserie. L’île en 1935 en comparaison avec des prises de vues de Rapanui du temps présent.
C’était l’époque où les Pascuans traçaient le peu de signes qu’ils connaissent et qu’ils ont retrouvés en feuilletant les livres du Père Sebastien Englert. Ils gravent toutes les petites pièces de bois qu’ils récupèrent et même de jolis galets. Ils font du troc ou les vendent à des faussaires chiliens. Ces pierres gravées sont conservées dans les musées de Viña del Mar, Oslo et Rapanui.
Le Dr Drapkin fait un recensement en 1934 : il liste le nombre de Pascuans « pure race » (son langage) mais aussi métis avec du sang chilien (du continent), allemand, tuamotu, français, anglais, italien. -453 habitants vivent à Rapanui- 16 sont isolés à la léproserie. Entre le premier recensement du père Roussel et celui du Docteur Drapkin, les noms de famille changent, suite aux baptêmes et à la difficile transcription des noms anciens en espagnol, langue véhiculaire du Chili. C’est ainsi que la famille Te ave s’appellera Chavez. Dernièrement certaines familles ont repris leur nom ancien accordé par un acte juridique.
Les deux scientifiques de l’expédition franco-belge savent qu’il y a des initiés parmi les malades de la léproserie. Ils vont offrir un cadeau à Gabriel Hereveri et Arturo te Ao, petit fils et petit neveu de Tomenika. Un document précieux : édité en 1893 après la mort de Monseigneur Tepano Jaussen. Un petit livre intitulé « L’île de Pâques. Historique, écriture et répertoire des signes des tablettes de bois d’hibiscus intelligents » par le père Ildefonse Alezard qui reprit toutes les notes du prélat.
Certes, si le bon évêque avait été encore de ce monde, bien des erreurs du répertoire relevé par son successeur auraient été corrigées. Ces erreurs attirent l’attention de Gabriel Hereveri, qui rédigera plus tard un cahier (fig.14). avec la liste des signes relevés par Mgr Tepano Jaussen, et il apportera les corrections nécessaires. Ce qui est une preuve irréfutable que les Rapanui de la dynastie Miru comprenaient la structure morphologique du rongorongo.
Fig.-14 Manuscrit de Gabriel Hereveri
Gabriel a encore les mains valides. D’après ses propres manuscrits, il va graver une tablette qu’il donnera à un officier de la marine chilienne et qui est conservée à présent par le Musée d’Histoire Naturelle de Valparaiso. Il va écrire le plus possible, créér des carnets remplis de nouveaux signes, il adore l’écriture. C’est son esprit épris de liberté qui s’évade du dispensaire où son corps est prisonnier.
Parmi les objets dispersés dans le monde, il y avait, au Musée de l’homme de Berlin un bâton en forme de boomerang venant de l’île de Pâques et couvert de signes rongorongo. Un autre homme amoureux de l’écriture, recteur d’université, sans pour autant connaitre l’île, se met à travailler sur le rongorongo durant de nombreuses années. C’est Thomas Barthel. Il va recenser toutes les tablettes, tous les signes, ligne par ligne, faire des croquis, décrire leur provenance.
Son ouvrage « Bases pour le déchiffrement de l’écriture de l’île de Pâques arrive à Rapanui dans les caisses de l’américain William Mulloy qui y conduira de nombreuses restaurations archéologiques. Les Pascuans vont souvent le voir chez lui avec des cahiers et des calques et le bon William Mulloy qui aimait beaucoup les Pascuans, ne leur refuse aucune information.
Les familles des lépreux et le Père Sébastien Englert ayant enseigné que l’écriture n’était ni dangereuse, ni tabou, des hommes (pas encore des femmes) se mettent à recopier les lignes de Barthel sur des planchettes de bois. Les bois de rose d’Océanie, les plants de bois précieux sont encore trop jeunes. On vend ces objets, on fait du troc.
La plus étonnante de ces tablettes destinées au troc, gravée dans les années 60, vermoulue, brûlée, afin de lui donner un aspect ancien, vendue il y a quelques années à une galerie, en la certifiant tablette authentique -par l’intermédiaire d’un faussaire chilien-, apparaît parfois dans la presse comme si elle était ancienne.
Mais Thomas Barthel connaissait son existence. De son vivant, il ne l’a jamais classée parmi les authentiques. Il reconnaissait la gravure maladroite de quelques lignes de son livre. Le copieur évitait soigneusement les parties vermoulues, alors que sur les tablettes authentiques les trous des xylophages viennent après que la tablette fut entièrement recouverte de signes !
Le recteur de l’Université de Tübingen finit par voyager à l’île de Pâques. Il écrivit un 2e ouvrage où il reconnut et mentionna les manuscrits des lépreux. Il classa authentiques 25 objets anciens qu’il observa dans les musées du monde ou qu’il étudia d’après des photographies et des rapports d’archéologues. Un 26e objet, bien que moderne, fut rajouté à la liste, car il fut créé à l’époque de Tomenika avec des signes aux formes nouvelles. Il s’appelle tablette Poike du nom du lieu où elle fut trouvée, sous les pierres d’une maison en ruines. C’est la tablette de la parole perdue (la plus petite fig.-15).
Fig.15- Objets du MNHN de Santiago du Chili
Les objets les plus précieux comportant l’écriture rongorongo, les plus proches des Pascuans -géographiquement parlant- se trouvent à présent au Chili, au musée National d’Histoire Naturelle de Santiago et appartiennent à l’état chilien (fig. 15-) Le musée de Rapanui expose des fac-similés en résine ; il y en a également d’authentiques et très belles au musée des SS CC de Picpus à Grottaferrata (Italie) et appartiennent au Vatican ; en Russie propriété du musée Pierre le Grand de St Petersbourg ; aux USA à la Smithsonian Institution de Washington. Un oiseau gravé de signes à l’American Muséum de New-York et quelques pièces vermoulues au Bishop Muséum de Hawaii.
En Angleterre, au British Muséum de Londres, il y a une tablette et deux atours d’astronomes, des colliers en forme de demi-lunes ; en Allemagne au musée de l’homme de Berlin un boomerang couvert de rongorongo, et au musée de l’homme de Vienne deux objets vermoulus… Une tablette transformée en tabatière -quel dommage !-, se trouve au musée du quai Branly à Paris. Tous ces objets furent troqués, vendus aux navigateurs ou offerts comme objets curieux aux diplomates qui plus tard en feront don aux musées de leur pays. Un petit morceau de tablette navigue aux USA, entre privés.
Ces 26 objets dans le monde, témoignent de la spoliation du peuple Rapanui. Leur « contribution forcée » vient fortifier le patrimoine immatériel de l’humanité. Un sacrifice énorme quand on pense qu’ils ont du mal à recevoir de la part des musées, les photos détaillées, l’image d’objets, source de leur spiritualité. On classe sans suite leurs revendications. La Déclaration des Droits des Peuples Autochtones -ONU, 13 septembre 2007- leur donne droit à ces informations : elle stipule le retour aux natifs des objets de culte et des restes mortels des anciens. On a emporté des moai (musée du quai Branly à Paris, Musée du Bicentenaire à Bruxelles, British Muséum à Londres).
Qu’on leur restitue au moins les crânes sculptés. Les Rapanui demandent le retour des restes mortels de leurs ancêtres, tout comme l’ont fait les Maori de Nouvelle Zélande.
Si en 1953 l’île est enfin complètement libérée de la Cie anglaise Williamson et Balfour, les Pascuans ne sont pas encore citoyens chiliens. L’administration civile prend la relève de la Marine Nationale en 1966. Enfin on accorde aux Rapanui des cartes d’identité. Ils peuvent prendre l’avion ou le bateau et voyager.
Rappelons que dans les années 50, on leur interdisait de quitter l’île en raison de la lèpre. Beaucoup se sont évadés et ont péri en mer. Une seule barque, au fil des courants est arrivée jusqu’à Tahiti. À présent les familles Rapanui sont prospères et les jeunes sont heureux (ne les appelez plus Pascuans, ils détestent cela). Grâce aux échanges culturels avec les Marquises, Fidji, Tonga, et autres îles, durant les grands festivals polynésiens, ils ont retrouvé les gestes du véritable haka maori et partagent leurs coutumes polynésiennes avec bonheur. Excellents sportifs, gens de mer, intellectuels, archéologues, anthropologues (fig.16, Maria à gauche et Paula à droite, guides du parc archéologique).
Fig.-16 Femmes pascuanes
Le Chili a rempli son contrat et leur a offert des voyages au continent et des études. Ils sont doués pour l’art, l’artisanat, l’agriculture, l’élevage. Les couples sont souvent mixtes. Les enfants sont en bonne santé. Les femmes, maîtresses de leur foyer, savent prendre leurs responsabilités, fortes et autoritaires. Ceci, même Katherine Routledge l’avait remarqué. C’est un microcosme où l’on retrouve tous les éclatements sociaux et toutes les reconstructions.
Le bois de rose d’Océanie a été replanté et a bien poussé. De belles tablettes rongorongo sont vendues au marché artisanal. Elles sont gravées, toujours grâce aux tracés de Thomas Barthel, avec des gouges ou des outils électriques. (Les anciens les traçaient avec une dent de requin ou une pointe d’obsidienne !). La main des artisans est très précise. En 2006 une jeune femme rapanui (Paula, fig. 16) a gagné le premier prix du rongorongo au festival de la tapati rapanui, la grande fête annuelle. Ce fut une première, car les femmes autrefois étaient exclues des écoles initiatiques du rongorongo.
L’île est envahie par les touristes. La compagnie aérienne Lan Chile, dirigée par Sebastian Piñera qui a été président du Chili (2010-2014), a triplé les vols en 20 ans. Le chef-lieu de Hanga roa, qui en 1990 était désert en fin de soirée et qu’on pouvait traverser sur son cheval au galop, est devenu très actif le soir et l’alcool est servi dans pas mal de bars, durant une bonne partie de la nuit. Les natifs qui s’enivrent ou se droguent ne sont plus maîtres de leurs véhicules et de leurs gestes envers leur famille.
L’île rapporte beaucoup de devises au gouvernement, les gens du continent font des affaires et n’importent pas toujours ce qui est nécessaire. Expropriations, pollution, érosion des sols, collecte sauvage du sable, l’île et les Rapanui ont besoin d’être protégés et soutenus. Ce sont les jeunes qui veillent le plus à leur patrimoine et ils savent se faire entendre (Fig. 17- jeune fille gardienne du site d’Anakena).
Fig.-17 Site d’Anakena
L’écriture rongorongo n’a jamais été décryptée et ne le sera jamais. Vers les années 90, un programmeur d’IBM a voulu attribuer une valeur à chacun des signes et lire les tablettes en lançant son programme ! Quelle prétention ! Et quel danger pour le rongorongo, sa poésie et toute la sémantique ! Des répertoires de signes, classés par familles, on été réalisés. Un travail très utile. Mais ces répertoires seront toujours incomplets pour tenter un décryptage : il manque les centaines de tablettes détruites.
La morphologie de cette écriture est complexe ; un signe (ou signifiant) peut contenir plusieurs mots, et un mot en langue rapanui peut révéler plusieurs signifiés. Exemple manu (oiseau, enfant, jeune homme, saison, printemps), marama (lune, nuit, mois, mais aussi intelligence), maori (sage, initié, natif des îles polynésiennes, langage).
Etudier le rongorongo et devenir chercheur reconnu, n’est pas chose facile. Cela peut durer quinze, vingt ans et plus. Il faut prendre son temps, ne pas tenter des publications hâtives, afin d’éviter de grossières erreurs. Il est nécessaire, pour cela, d’avoir une vision large, globale de la culture polynésienne et avoir vécu avec les Rapanui, comme le fit Katherine Routledge. Vivre avec les Rapanui c’est reconsidérer leurs traditions autour du rongorongo, réhabiliter leurs connaissances, même si, hélas, elles furent appauvries, depuis l’esclavage des initiés.
S’il est nécessaire de constituer la banque de données sur tout ce qui a été publié, il faut absolument tout vérifier. Et comme le ferait un journaliste qui reprend une affaire classée, aller faire des recherches dans les notes et les documents officiels de ceux qui de près ou de loin se sont rapprochés des Pascuans et de leur écriture (et ce depuis 1722) : carnets de bord, dessins, photos, publications, registres de la marine chilienne, notes des prélats et des missionnaires.
En fait ce premier chantier constitue le puzzle historique de ces Polynésiens perdus au milieu du grand océan : ils étaient vulnérables et les esclavagistes, arrêtés à temps dans les eaux territoriales des établissements français d’Océanie, se sont dirigés vers eux et en ont lâchement profité.
Cela prend du temps mais il est indispensable d’approfondir une langue polynésienne de la famille du proto-austronésien qui a son origine en Asie du Sud-Est. La langue la plus proche de l’arero rapanui (langage des Rapanui) est l’eo enata (langage des Hommes) jolie expression qui désigne les îles Marquises. Ce qui est logique car la tradition orale raconte que les premiers migrants venaient de Hiva en terre maori. Hiva (Lumière) se trouve aux îles Marquises, encore appelée Henua Enata (Terre des Hommes).
Philologie et linguistique : lorsqu’avec l’aide du regretté universitaire rapanui Clemente Hereveri Teao descendant du lépreux Tomenika, nous avons étudié en profondeur tous ces verbes, tous ces noms patronymiques qui racontent les savoirs faire maori, on comprend comment sont structurés les signes du rongorongo. Le verbe haka ne signifie pas seulement une danse, c’est aussi le verbe faire, entreprendre, et il accompagne souvent une action, un mouvement. Dans le rongorongo il ressemble parfois à un symbole phallique (voyez la ligne fig.1), mais il est imprudent de proposer aux Polynésiens très attaches à leur langue-mère, une interprétation aussi rapide.
Fig.18 Structure du rongorongo
Voici trois signes que l’on peut interpréter aussi bien de droite à gauche que de gauche à droite (fig. 18) : un signe anthropomorphe prolongé d’une main et d’un mouvement, un harpon et ce même mouvement, un poisson toujours avec ce même mouvement. Ce ne sont ni des symboles, ni des signes curieux.
Si on fait un parallèle entre le rongorongo et les écritures archaïques chinoises, par exemple l’écriture des métiers de la dynastie Chang (1600-1050 avant J.C.) nous pouvons aisément avancer l’hypothèse que cette section décrit un savoir faire maori (la pêche au harpon) ou le nom d’un être humain, car si un homme est adroit à la pêche au harpon, on peut lui attribuer ce surnom. Et il le portera durant toute sa vie. Il y a dans toutes les lignes du rongorongo quelques sections qui comme celle-ci ne sont pas tout à fait hermétiques.
Toutes les interprétations des Pascuans ont démontré que le rongorongo ne se lisait pas comme un conte, une histoire ou une légende. Il correspondait à des essais en sémantique, et qu’un signe n’était pas nécessairement relié à un autre. Le rongorongo tel que nous le connaissons actuellement ressemble plus à des dictionnaires qu’à des copulations cosmogoniques entre dieux inventés inventés de toutes pièces et n’ayant jamais existé dans la culture polynésienne. Le rongorongo, le grand message ou la grande étude, fut créé et enseigné par des initiés, de linguistes. Comme pour les écritures asiatiques.
Pour terminer l’étude du travail des Maori rongorongo, il est nécessaire d’observer au microscope les objets dans les musées et ce avec des archéologues compétents car ils ont la possibilité de pouvoir tout révéler de la vie de l’objet : la préparation, la profondeur et la beauté de l’écriture, si des lignes ont été tracées au préalable pour graver un rongorongo régulier et droit, si des perforations ont abîmé l’écriture, si l’objet a été violement sectionné ou abandonné à l’humidité, si l’écriture a été attaquée par les xylophages, enfin s’il a été respecté ou profané.
La couleur, la nature de l’enduit qui servait à conserver le bois, les mains qui ont suivi les lignes et ont enlevé la patine sur certaines sections, enfin la combustion, la tentative de destruction totale. Il est bon de noter que les archéologues reconnaissent très bien les falsifications et il est indispensable de s’appuyer sur leurs conclusions. Madame Catherine Orliac sait faire parler le bois ; l’archéologue Nuriluz Hermosilla a su raconter toute la vie du bâton de maître. Que de belles expériences !
La plupart des objets sont en bois de rose d’Océanie, mais certains furent gravés sur des bois flottants ou apportés à Rapanui avec les voyageurs (meubles, caisses). L’analyse et la datation au carbone 14 n’a pas été faite, sauf pour la petite tablette de Saint Petersbourg : 1680/1740 avec 95% de probabilités. Ce qu’il manque aux archéologues pascuans, c’est la datation de toutes les tablettes, les analyses, la dendrochronologie. Les musées ne coopèrent pas facilement mais je pense qu’ils finiront par le faire un jour… Car en 1995, après la restauration de l’ahu Tonga ariki (fig. 19) par deux brillants archéologues Claudio Cristino et Sergio Rapu -natif de l’île de Pâques, dynastie Miru- l’île de Pâques fut classée au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO.
Fig.19- Ahu Tonga ariki
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