Monde. La liberté de dire non
Deux mois ont suffi. Pour confirmer la capacité de nuisance d’un dictateur en puissance. Avons-nous encore le choix ?

Trump exige, Trump menace, Trump attaque. Conforté par le formidable pouvoir économique, technologique et politique de l’Amérique, le monde, les yeux écarquillés, le voit rebattre les cartes contre un tricheur de poker, jouer les parrains mafieux, cracher sur ses adversaires et humilier ses partenaires, insulter les morts de la guerre et proposer l’exil de toute une population comme on se débarrasse des ordures après un bombardement pour reconstruire un projet flambant neuf à vendre à d’autres clients. Tout cela, on le sait, on l’a compris, à moins d’être sourd et aveugle. Et après ? Que peut-on faire ? Quel est notre choix ?
Il y a ceux qui disent oui. Sous la contrainte. Le président ukrainien Zelensky, humilié en public dans une farce grotesque que lui-même, ex-humoriste, aurait eu du mal à imaginer, doit courber l’échine à se la rompre, accepter la trêve sans garantie exigée par Trump, le « faiseur de paix », et un contrat – ou plutôt un racket de cession de ses terres rares. Face à lui, le parrain prend l’argent mais ne lui promet pas – contrairement aux mafieux siciliens – la garantie de sécurité pour l’avenir. Et Zelensky dit oui, parce qu’il n’a pas le choix.
Il y a ceux qui disent oui parce qu’ils veulent plaire au prince. Regardez les petits rois des grands GAFA, pressés de s’agenouiller auprès de sa majesté Trump pour lui jurer fidélité. Comme Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon et du Washington Post, qui s’est empressé de supprimer la section Opinions de son journal, a donné un million de dollars pour l’investiture de Trump, qui l’a reçu avec Madame à dîner dans sa propriété de Floride, à Mar-a-Lago.
Comme Mark Zuckerberg, PDG de Meta (Facebook), étudiant fluet mué en milliardaire triomphant, acquis désormais aux vertus masculinistes du MMA. Lui aussi a donné des gages en supprimant la section fact-checking (vérification de l’information) de Facebook – la vérité, à quoi bon ? – et a contribué, de son million de dollars, à l’investiture de son nouveau prince. On ne pourra pas reprocher à Elon Musk, lui, d’avoir changé. Il a toujours été à la droite de Trump et a simplement fait son coming-out.
Il y a ceux qui disent oui parce que cela rapporte. Trump a menacé : « produisez sur le sol américain, vous y gagnerez, ou il vous en coûtera. » Chez les narcotrafiquants colombiens, on appelle cela la méthode du Plata o Plomo : l’argent ou le plomb des balles. Un industriel maritime bien de chez nous, Rodolphe Saadé, par ailleurs propriétaire du journal La Tribune du Dimanche, vient d’annoncer, devant un Trump enthousiaste, qu’il allait investir 20 milliards de dollars aux États-Unis : huit pour les porte-conteneurs, sept pour la logistique, quatre dans les ports, un pour le fret aérien. En prévoyant de passer de 10 à 30 navires sous pavillon américain. Un cadeau de 10 000 emplois sur le sol américain.
Il y a ceux qui disent oui parce qu’ils ne disent pas non. Et ce ne sont pas des présidents en danger ou des industriels en quête de profits. Regardez autour de vous. Elon Musk règne sur Twitter, où abondent désormais sans restriction les appels à la haine et les soutiens à l’extrême droite. Il suffirait donc, geste simple, de se désabonner pour marquer son opposition (ce que grands-reporters a fait). Oui, mais on perdrait des lecteurs, des relais, le peu de visibilité ou d’audience que l’on croit avoir. Alors certes, on est en désaccord complet, on le dit, on le crie, mais… attendons un peu avant de quitter Twitter.
Heureusement, tous ne disent pas oui au diktat de Trump. Cela va de la simple individualité à toute une profession, de la célèbre footballeuse américaine Megan Rapinoe au corps des scientifiques outre-Atlantique qui manifestent devant leurs labos, d’un dirigeant de pays à une organisation internationale, du Canadien Justin Trudeau, ferme sur les droits commerciaux, à l’Europe, qui commence à comprendre qu’il faut construire d’urgence une défense commune.
Non, tous ne disent pas oui à la loi du plus fort édictée en règle amorale et planétaire par Trump. Mais combien de temps auront ses opposants et les démocrates du monde entier pour avoir encore la possibilité de ne pas ployer le genou ? Ce qu’on croyait acquis ne l’est pas. Pour paraphraser un poète célèbre qui savait, mieux que quiconque, ce qu’il en coûte de céder à la force brute, il va falloir se battre, face à ceux qui disent oui, pour dire : Liberté, j’écris ton non.