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Dossier esclavage. La traite arabo-musulmane. « Esclaves, les marches de la mort ».

publié le 18/11/2021 | par grands-reporters

Vérités et légendes sur la traite arabo-musulmane

L’historien Salah Trabelsi, professeur des universités en histoire et civilisation du monde arabe et musulman à l’université Lumière de Lyon II, nous explique les rouages de la traite orientale, thème de notre dossier de novembre auquel il a grandement contribué.

 

« Dans l’enfer des marais du bas Irak »

Dans une nature hostile, paysans puis esclaves africains et indiens transforment, au prix de leur vie, des terres désolées en un grenier à blé. Plus que tous les autres pays du Proche-Orient, et encore mieux que l’Égypte et son Nil, l’Irak est le pays le plus riche en terres et en eau.

Dès le début de la conquête de la basse Mésopotamie, les Arabes lui ont attribué le nom de Sawad (« Terres noires »), en raison de l’exubérance des cultures dans ses plaines irriguées par le Tigre et l’Euphrate. Ce territoire immense (environ 50 000 km2) offre les terres les plus adaptées aux multiples variétés de cultures.

Situé au carrefour des principales métropoles urbaines du Proche-Orient, il dispose de grands axes routiers et maritimes, favorisant des liaisons directes avec l’océan Indien et l’Extrême-Orient.

La richesse prodigieuse des sols est cependant mise à mal par les violentes crues des deux fleuves. Les changements soudains de leurs cours et les désastreuses inondations, qui s’étendent parfois sur des dizaines de kilomètres, sèment la ruine et la désolation, anéantissant les cultures, saccageant les habitations et les réseaux d’irrigation.

À ce fléau s’ajoute une forte salinité des terres, aggravée par d’importantes couches nitreuses. Dans cette zone d’accumulation alluviale, les eaux des fleuves forment des deltas successifs et se perdent dans les lacs et les marais qui caractérisent le plat pays. Une partie considérable des terres se trouvent ainsi impropres à l’agriculture, en l’absence d’une politique volontariste d’aménagements hydrauliques, d’autant plus que le régime des pluies est décalé par rapport à la saison de mise en culture.

Pour dompter ces fleuves nourriciers, préserver le travail humain et l’expansion des cultures, il a fallu, constamment, élever des digues, creuser des canaux et – surtout – disposer d’immenses réserves de main-d’oeuvre. Dès la plus haute Antiquité, la question préoccupe les dirigeants. En témoigne le Code d’Hammourabi(1760 av. J.-C.).

Les descriptions des auteurs arabes décrivent le bas Irak comme la province la plus prospère et la plus riche en culture et en contributions. D’après l’historien Al-Baladhuri, le pays mésopotamien aurait connu une crue concomitante du Tigre et de l’Euphrate qui dévasta les cultures et noya plusieurs circonscriptions foncières. Cette catastrophe serait survenue en 628, sous le règne du dernier roi perse et peu de temps avant la conquête arabe.

L’auteur rapporte que le souverain, qui s’était déplacé en personne sur les lieux pour faire obturer les brèches, aurait fait placer en tas de l’argent sur un tapis de cuir et exigea la mobilisation d’un nombre considérable d’ouvriers. L’on dit qu’à propos d’une seule digue il aurait fait exécuter 50 ouvriers, coupables de mollesse.

Les Omeyyades ont été les premiers à remettre en route l’assèchement des marais, interrompu par l’invasion arabe. En accédant au trône, le calife Mu’awiya (qui règne de 660 à 680) nomme un directeur du cadastre, Abd Allah ibn al-Darradj. Celui-ci engage alors un vaste plan de développement régional et recrute de nombreux esclaves. Il fait construire des digues et multiplie les voies d’irrigation, ce qui permet d’augmenter la superficie des terres arables et de dégager un revenu annuel substantiel de « quinze millions de dirhams ».

Mais, en 701, de violentes inondations frappent le sud de l’Irak. À vrai dire, ces dévastations surviennent en 690 à la suite de la première révolte des esclaves zendj, originaires d’Afrique et employés dans la vallée de l’Euphrate. Les textes parlent du coup d’éclat de quelques bandes de marrons, excédés par la faim et les cadences infernales du travail dans les salpêtrières.

En 695, les esclaves font à nouveau parler d’eux. C’est alors au nouveau gouverneur de l’Irak, Al-Haggag, de faire face à leur fronde et au déchaînement des eaux.

Endiguer les fleuves… et les révoltes !

De retour à Basra, après une longue campagne militaire contre l’anti-calife de La Mecque, Al-Haggag charge son préfet de police de la lutte contre les esclaves. Mais ces derniers, plus aguerris que par le passé, se choisissent un chef surnommé Shir Zendji (« le Lion des Zendj »). L’expédition gouvernementale échoue, la troupe omeyyade est taillée en pièces et son commandant, mis à mort.

Une nouvelle armée, sous la conduite de Kuraz al-Sulami, est alors mobilisée avec des renforts venus de toutes les provinces. Al-Sulami prend en main la direction des opérations et finit par mater la rébellion, contraignant la majeure partie des esclaves à regagner l’enfer des marécages. Mais les campagnes, dévastées par la rupture des digues, le saccage des jardins et des récoltes, ne sont plus qu’un vaste champ de ruines.

Al-Haggag déploie alors toute son énergie pour redonner vie à ces contrées désolées. Il décide de continuer les chantiers engagés par ses prédécesseurs – il est surtout question de creuser un canal, dérivé de l’Euphrate. Or une montagne fait obstacle à l’ouvrage et il faut ouvrir un passage pour l’eau afin d’arroser les terres et les cultures situées en aval de la nouvelle ville de Wasit. Les ingénieurs se montrent sceptiques, en raison du manque de moyens humains et financiers.

Al-Haggag ne se laisse pourtant pas décourager. Pour mener à bien ce projet et préserver ses finances, il décide de réduire drastiquement les coûts d’entretien alimentaire des esclaves. Une fois évalués les besoins requis, par jour et par travailleur, il recommande de fixer la part de chaque ouvrier au prorata de l’effort fourni et de la quantité de terre dégagée.

Un budget d’environ un million de dirhams est affecté aux travaux de réparation. Mais la somme s’avère insuffisante. Finalement, c’est le frère du calife qui accepte de prendre, à son compte, les frais de remise en état des districts sinistrés, à condition de s’adjuger, une fois l’argent dépensé, toutes les terres restées inondées. D’après les chroniqueurs arabes, ce prince s’appropria ainsi plusieurs districts attenants les uns aux autres.

Pour remédier au manque de bras, Al-Haggag décida de mettre fin à l’exode rural. Il força les villageois déjà émigrés dans les villes à retourner dans les campagnes. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux furent marqués d’un tatouage indélébile et reconduits pour être attachés à la glèbe.

En même temps, il ordonna le transfert, dans les marais, de peuplades indiennes : des Zott faits prisonniers dans le Sind [dans l’actuel Pakistan]. Le préfet espérait ainsi juguler le déficit en main-d’oeuvre et, en même temps, affaiblir la cohésion ethnique des esclaves, jugés indociles et factieux.

Les travaux d’assèchement et de développement agricole furent poursuivis durant le long règne (691-743) du calife Hisham. À l’époque abbasside, des travaux de grande envergure furent relancés pour colmater des terres et créer de nouveaux domaines fonciers.

Mais, de 869 à 883, la troisième révolte des Zendj (lire l’encadré page suivante) contraria gravement les projets d’opulence et de puissance de l’empire. Et, dès le milieu du XIIIe siècle, l’invasion des Mongols et les destructions qui en résultèrent finirent de ruiner profondément la région.

PAR SALAH TRABELSI ,

HISTORIEN

 

VIIe -XXe siècle, l’esclavage en terres d’islam.

Attention, sujet miné !

Longtemps occulté par le commerce transatlantique, l’esclavage en terre musulmane, qui court sur treize longs siècles, commence à peine à être étudié.

Une mission ambitieuse pour les historiens mais également un devoir de mémoire pour les millions de victimes de cette prédation de masse.

Historia publie un numéro passionnant, nourri notamment par le travail de l’historien Salah Trabelsi, dont grands-reporters.com vous donne ci-dessous un aperçu.

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