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Napoléon, le poison à un cheveu du complot

publié le 01/03/2020 | par grands-reporters

Perfide Albion ! Non contente de détenir l’Empereur, elle l’élimine de la plus lâche des manières. Mais en est-on bien sûr ? Car, à Sainte-Hélène, les meilleures intentions furent parfois aussi les pires…


Aujourd’hui, la réponse ne fait plus de doute. La communauté scientifique s’accorde sur ce point : oui, Napoléon a bien été empoisonné, mais… par ses médecins ! Le 3 mai 1821, alors qu’il souffre le martyre, ces derniers, impuissants à endiguer son mal – le Français Antommarchi et trois Anglais, Arnott, Mitchell et Shortt -, décident de lui prescrire des grains de calomel, espérant ainsi le ramener à la vie. En fait, ils sont sur le point de l’achever.

La composition de ce « médicament », réputé purger « doucement par les selles », fait froid dans le dos : du chlorure de mercure. Utilisé contre la syphilis, le mercure est alors une sorte de remède universel devenu, après les saignées dénoncées par Molière, la nouvelle panacée pour toute une génération de praticiens.

Or, non seulement le mercure ne soigne pas, mais il affaiblit le malade et le fait horriblement souffrir car hémorragique. Napoléon, atteint d’ulcère, se vide de son sang après absorption d’une dose massive de mercure. Après deux nuits de souffrance, il expire le 5 mai 1821.

Mais ce n’est généralement pas cette intoxication-là que l’on évoque à propos de Napoléon, mais plutôt un empoisonnement à l’arsenic. L’affaire naît au milieu du siècle dernier. En 1955, un stomatologue suédois, Sten Forshufvud, croit faire la découverte du siècle. Le sang de ce toxicologue averti ne fait qu’un tour quand il découvre les Mémoires du valet de chambre de Napoléon, Marchand. De son point de vue, les souffrances de l’Empereur correspondent exactement aux symptômes d’un empoisonnement à l’arsenic (lire p. 64-69).

Près de dix ans après la publication de son livre, sa thèse est confirmée par une analyse de cheveux de l’Empereur rapportés de Sainte-Hélène. En 1964, le laboratoire de recherches nucléaire Harwell, près de Londres et appartenant à l’université de Glasgow, est formel : les cheveux de Napoléon contiennent une dose massive d’arsenic et son empoisonnement est chronique. L’affaire semble donc entendue, mais les historiens, Jean Tulard en tête, reste plutôt dubitatifs.

DE LA MORT-AUX-RATS

Les analyses capillaires continuent et, en 199 8, on en recense déjà près d’une vingtaine. Toutes parviennent à la même conclusion : le captif a été empoisonné. Mais ces résultats sont contestés avec les arguments suivants : les cheveux n’appartiennent pas à Napoléon, l’arsenic proviendrait du papier peint de la chambre de l’Empereur, du charbon de chauffage ou simplement aurait été utilisé pour la conservation des cheveux. Pour trancher le débat, le milliardaire canadien Ben Weider, un passionné de l’Empereur, finance une série d’analyses (en 2002, 2006 et 2007) pour connaître l’origine de l’arsenic.

Après une décontamination dans les règles de l’art, l’arsenic détecté se révèle être d’origine minéral, comme celui que l’on trouve dans la mort-aux-rats. Et les quantités observées par une équipe française sont massives. La conclusion semble logique : Napoléon a ingéré pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, de la mort-aux-rats ! Ne reste apparemment plus qu’à trouver le coupable. On évoque alors comme assassins possibles le gouverneur Hudson Lowe, voire l’un des derniers compagnons de l’Empereur, le comte de Montholon !

Mais, en 2002, les « empoisonnistes » connaissent un sérieux revers. Le Pr Ivan Ricordel, qui dirige le laboratoire toxicologique de la préfecture de police de Paris, a alors la bonne idée de pratiquer des analyses sur des cheveux de Napoléon coupés à différents moments de sa vie, en 1805 et 1814 notamment. Les résultats sont édifiants : tous contiennent de l’arsenic alors même qu’ils ont subi, comme ceux de 1821, un traitement censé les purifier de toute contamination arsenicale exogène.

L’étude se conclut ainsi : « Si l’arsenic était la cause de la mort, Napoléon aurait trépassé trois fois. » En 2008, une étude italienne continue dans la même voie et soumet à ses appareils pas moins de 22 cheveux, deux appartenant à Joséphine, huit à l’Aiglon, le fils de Napoléon, et 12 à l’Empereur, dont deux sont antérieurs à 1821 (coupés en 1770 et 1814). Si les valeurs en arsenic sont assez faibles pour l’impératrice, en revanche pour l’Aiglon, elles sont assez élevées et, pour Napoléon, elles varient de 7,3 ng/mg, pour le cheveu coupé en 1770, à 12,4 et 15, pour ceux provenant de Sainte-Hélène.

De quoi y perdre son latin ! D’autant qu’une étude allemande a montré que la valeur en arsenic d’une mèche de 1814 culmine à 33 ng/mg ! Et plus récemment, une étude française réalisée en 2009 montre une forte imprégnation en arsenic des cheveux de Madame mère et n’en trouve plus dans des cheveux de Napoléon prélevés juste après sa mort…

Au total, près de 70 mèches de cheveux appartenant à Napoléon ou à sa famille ont voyagé partout dans le monde, des laboratoires du FBI à ceux de la préfecture de police de Paris, pour être irradiées, analysées, soumises aux rayons gamma, plongées dans des bains d’acétone, hydrolysées puis chauffées – pour un résultat somme toute confus.

Il faut néanmoins se rendre à l’évidence : si les cheveux de Napoléon contiennent de l’arsenic, la cause est sûrement liée à l’environnement – à moins de considérer qu’un empoisonneur a tenté d’intoxiquer l’Empereur pendant près de quinze ans. Dans cette dernière hypothèse, soit ce dernier a pris son temps, soit nous avons affaire à l’empoisonneur le moins doué de l’Histoire !

En conclusion, à force de couper tant de cheveux en quatre, on s’est éloigné progressivement de l’analyse purement historique, fondée sur le document et la critique des sources. Et, surtout, on a inversé le sens logique dans cette affaire d’empoisonnement à l’arsenic. Avant de rechercher les preuves d’un meurtre, il faut qu’il y ait eu meurtre.

Or, dans le cas de Napoléon, rien n’a jamais plaidé en faveur de cette thèse dans les multiples témoignages ou dans les milliers de pages d’archives dont on dispose.
Tout indique au contraire que Napoléon a succombé à une maladie de l’estomac, très probablement due à son ulcère, et que son existence fut écourtée à cause des prescriptions de ses médecins, l’intoxication médicamenteuse étant parfois plus redoutable que le plus efficace des poisons.

Par Pierre Branda

 

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