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L’ardu retour d’une repentie de l’État islamique

publié le 02/03/2016 | par Luc Mathieu

Sur la vidéo tournée par des combattants kurdes, elle se tient droite, mains posées sur les genoux. Hélène (1), 23 ans, raconte son histoire, sa fuite de l’État islamique (EI) en Syrie qu’elle avait rejoint en volontaire en décembre 2014. La jeune Française, originaire de la région lyonnaise et convertie à l’islam en août 2014, est arrivée lundi dans l’Hexagone. Placée immédiatement en garde à vue par la Direction générale de la sécurité intérieure, elle a été relâchée mercredi dans la soirée. Libre, elle peut néanmoins être reconvoquée par la police et mise en examen dans les semaines qui viennent.


Des combattants de l’Armée syrienne libre devant une base utilisée par des combattants de l’Etat islamique, le 8 janvier 2014 à Manbij. Photo Nashwan Marzouk. Reuters

Dans les messages enregistrés qu’elle envoyait à sa mère, ou lors de son interrogatoire par les Kurdes, que Libération a obtenus il y a quelques semaines en Turquie, Hélène semble autant perdue que soulagée. Elle a été exfiltrée de Manbij, l’un des fiefs syriens de l’EI, en décembre. Elle y était arrivée en 2014 pour se marier avec un jihadiste. Elle sera remariée au moins deux fois, à mesure que ses époux sont tués au combat. Le dernier, semble-t-il, la battait. Enceinte, elle a décidé de s’enfuir.

Elle est passée par l’un de ces réseaux syriens qui aident les candidats au départ. L’entreprise est risquée et complexe. Il faut aussi parfois payer. Les parents d’Hélène ont déboursé 6 000 euros. Environ 1 500 ont été escroqués par un faux passeur. Selon le récit enregistré de la jeune Française, c’est un Kurde du YPG (Unités de protection du peuple) qui a organisé son évasion.

«Oui, c’est moi». Un jour de décembre, raconte-t-elle, une femme vient à sa rencontre dans une rue de Manbij. Elle lui montre une photo et lui demande : «Ça, c’est toi ?» «J’ai dit « oui, c’est moi ». On me récupère aujourd’hui, c’est ça ?» Alors que les deux femmes se dirigent vers la voiture du passeur kurde, Hélène a peur de croiser son mari. «Malgré le voile intégral, il risquait de me reconnaître à mes chaussures ou à mon sac. On essayait de marcher l’air serein.»

Le mari n’est pas là, la Française et son accompagnatrice embarquent dans la voiture. Le passeur lui dit de rester silencieuse aux barrages de l’Etat islamique, de seulement hocher la tête pour signifier «oui» ou «non» si on lui pose des questions. Elle est toujours terrorisée. «Pendant un an, on m’a dit : « Tu ne dois pas parler à des hommes, tu ne dois pas montrer ton visage à des hommes. » On m’a traumatisée avec ça. Je n’osais pas parler avec lui dans la voiture.» Le trajet se déroulera sans encombre, avec un arrêt à un seul barrage, franchi grâce à une fausse carte d’identité. «On est passés, c’est bon, l’EI, c’est fini», dit-elle.

Quelques kilomètres plus loin, elle reconnaît le drapeau vert, jaune et rouge des Kurdes du YPG, qui combattent l’EI. Elle est conduite dans une maison des environs de la ville de Qamishlé (nord-est). Elle n’est toujours pas rassurée. «J’ai eu peur. Pendant un an, on m’a décrit ces gens [les combattants du YPG, ndlr] comme des monstres qui violent les femmes et tuent les enfants. Et moi, j’étais toute seule, qu’allait-il m’arriver ?» Mais elle craint plus que tout d’être rattrapée par l’EI. «Des gens se font tuer pour moins que ça.»

Petit à petit, elle comprend qu’elle est en sécurité. Elle est surprise que ceux qui l’hébergent lui demandent si elle a faim, ou froid, ou besoin de médicaments. «Mon propre mari ne m’emmenait pas chez le docteur, je n’avais pas les médicaments dont j’avais besoin.»

Débutent près de deux mois d’attente. La famille est tenue au courant mais ne peut pas lui parler directement. A Gaziantep, en Turquie, des intermédiaires qui ont participé à l’exfiltration ou l’ont suivie s’impatientent. Depuis Qamishlé, des combattants kurdes envoient des messages encourageants, affirmant qu’Hélène pourra bientôt rentrer en France. La possibilité qu’elle quitte la Syrie pour la Turquie est évoquée mais devra être abandonnée. Les autorités turques ont verrouillé leur frontière depuis plusieurs mois. La franchir clandestinement est dangereux. Le plus simple est que la Française passe par le Kurdistan irakien, puis rejoigne Erbil et la France.

Hypothèse. Mais rien ne se passe. Problème d’argent ? Les gardiens kurdes d’Hélène affirment le contraire et recommandent à la famille de ne plus payer quiconque. Certains émettent l’hypothèse que les autorités françaises préfèrent empêcher le retour de l’ancienne membre de l’Etat islamique. Contactée à l’époque par Libération, l’ambassade de France à Ankara répond qu’elle n’a pas connaissance du cas d’Hélène et que tout citoyen français a le droit de revenir en France.

En réalité, ce sont des problèmes entre groupes kurdes qui semblent empêcher la Française de passer en Irak. Les combattants du YPG syrien dépendent du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), turc, en guerre contre la Turquie. De l’autre côté de la frontière, en Irak, les Kurdes du PDK (Parti des démocrates du Kurdistan), dirigé par Massoud Barzani, sont, eux, en bons termes avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

La situation se débloque finalement fin février. Hélène rejoint Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, avant de s’envoler une semaine plus tard pour la France. D’après un proche du dossier, les enquêteurs français qui l’ont interrogée en début de semaine l’ont trouvée «très influençable».
(1) Le prénom a été modifié.


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