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L’aveu de Netanyahou

publié le 24/03/2015 | par René Backmann

Lourd de peur et de haine, le résultat des élections législatives israéliennes, remportées largement par le Likoud de Benjamin Netanyahou a révélé un pays traumatisé, profondément divisé. Et un électorat pris en otage par un politicien cynique et paranoïaque, habité par une unique obsession : conserver le pouvoir. Ce qu’il va faire si le chef de l’Etat lui propose, comme on peut l’attendre, de constituer le gouvernement. Les propos qu’il a tenus, les positions qu’il a affirmées pendant la campagne – et au cours des mandats écoulés – lui permettent de réunir, une fois encore, une coalition de droite et d’extrême droite représentant une large majorité des électeurs.

« Si après six ans de rien, si après six ans au cours desquels ont été semées la peur et l’anxiété, la haine et le désespoir, c’est le choix de la nation, c’est que cette nation est gravement malade, constate Gidéon Levy, l’un des analystes politiques de Haaretz. Si après tout ce qui a été révélé, ces derniers mois, si après tout ce qui a été écrit et dit,, si après tout cela le phénix israélien réussit à renaître des cendres pour être réélu, si après tout cela, le peuple d’Israël le choisit pour diriger le pays pendant quatre années supplémentaires, c’est que quelque chose est cassé, peut-être irréparablement ».

Lorsqu’on a suivi les dernières semaines de la campagne de Benjamin Netanyahou, depuis son incroyable intervention devant le Congrès des Etats-Unis, pour dénoncer la « naïveté » du président américain face à l’Iran, jusqu’aux commentaires racistes sur les électeurs arabes israéliens, on peut comprendre le désespoir indigné de Gideon Levy.

Aussi désastreux soit-il pour tous ceux qui attendaient un changement de politique économique et sociale et pour les partisans d’un accord de paix juste avec les Palestiniens, ce scrutin comporte cependant un enseignement salutaire : il confirme de la manière la plus claire que Benjamin Netanyahou n’a aucune intention d’accepter un retrait israélien des territoires palestiniens occupés et l’établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza.

Il montre donc, à ceux qui refusaient encore de le voir, que le premier ministre israélien, loin de rechercher un accord de paix, se satisfait d’un statu quo fondé sur l’énorme déséquilibre des forces entre Israël et les Palestiniens. Après avoir laissé avancer cette position par ses partisans dans un tract électoral, il a fini par l’assumer publiquement dans une interview au journal en ligne pro-colonisation NRG, propriété de son ami et mécène Sheldon Adelson, magnat américain des casinos.

Ainsi les choses sont claires. Le discours de l’université Bar Ilan, en juin 2009, où le premier ministre israélien avait accepté, du bout des lèvres « le principe d’une solution à deux Etats » avec un « Etat palestinien démilitarisé » est désormais caduc. En vérité, malgré cette concession verbale surtout destinée à complaire au nouveau président américain Barack Obama, la position de Netanyahou, sur ce point, n’avait jamais fait de doute.

La colonisation de la Cisjordanie et de Jerusalem-Est, qu’il a largement développée depuis son arrivée au pouvoir en 2009, répond autant à une exigence idéologique qu’à un projet stratégique clair, régulièrement dénoncé par B’Tselem et La Paix maintenant, comme par l’Union européenne : rendre impossible par l’occupation et le morcellement du territoire la création d’un Etat palestinien.

Clairement assumée par le premier ministre, cette politique est incarnée par la présence au sein des coalitions gouvernementales successives des représentants des colons, dont plusieurs ont détenu – et détiendront sans doute dans le prochain gouvernement – des fonctions ministérielles majeures. Cette politique s’est traduite depuis 2009, par une augmentation très sensible du nombre des colons : en six ans la population juive en Cisjordanie et à Jerusalem-Est est passé de 483 000 à près de 550 000 et des formules juridiques inédites ont été mises en œuvre pour « légaliser » les colonies sauvages.

Faut-il le rappeler : aucun des prédécesseurs de Netanyahou – travaillistes compris – n’a eu depuis la signature des accords d’Oslo en 1993, le courage de décréter le gel durable de la colonisation qui aurait au moins créé un climat plus favorable à une négociation de paix. Mais aucun, avant Netanyahou, n’a élevé le développement de la colonisation au rang d’une priorité stratégique destinée à garantir la survie du pays. Pour Itzhak Rabin, qui n’était pourtant pas un « cœur saignant » acquis à la cause arabe, la conclusion d’un accord de paix reposant sur la coexistence de deux États était vitale pour la sécurité et l’avenir d’Israël.

Pour Netanyahou, ce sont la poursuite de l’occupation, le développement de la colonisation et le rejet d’un État palestinien, qui garantissent l’accomplissement de sa vision de l’avenir d’Israël. C’est clair. Et c’est effrayant. Au point que certains conseillers de Barack Obama avancent que Washington pourrait, pour la première fois, soutenir une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, défendant une solution au conflit israélo-palestinien fondée sur la coexistence de deux Etats.

Précision.

Quarante huit heures après avoir publiquement renié son discours de Bar Ilan, Netanyahou a, tout aussi publiquement, renié son reniement. Sans doute avait-il mesuré l’effet désastreux que ses propos avaient eu, notamment aux Etat-Unis où Barack Obama n’avait pas caché sa colère. Y compris dans le contenu de la conversation téléphonique de « félicitations » qu’il a eu, deux jours après l’élection, avec Netanyahou. Mais le reniement post-electoral du reniement pré-électoral n’a pas eu l’impact attendu par le vainqueur des élections. Au contraire.

En changeant sinon d’avis, du moins de discours, aussi rapidement, le premier ministre israélien a démontré, une fois encore son opportunisme politicien et son incapacité à agir en homme d’état, ce qu’ont immédiatement déploré observateurs nationaux et étrangers.

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