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Le licenciement d’Hélène Risser, responsable des documentaires de Public Sénat suscite l’émoi ( Le Monde )

Bloc-Notes publié le 24/01/2022 | par grands-reporters

Un litige oppose le président de la chaîne, Christopher Baldelli, et la journaliste Hélène Risser, à la tête du pôle documentaires depuis 2009, autour de la diffusion d’un film sur l’Occupation, le 6 novembre 2021.

Par Aude Dassonville   publié dans le journal Le Monde

L’information n’est pas encore officielle, mais elle fait déjà grand bruit parmi les producteurs de documentaires : la responsable de ces programmes pour la chaîne parlementaire Public Sénat, Hélène Risser, est licenciée. La journaliste, arrivée sur la chaîne en février 2006, a reçu sa lettre le 6 janvier, après un entretien préalable avec le président, Christopher Baldelli, trois jours plus tôt.

Motif principal invoqué : de graves manquements à ses obligations professionnelles dans le cadre de la préparation d’un documentaire produit par la société Tournez s’il vous plaît (TSVP). Le directeur de l’antenne et des programmes, Jean-Philippe Lefèvre, le plus ancien salarié de la chaîne (il est arrivé en février 2000), est lui aussi sur le départ.

A l’origine du litige qui oppose la journaliste et le président depuis le 1er juin 2021, une séquence du film René Carmille, un hacker sous l’Occupation, diffusé le 6 novembre. Ce premier documentaire de Youssr Youssef se présente comme l’enquête d’une étudiante, fraîchement diplômée de l’Ensae (l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique) sur le fondateur de son école, créateur sous l’Occupation du Service national des statistiques, futur Insee.

Adoptant un ton résolument candide, voire naïf, la jeune femme lance son récit autour de cette interrogation : à l’été 1940, soit entre la signature de l’armistice et le début de la collaboration, Philippe Pétain savait-il que René Carmille mettait ses compétences au service d’un projet ultra-secret de remobilisation de combattants contre l’occupant nazi ? Et lui, le collaborationniste frappé d’indignité nationale en 1945, l’aurait-il laissé faire en connaissance de cause ?

La réponse, évidemment négative et sans équivoque, est apportée plusieurs fois au cours du film par différents historiens. Mais cette séquence introductive choque Christopher Baldelli au point que, trois jours avant la diffusion du documentaire, il demande que soient supprimées les deux minutes du film qui, à ses yeux, posent « un problème majeur », susceptible d’exposer la chaîne à une accusation de « complicité de révisionnisme ».

En total désaccord avec cette lecture, Hélène Risser conteste toute ambiguïté, mais se tourne tout de même vers le producteur pour qu’il remanie ce passage.

« Volonté de réorganiser la ligne éditoriale »

« A l’époque, Eric Zemmour venait de faire polémique en prétendant que Pétain avait sauvé des juifs français, justifie Christophe Brûlé, rédacteur en chef à TSVP. Nous avons modifié le film à la demande de Christopher Baldelli parce que le contexte était sensible. Pas du tout parce qu’il était entaché du moindre soupçon de révisionnisme. Dans cette affaire, nous prenons une balle perdue. » Fin octobre 2021, le film avait été projeté en avant-première à 200 personnes, dont des historiens, mais aussi envoyé à la presse (Historia, Le Monde, L’Obs, Télérama, etc). « Il n’avait reçu que des bonnes critiques », souligne un salarié de la chaîne.

Contacté, Christopher Baldelli distingue le cas de Jean-Philippe Lefèvre, dont le départ aurait lieu « sans contentieux entre [eux] », de celui d’Hélène Risser, sur lequel il ne souhaite apporter aucun commentaire. « Ces décisions donnent l’impression d’une volonté de réorganiser la ligne éditoriale de la chaîne », s’inquiète Rémi Lainé, documentariste et président de la Société civile des auteurs multimédia.

Car avec le départ de la journaliste, c’est aussi l’émission de décryptage des stratégies de communication des politiques « Hashtag », anciennement « Déshabillons-les », qui disparaît brutalement, près de quinze ans après sa mise à l’antenne et moins de quatre mois avant la prochaine élection présidentielle.

Se disant « totalement solidaire » des signataires d’une tribune à Emmanuel Macron parue le 16 janvier dans Le Journal du dimanche, appelant à soutenir le documentaire français, Christopher Baldelli présentera la ligne éditoriale de sa chaîne pour les années à venir, jeudi 20 janvier au matin, au Festival international de programmes audiovisuels documentaires de Biarritz. L’occasion pour quelques producteurs de lui réclamer des éclaircissements, et de faire part de leur vigilance.

« Public Sénat est un acteur important pour nous, confie l’un d’eux. Non seulement la chaîne met entre 18 000 et 20 000 euros par documentaire pour des films en première diffusion et 6 000 à 7 000 pour une deuxième diffusion, mais elle s’engageait jusqu’ici sur des films difficiles. »

La chaîne en cofinance une trentaine par an. Un choix éditorial qui ne manquait pas de panache : Public Sénat était ainsi coproductrice du documentaire qui a décroché le prix Albert-Londres dans la catégorie audiovisuel en novembre 2021.


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