Le secret des Erythréens
En fréquentant les Erythréens en exil s’approfondit le sens du secret. Ce que mes amis d’Asmara m’avouent, me racontent et me confessent, jamais je ne pourrais le dire publiquement. Un monde s’anime sans que l’on puisse le partager. Une conversation fait naître des galaxies, mais on ne peut jamais les donner à d’autres, frustration suprême pour un journaliste mais quel richesse pour un homme !
La manie de l’espionnage, le goût enfantin de la disparition et de la surprise est une caractéristique de ces anciens combattants de l’Eritrean People’s Liberation Front que je rencontre depuis des années maintenant. Ils font irruption dans ma vie, mettent des histoires dans mes poches et disparaissent. Que faut-il en faire ? Rien, souvent. Les scellés hermétiques placés par Issaias Afeworki autour de son pays et de ses compatriotes interdisent toute vérification sérieuse. La presse française, mon employeur, s’en moque.
Combien d’informations m’a-t-on données et dont je ne peux rien faire, pas même sur ce blog ? Les Erythréens sont des apparitions. Ils glissent leur cœur dans les poches des étrangers et s’en vont sans espoir de retour.
Ils refusent d’être photographiés. Ils supplient de ne pas donner leur nom. Leurs craintes sont irrationnelles jusqu’à ce que la réalité leur donne raison. Une entorse à la règle et s’ouvrent les portes de l’enfer. C’est alors épouvantable. Les membres de leur famille restés au pays sont jetés dans les bagnes du parti unique. Ils disparaissent corps et biens. Ils meurent. Le gouvernement nie jusqu’à leur existence.
Un après-midi entier passé avec S. et ses enfants, l’autre jour, dans Paris, en a fait la terrible démonstration. Ma compagne Ariane les a photographiées, les yeux mouillés de larmes. Et nous ne pouvons partager ces images somptueuses qu’avec nos amis.
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