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« Les Brésiliens ».

Livres publié le 26/11/2014 | par Marie Naudascher

Bienvenue au pays des superlatifs. Au Brésil, tout est o maior do mundo, « le plus grand du monde ». C’est « le plus grand pays catholique du monde », le « plus grand carnaval du monde », le « plus grand stade de football du monde »? Et bien sûr « Dieu est Brésilien ». Mais si l’on va au-delà de ces quelques clichés, qu’est ce qui rassemble les Brésiliens ? Dans les mégalopoles, les habitants des favelas, peinent encore à se comprendre. Si la violence affecte principalement les jeunes Noirs des périphéries et des favelas – affichant un taux de 29 homicides pour 100 000 habitants – comment le Brésil, où se côtoient Noirs, Indiens, métis et Blancs peut-il être si divers et si raciste à la fois ? 7e puissance mondiale, leader économique du cône sud, grenier du monde, pays de la biodiversité, le Brésil est aujourd’hui un pays « émergé » . Un voyage humain, coloré et rythmé.

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« Si nous, qui sommes entraînés pour tuer, montrons aux gens que nous avons aussi besoin de Jésus, alors tout le monde comprendra la force de Dieu ».


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«  » » » L’équilibre religieux menacé.

Avec 123 millions de fidèles, le Brésil reste le « premier pays catholique au monde ». Ils représentent 64,6 % de la population, contre 73,6 % il y a dix ans. Un recul qui s’explique par la croissance des évangéliques : entre 2000 et 2010, plus de 16 millions de Brésiliens ont rejoint une église évangélique, rassemblant désormais 22 % de la population.
Si en 1872, lors du premier recensement, 99,7 % des Brésiliens se déclaraient catholiques, il existe aujourd’hui au Brésil d’autres courants religieux : le spiritisme avec ses 3, 8 millions d’adeptes (soit 2 % de la population), mais aussi le candomblé et l’umbanda, des religions afro-brésiliennes.

Il est difficile de connaître le nombre exact d’adeptes de ces religions, tant les pratiques se mélangent. Un Brésilien peut se déclarer catholique et se rendre au « terreiro », pour pratiquer le candomblé.
Dès 2030, évangéliques et catholiques seront au coude à coude. Avec leurs pasteurs auto-proclamés et leur prosélytisme social redoutable, les évangéliques s’installent là où l’État et l’Église catholique ont cessé d’exister. En politique, les candidats affichent sans complexes leurs croyances et leur appartenance à telle ou telle église. Dans un État laïque, ce mélange des genres peut surprendre.

Au sein même du BOPE, la police d’élite de Rio de Janeiro, la « Troupe des Louanges » a construit son lieu de culte. Chaque semaine, des policiers s’y réunissent pour prier et chanter. Et leur action militaro-religieuse séduit aussi dans les quartiers populaires : la Bible dans une main, la mitraillette dans l’autre, ils prêchent la bonne parole lors de grands concerts dans les favelas, et éditent même leurs musiques.

« Soyez les bienvenus, mais ne faites pas de mouvements brusques », avertit très sérieusement une grande affiche à l’entrée du quartier général du BOPE. Nichée sur l’une des collines de Rio, entre la favela et un quartier résidentiel de Laranjeiras, l’institution militaire d’élite soigne son image, toutes en nuances. Quand un pick-up noir chargé d’hommes armés quitte la base, un cri glaçant et strident accompagne leur sortie, comme pour les ressaisir avant une mission périlleuse. Un son presque animal. C’est le dernier endroit où l’on s’attendrait à entendre des chants gospels. Pourtant, après des années de négociations, en 2009, « la Troupe des Louanges » a obtenu son petit local, au sein de la caserne.

« La force de tes bras, la protection de tes mains, c’est pour toi Seigneur que nous nous battons, et nous te confions nos victoires », chantent en chœur le Sergent Valmir, guitare à la main, et une dizaine de policiers, en uniforme. Dans leurs dos ou sur leurs tatouages, le symbole de la corporation : une tête de mort traversée d’un poignard et de deux pistolets. Au loin, la vision du Pain de Sucre rappelle que la « ville merveilleuse » est en train de vivre une profonde mutation de sa politique de sécurité. La carte postale veut se montrer sous son meilleur jour pour accueillir les touristes, et le BOPE est en première ligne.

Depuis 2009, la lutte contre le crime organisé est devenue la priorité de la ville de Rio de Janeiro, avec la mise en place des Unités de Polices Pacificatrices (UPP). Précédé du « caveirão », le char des opérations spéciales, le BOPE entre, au petit matin, et expulse les trafiquants pour reprendre le territoire. Dans les favelas, le « caveirão » fait trembler petits et grands lors des opérations de police, toujours accompagnées de tirs.

Mais dans la communication de l’institution militaire, « Arts martiaux » et « Troupe des Louanges » se côtoient sous l’onglet « Projets sociaux ». Après les inondations de la région de Nova Friburgo en 2012, les « Caveiras do Cristo » (« les têtes de mort du Christ ») ont chanté devant 40 000 personnes, pour récolter des fonds. Pour le sergent André Monteiro, le BOPE doit présenter une image plus humaine de la corporation : « Si nous, qui sommes entraînés pour tuer, montrons aux gens que nous avons aussi besoin de Jésus, alors tout le monde comprendra la force de Dieu ».

La popularité de la troupe semble répondre aux aspirations spirituelles et sociales des communautés pacifiées par l’action conjointe du BOPE et des UPP. « Les gens nous demandent quand nous viendrons nous produire dans leur favela, et c’est le meilleur vecteur de proximité que nous puissions leur proposer », justifie le sergent Valmir de Souza Silva, défendant la réussite des UPP.

Selon Cesar Romero Jacob, professeur de sciences politiques à l’Université Pontificale Catholique de Rio (PUC-Rio), en 2040, les évangéliques auront dépassé les catholiques, aujourd’hui majoritaires, dans l’Etat de Rio de Janeiro. Ce n’est pas un hasard si c’est dans cette ville qu’ont été organisées les Journées mondiales de la Jeunesse, en Juillet 2013. Sur la plage de Copacabana, les « JMJ » ont rassemblé plus de 3 millions de pèlerins, un record depuis la création de ces journées par le Pape Jean-Paul II, il y a vingt ans.

« Très bien ce travail du Pape, mais pour nous, il ne représente rien, nous grandissons tous les jours, et ce n’est pas lui qui va changer notre popularité », ironise le pasteur Silas Malafaia, leader de l’église « Vitória em Cristo », proche de la très puissante « Assembleia de Deus ». Pendant les JMJ, alors que les pèlerins du monde entier attendaient le Pape François, le pasteur Malafaia est acclamé comme une rock star par trois mille fidèles. Dans l’église toute neuve du quartier populaire de Madureira, la foule se balance comme dans une salle de concert, sur des rythmes entêtants. « Moi, je viens ici pour prier, mais aussi pour me défouler », raconte Eliana, 25 ans, arborant un tee-shirt à l’effigie du pasteur.

Ici, parler d’argent et de réussite sociale n’est pas un tabou. « Si tu donnes à Dieu ta vieille voiture, le lendemain, il te rendra le triple, et une Mercedes t’attendra devant ta maison », prophétise le pasteur, dont la « parabole de la Mercédès » ravit les médias. Au début du culte, les fidèles sont invités à donner le dizimo, le dixième de leur salaire, dans une enveloppe, ou par carte bancaire, comme au supermarché. La théologie de la prospérité, prônée ici, attire de plus en plus la nouvelle classe moyenne, dont les conditions de vie se sont sensiblement améliorées au cours des dernières années. La quête spirituelle et la soif de consommation font bon ménage sur les bancs du pasteur Malafaia.

Le business de la foi est florissant au Brésil. En témoigne la richesse des foires et librairies consacrées aux objets religieux : protège-bibles acidulés, jeux éducatifs bibliques, CD des grands noms de la scène gospel… C’est aussi dans la capitale économique, à São Paulo que « l’Eglise Mondiale du Pouvoir de Dieu » a inauguré un immense temple pour 140 000 personnes.
La force des évangéliques réside dans leur présence et leur réseau. Dans les périphéries et les communautés pauvres, délaissées tant par l’Eglise catholique que par l’Etat, faire partie d’une église, c’est entrer dans une nouvelle famille. Les membre s’appellent « frères » et « sœurs », et s’entraident dans leur quotidien.

« Quand j’ai besoin d’aide pour les enfants, ou pour m’avancer de l’argent, je sais que je peux compter sur les gens de l’église », explique Selma, qui élève seule deux enfants dans la favela de Rocinha, à Rio de Janeiro. Dans les prisons, les pasteurs ont aussi leurs entrées. Chaque semaine, bible à la main, ils se rendent dans les cellules surpeuplées pour « répandre la parole divine », comme Batista, un ancien trafiquant, devenu pasteur après des années sous les verrous. « Je suis crédible, car je connais leur souffrance, et je sais que seul Jésus peut leur apporter la paix qui leur manque », promet-il, dans son costume couleur sable.

Et pour entrer directement dans les foyers, les pasteurs ont aussi investi les postes de télévision. De nombreuses chaînes diffusent en boucle leurs prêches et les témoignages de fidèles sauvés par la foi. Les chauffeurs de taxi peuvent aussi, grâce à la radio, rester connectés à l’actualité religieuse et ne pas perdre une miette des conseils des pasteurs même dans les embouteillages.

Le discours des pasteurs s’articule autour d’une parole biblique théâtralisée, souvent criée à en faire vrombir les énormes haut-parleurs des temples. Les cultes se terminent en expiation généralisée, avec apposition de la main sur le front des « pêcheurs », qui tombent au sol, libérés de leurs maux. Quand le spectacle ne suffit pas, les « enfants pasteurs », des figures rares mais très populaires au Brésil, viennent « traduire sur terre la parole de Dieu ». C’est le cas de la petite Adriana, qui vit à Catanduva, dans l’Etat de São Paulo, et divise son quotidien de fillette de 11 ans entre ses jeux de Barbie et ses voyages pour prêcher et « libérer les fidèles qui souffrent ».

Avec une présence de plus en plus forte sur la scène politique, le pouvoir des évangéliques dépasse le cercle des églises. Récemment, le pasteur et député Marco Feliciano (parti social-chrétien), alors président de la Commission des Droits de l’Homme, avait proposé une loi pour « soigner » les homosexuels. La polémique autour de la « cura gay » a finalement permis de suspendre ce projet, mais sur son compte Twitter, le pasteur a été très clair : « Nous n’avons fait que retirer ce projet, il reviendra quand les évangéliques seront plus nombreux. Très bientôt ». En réaction à ces propos homophobes, des vagues de protestations, sur internet et dans la rue, ont affirmé, souvent avec humour : « Feliciano ne me représente pas ». «  » »

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