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Les grands patrons de journaux face à l’avenir

publié le 12/05/2017 | par Alain Louyot

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Ce livre raconte une âpre bataille pour la survie.
Celle que livrent quotidiennement, depuis une quinzaine d’années et d’un bout à l’autre de la planète, tous les grands journaux de la presse écrite pour résister et se doter de nouvelles armes face à la crise de mutation et de médiation, crise parfois aussi de confiance, qui les décime. Les plus vulnérables sont les journaux occidentaux.

À l’instar de la marche du soleil, ceux‐ci déclinent ou disparaissent de l’horizon, tandis que vers l’est, les journaux des pays émergents font généralement meilleure figure car ils parviennent souvent à élargir et rajeunir leur lectorat au sein de populations dont le niveau d’éducation ne cesse de s’élever.

En Europe et aux États‐Unis, l’ampleur et la violence de cette crise de la presse sont telles qu’on la compare à celle, dans les années 1970, de la sidérurgie. Certaines éditions « papier » disparaissent tels, en France, France-Soir ou La Tribune, tout comme, à l’étranger, de prestigieux titres tels Newsweek aux États Unis (outre Atlantique quelque deux cent vingt quotidiens ont mis la clé sous la porte depuis 2010), News of the World, le quotidien britannique secoué par un scandale et qui tirait à près de trois millions d’exemplaires, ou encore The Independant lequel, après plusieurs années de chute de ses ventes papier, est passé en mars 2016 au 100 % numérique.

« L’industrie de la presse est en mutation et ce changement est amorcé par les lecteurs qui nous montrent que l’avenir est au numérique », déclarait lors de ce coup d’arrêt au print Evgeny Lebedev, propriétaire du célèbre journal britannique. En Allemagne, c’est le Financial Times Deutschland qui met la clé sous la porte. « Quand va‐t‐on arrêter les imprimeries ? » s’interrogeait, voilà une dizaine d’années déjà, devant l’hécatombe des journaux, le chroniqueur médias de Business Week, tandis que The Economist titrait : « Qui a tué la presse écrite ? »

Certes, à l’instar de la fable de Jean de La Fontaine « Les animaux malades de la peste », les journaux ne meurent pas tous, mais tous sont frappés. Leur terrible mal est provoqué par la chute conjuguée de leur lectorat et de la publicité. Ainsi, en cette époque où tout s’accélère et où les nouvelles technologies ne cessent de se développer, on lit de moins en moins les journaux imprimés : en 1967, 59,7 % des Français lisaient régulièrement un quotidien. Ils n’étaient plus que 55 % en 1973, puis que 46 % en 1981 et 29 % en 20081.

En 2015, seuls 20 % de nos compatriotes lisaient un quotidien papier et à peu près la même proportion un quotidien on line. Cette même année, mille points de vente de journaux ont disparu en France…


Quant à la publicité qui, hier, constituait la principale source des recettes des journaux, elle se réduit,
aujourd’hui à l’heure du Net et des smartphones, telle une peau de chagrin. De même pour les petites annonces, immobilières ou offres d’emploi qui constituaient une manne financière. Aujourd’hui, à l’ère numérique, les annonceurs n’ont plus guère besoin de passer par les organes d’information tradi‐ tionnels pour s’adresser au consommateur.

Pour tout chef d’entreprise, les experts de la communication, de l’influence savamment distillée via les réseaux sociaux, deviennent en revanche des acteurs stratégiques. Ainsi, dans un contexte de visibilité croissante, l’entreprise se doit de veiller à préserver sa réputation, authentique nouveau capital immatériel, en dialoguant directement avec sa clientèle et l’opinion via la Toile. Du coup les blogueurs influents sont souvent davantage considérés aujourd’hui par les marques que les patrons de journaux…

(1. Enquête du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles et de la communication des Français 2009. )

Même ces derniers communiquent avec leur lectorat via Twitter. Une récente enquête, menée par Visibrain, constate que lemonde.fr a publié 1 642 tweets en février 2016 comportant un lien avec ses articles et que ceux‐ci ont généré 91 824 « retweets » pendant ce même mois.

Évidemment, l’effondrement des revenus, provenant à la fois de la vente des journaux imprimés et des recettes publicitaires, se traduit par des restructurations et des plans de rigueur. En France, le secteur de la presse est confronté à une vague de concentrations. Celles‐ci n’émanent plus des magnats – et souvent mécènes – des empires médiatiques d’autrefois, tels ceux des groupes Amaury ou Hersant, mais d’actionnaires extérieurs au monde des médias. Ces investis‐ seurs appartiennent à la finance, à l’industrie, aux grands opérateurs téléphoniques, à l’univers de la mode ou du luxe.

Ainsi, Le Parisien est racheté par Bernard Arnault, Le Monde et L’Observateur par Pierre Bergé aux côtés de Xavier Niel et Matthieu Pigasse, L’Express, L’Expansion et Libération par le financier Patrick Drahi. On est loin de la prodigalité d’un patron de presse philanthrope tel que Claude Perdriel, 90 ans en 2016, ancien propriétaire du Nouvel Observateur et du Matin de Paris, assurant « se moquer de l’argent » et qui se disait « amoureux de [ses] journalistes1 » !

Conséquence de cette concentration sous le règne des cost-killers, chaque année en France des centaines de journalistes, rédacteurs, reporters, correspondants, maquettistes ou documentalistes sont licenciés. Au printemps 2016, le groupe Lagardère, après avoir déjà réduit les effectifs de 800 personnes en trois ans, annonce son inten‐ tion de supprimer 220 nouveaux postes sur un millier de sa branche médias qui compte des titres comme Le Journal du dimanche, Elle ou Paris Match.


Au même moment, le prestigieux quotidien britannique The Guardian amputait sa rédaction de 100 postes
après une chute de 25 % en un an de ses revenus publicitaires. Les effectifs des rédactions sont ainsi réduits, de même que les budgets de reportages au point que les rubriques des services « Monde » finissent elles aussi par disparaître totalement, ce qui est paradoxal dans un monde glo‐ balisé secoué par les crises et les conflits…

((1. Marie‐Dominique Lelièvre, Sans oublier d’être heureux. La vie ingénieuse de Claude Perdriel, Paris, Stock, 2016. ))

Or le métier de « grand reporter » qui consiste à se rendre sur le terrain pour témoigner est irremplaçable car, sur place, l’envoyé spécial constate le plus souvent que la réalité est bien différente ou plus complexe que ce que l’on croyait à Paris ou au siège de sa rédaction…

L’appauvrissement des moyens des rédactions et de la qualité de l’offre éditoriale contribue évidemment à détourner un peu plus les lecteurs des kiosques. Et la mainmise sur cette presse affaiblie par de nouveaux actionnaires, davantage en quête de plus‐values et d’influence que préoccupés par la liberté d’expression de leurs journalistes ou la qualité éditoriale, n’est pas de nature à attirer les lecteurs d’autant que ceux‐ci ont pris goût à la gratuité de l’information sur le Net.

Aux abois, et avec des rédactions souvent harcelées par des action‐ naires s’ingérant dans les choix éditoriaux, des titres, hier prestigieux en France ou ailleurs, se sont lancés dans une périlleuse fuite en avant. En croyant trouver leur salut dans des unes « à sensation » – où l’on cherche plus à étonner qu’à informer – et avec des sujets concoc‐ tés par le marketing. D’autres grands journaux, heureusement, font preuve à travers le monde de plus de sang‐froid et de clairvoyance.

Ils misent sur la complémentarité entre le « papier » et le numérique, car ils estiment que c’est la qualité du travail journalistique et de l’offre « bimédia » qui conditionne la réputation du titre et sa pérennité. Pour eux, au‐delà des convulsions et ravages provoqués par cette crise de mutation, les technologies numériques sont un précieux allié sur lequel il faut miser.

Ce sont – à l’exception de La Pravda moribonde et que nous avons choisi comme contre‐exemple – ces journaux, ces directeurs de rédaction, attachés à préserver le savoir‐ faire journalistique et cependant résolument tournés vers l’avenir, ce sont tous ces journalistes de la génération bimédia que, de Madrid à Stockholm, de Rio à Tokyo en passant par Québec ou Tel‐Aviv, nous sommes allés rencontrer et interroger pendant près de cinq ans.

Bien sûr, la mutation est loin d’être terminée et aucun des res‐ ponsables de journaux n’a encore la certitude d’avoir trouvé le bon business model. Ils ont plutôt des intuitions, et parfois des convictions, sur ce que doivent être aujourd’hui le rôle du journaliste et sa nou‐ velle façon d’exercer son noble métier d’informer. Tous cherchent à apporter au lecteur une plus‐value dans ce monde d’immédiateté, dans ce brouhaha où ce sont les conversations qui font l’actualité et non plus l’actualité qui font les conversations.

Le diagnostic de ceux que nous avons interrogés est fondé sur la constatation qu’il s’agit pour la presse à la fois d’une crise de médiation et de mutation. Le journaliste a en effet cessé d’être, comme me l’a écrit un jour Françoise Giroud, le médiateur obligé, mais il doit rester celui dont le métier est de « savoir pour faire savoir », celui qui trie, vérifie les informations déversées en continu et de toutes provenances, met en perspective les plus pertinentes et les rend abordables au plus grand nombre.

Par sa curiosité (au sens étymologique de « prendre soin, se préoccuper de », sa plume, son art de la synthèse et son approche de généraliste, il revient au journaliste d’expliquer et de donner du sens à ce qu’on ne comprend pas. Une noble mission qui exige un soin artisanal, un rôle plus indispensable que jamais à l’heure des réseaux sociaux où, dans ce « Café du Commerce mondialisé » qu’est le Web, chaque internaute devient un média et s’érige, pour le meilleur et pour le pire, en influenceur.

Un rôle aussi de tri et de décryptage indispensable – on l’a constaté avec la hausse sensible des ventes en kiosques lors des attentats de 2015 – face au flot d’informations, des breaking news diffusées en boucle, déversé, avec souvent une mise en scène tapageuse, par certaines chaînes d’information en continu.

« À nous journalistes de vous rendre l’actualité moins “obscure” et plus “lisible”. Une gageure, en cette époque où le “quatrième pouvoir” est pris en tenaille entre les adeptes du “tous journalistes” et ceux qui ne voient que “connivence” avec les élites », écrivait en octobre dernier Pascal Galinier, le « médiateur » du quotidien Le Monde avant de prendre congé de ses lecteurs. Ironie du sort : cette profession dont la mission est de mettre en perspective est incapable de savoir où elle va, de quoi demain sera fait.

Ainsi, à la rédaction du Monde précisément, personne n’avait venu venir, en 2014 l’année de son soixante‐dixième anniversaire, le violent coup de vent qui allait soudain balayer sa direction quelques semaines seulement après notre visite. « Je n’ai jamais connu une époque aussi calme », nous assurait parmi d’autres une des grandes signatures de la rédaction, un journaliste senior unanimement res‐ pecté. Et il ajoutait confiant : « Au Monde, aujourd’hui, on se croirait dans un canton suisse ! »

Ou encore la douche écossaise subie, en l’espace de deux ans seulement, par le quotidien québécois Le Devoir. En 2010, année de son centenaire, le journal emblématique de la « Belle Province » affiche une diffusion et des bénéfices très nettement à la hausse, bref une santé presque indécente dans un contexte de crise mondiale de la presse écrite. Puis, tout à coup, rien ne va plus en raison notamment d’une actualité moins forte, d’une difficulté à développer et à rentabiliser l’édition numérique et, surtout, suite à la chute des recettes publicitaires.

La situation est même devenue si grave que la direction du Devoir doit en appeler à la générosité de ses lecteurs. Elle affiche, à l’entrée de la salle de rédaction de Montréal, deux grands thermomètres gradués afin que les journalistes puissent surveiller le niveau d’entrée des dons en dollars canadiens et des abonnements de soutien…

En matière de presse écrite l’avenir est en effet moins que jamais gravé dans le marbre et maintenir sa rentabilité comme sa réputation est aujourd’hui un combat permanent. Le journalisme a perdu son magistère et son monopole de l’expression publique face à la concurrence des internautes et autres blogueurs. Et la sanction du lecteur déçu, prompt à réagir sur son clavier d’ordinateur ou de smartphone, et à zapper vers une autre des multiples sources d’information qui lui semble plus crédible, est, désormais, immédiate et sans appel. Ainsi, au lendemain de la catastrophe de Fukushima, le grand quotidien

de Tokyo l’Asahi Shimbun forçait‐il l’admiration de ses lecteurs en se risquant au journalisme d’investigation jugé, jusque‐là, peu poli‐ tiquement correct dans l’archipel nippon. Et voilà que, quelques mois après notre visite, un tsunami de défiance s’abat sur ce titre prestigieux qui compte parmi les plus anciens du Japon, après qu’un de ses journalistes a diffusé des informations erronées à propos des responsabilités dans l’accident nucléaire.

Son P‐DG et son directeur de rédaction, hier si sûrs d’eux, si conquérants, ont été contraints de se livrer à un humiliant mea‐culpa amplement médiatisé. En publiant notamment, dans les colonnes de leur propre journal, leur photo où, courbés en deux, ils présentent leurs plus plates excuses à leurs onze millions de lecteurs…

Parce que ce monde de la presse écrite est plus imprévisible et mouvant que jamais, ce recueil de reportages récents sur les grands journaux du monde ne peut prétendre qu’être une photographie, un regard porté à un instant t. Certains noms de responsables, certains chiffres ont pu changer depuis notre enquête, mais la tendance, les orientations et les interrogations restent pleinement d’actualité.

« À celui qui ne sait pas vers quel port il vogue, aucun vent n’est favorable », écrivait Sénèque. Bateau naviguant à vue et louvoyant entre le print et le numérique, ou misant sur l’édition du week‐end et les suppléments comme sur une dernière bouée de sauvetage, la presse écrite est à la recherche de la terra incognita d’un business model rentable qui permette de concilier diffusion en ligne et information de qualité. La qualité, fût‐ce pour un lectorat restreint, apparaît en effet la condition sine qua non de la survie.

Ainsi Tommy Evans, vice‐président de CNN International m’assurait récemment : « De même que la télévision n’a pas tué la radio, la télévision, même sur smartphone, ne va pas tuer la presse écrite. Les gens ont une énorme capacité à consommer de l’information et cela sous toutes les formes, sur tous les supports. Leur soif d’information dans ce monde si ouvert est insatiable et ce qu’ils veulent, c’est un journalisme de qualité et surtout qu’on leur raconte des histoires humaines qui les touchent. »

LES GRANDS PATRONS DE JOURNAUX FACE À L’AVENIR

Et pour la presse numérique également, il y a de bonnes raisons de croire – et de se féliciter – qu’en matière de journalisme la qualité finira toujours par payer. Lors de la conférence « Digital Media » organisée à la mi avril 2016 à Londres par le Financial Times, Evan Burns patron du réseau social américain Odyssey et Matt Heiman qui dirige la start‐up Diagonal View (chaînes YouTube) ont tous deux martelé que « le journalisme de qualité vaut de l’or ».

En effet, expliquait Evan Burns, on ne peut capter durablement l’attention des internautes, condition sine qua non pour mieux cibler l’audience publicitaire, que par des contenus « engageants », c’est‐à‐dire perti‐ nents et ayant une réelle valeur journalistique. Il ne s’agit plus pour les annonceurs de toucher le plus de personnes possible car un site peut avoir des dizaines de millions de visiteurs uniques mensuels sans que cela se traduise réellement en revenus publicitaires. Ce qu’il faut c’est toucher et fidéliser sur la toile les bonnes personnes grâce à un contenu qui a une vraie valeur ajoutée à leurs yeux.

Cette lutte pour la survie de la presse de qualité qu’elle soit écrite ou en ligne, implique en tout cas que ses actionnaires, gestionnaires, dirigeants et journalistes fassent preuve, à l’instar du philosophe romain, d’un stoïcisme à toute épreuve.

Et parfois de courage tels ces journalistes turcs harcelés, menacés, voire emprisonnés par le pouvoir autoritaire d’Ankara. Le directeur de la rédaction de Hürriyet que nous avons rencontré à Istanbul au printemps 2016 ne se déplace plus qu’en voiture blindée flanqué d’un garde du corps…

Dans ce contexte si éprouvant de la mutation de leur métier et de la fragilisation de leurs entreprises de presse il faut surtout que les journalistes ne perdent pas, en ces temps aux lendemains incertains, leur enthousiasme, leur désir de « savoir pour faire savoir », clés de ce magnifique et exigeant métier.

C’est le cas de nombre de ceux que nous avons rencontrés au cœur de la révolution numérique, et dont nous vous rapportons, au fil de cette enquête menée sous toutes les latitudes, les convictions, les espoirs, les interrogations, mais aussi les recettes, même si, pour l’heure, personne n’en a encore trouvé de miraculeuses.

UN EXTRAIT SUR LE WASHINGTON POST

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