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Les guerres d’Hollande.

publié le 07/10/2016 par René Backmann

Jamais, depuis un quart de siècle, autant de soldats
et de moyens militaires français n’ont été projetés
sur des champs de bataille étrangers. En Afrique,
l’opération au Mali a peut-être permis d’enrayer une
déstabilisation globale du Sahel, mais l’intervention
en Centrafrique risque de se terminer sur un scandale
désastreux pour l’armée française.

Photo AFP :François Hollande en visite en Centrafrique le 13 mai 2016.

Depuis son entrée à l’Élysée, le 15 mai 2012, François
Hollande a ordonné quatre interventions militaires
à l’étranger. En janvier 2013, ce fut l’opération
« Serval », au Mali, contre la rébellion islamiste qui
avait pris le contrôle du nord du pays et menaçait
Bamako ; puis en décembre de la même année,
l’opération « Sangaris », en République centrafricaine,
pour rétablir la sécurité dans le pays, en proie à
l’affrontement des milices rivales, et renforcer la
mission militaire de l’Union africaine, en mauvaise
posture.

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En août 2014, l’opération « Barkhane » prit le relais
de « Serval » en s’étendant à quatre autres pays –
Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad –, menacés
de déstabilisation par Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) ou d’autres groupes armés djihadistes. En
septembre 2014, l’opération aérienne « Chammal »
fut lancée en soutien à l’armée irakienne engagée
contre l’organisation État islamique (Daech) qui avait
annoncé, deux mois et demi plus tôt, l’instauration
d’un califat sur les territoires qu’elle contrôlait en Irak
et en Syrie.

Un an plus tard, l’opération « Chammal »,
mobilisant des avions de combat basés en Jordanie,
aux Émirats arabes unis et parfois à bord du porteavions
Charles-de-Gaulle, était étendue au théâtre
d’opérations syrien.

Dans le cadre de ces interventions et de l’opération
« Daman », nom de code de la contribution française à
la Force intérimaire des Nations unies au Liban du Sud
(FINUL), près de 10 000 soldats français, au moins
une vingtaine de Mirage 2000 et Rafale, plusieurs
dizaines d’appareils de surveillance, de ravitaillement,
de transport, d’hélicoptères et de drones, un demi-millier
de blindés sont engagés hors de nos frontières.

Jamais, depuis la participation de la division
française « Daguet » à la deuxième guerre du Golfe en
1990-1991, où 12 500 soldats et 500 blindés avaient
été déployés en Arabie saoudite, de tels moyens
militaires ont été projetés, sur l’ordre du chef de
l’État, sur des champs de bataille étrangers. Pourquoi
François Hollande s’est-il lancé dans cette série
d’aventures militaires ? La sécurité et la protection
des intérêts de la France l’exigeaient-elles ?

Le
président de la République y était-il contraint par
des accords signés avec des alliés ? Ces opérations
étaient-elles compatibles avec les effectifs et les
moyens matériels et financiers des armées ? Fallaitil,
ou non les entreprendre ? Et si elles n’étaient
pas indispensables, pourquoi ont-elles eu lieu ? Les
réponses des principaux intéressés – militaires et
diplomates – et les travaux des chercheurs qui se
sont penchés sur « l’interventionnisme militaire » de
François Hollande montrent que, sur ce point aussi,
le bilan du président de la République est contestable,
voire accablant.

« L’opération la moins discutable, sur le plan
politique et stratégique est “Serval”, estime un
officier supérieur familier de l’Afrique. D’abord
parce que Hollande y a été plus ou moins contraint
par les conséquences de la stupide intervention en
Libye, impulsée en 2011 par Sarkozy avec l’aide de
Bernard-Henri Lévy. Malgré l’aval qu’elle a reçu de
l’ONU, cette expédition internationale était tout sauf
indispensable.

Même la fameuse colonne de chars
khadafistes qui se dirigeait vers la ville soulevée de
Benghazi pour écraser la révolte n’appelait pas une
telle opération. Une simple frappe de Rafale contre les
blindés aurait suffi pour que Kadhafi comprenne qu’il
avait perdu et qu’il n’avait aucun intérêt à continuer.
Tout comme il avait très bien compris, en 1986, après
les frappes de l’opération américaine “El Dorado
Canyon”, qu’il devait mettre un terme aux attaques
terroristes contre des cibles américaines. »

Les restes de la colonne de chars montant sur Benghazi, quelques
jours après son bombardement en mars 2011.
Version confirmée par plusieurs officiers de
l’aéronavale qui ont participé à l’opération
« Harmattan » contre la Libye en 2011, et qui ont
confié, plus tard, en privé, à un groupe de visiteurs
de l’Institut des hautes études de défense nationale
que la colonne de chars avait été repérée et sa
dangerosité évaluée depuis longtemps.

Ce qui, ajouté
à la topographie du terrain, très favorable, en faisait
une cible parfaite pour des chasseurs-bombardiers
bien avant d’être à portée de canons de Benghazi.
Une frappe, en d’autres termes, aurait pu épargner
une intervention militaire internationale, même si elle
n’offrait pas davantage de garanties pour la suite, la
structure de la société libyenne et de l’articulation
complexe des pouvoirs ayant été, depuis le départ,
largement négligée par les décideurs. Suscitant le
dépit des diplomates et des conseillers de la direction
Afrique du Nord-Moyen-Orient (ANMO) du Quai
d’Orsay qui avaient avancé en vain leurs réserves face
à un tel projet.

« Le problème de cette guerre libyenne, à laquelle
la hiérarchie militaire a eu le tort, par faiblesse,
de ne pas s’opposer en exposant clairement les
risques de dislocation explosive du pays qu’elle
impliquait, poursuit l’officier supérieur anonyme,
c’est qu’elle a produit une situation bien pire que
celle qui prévalait avant les combats. Ce qui est,
comme on l’apprend dans les académies militaires
occidentales, exactement le contraire de l’objectif
recherché lorsqu’on se lance délibérément dans une
guerre. Au lieu d’apporter liberté et démocratie aux
Libyens, elle a transformé le pays en un apparent
chaos où une multitude de milices et de groupes
armés se disputent, aujourd’hui encore, pouvoirs et
richesses, tandis que le territoire, écartelé, sert de
base avancée au terrorisme de Daech.

Le tout alors
que le formidable arsenal accumulé et dispersé dans
le pays par Kadhafi au temps de sa richesse et
de ses rêves de puissance est devenu un véritable
supermarché pour les groupes armés de la région,
à commencer par ceux de la zone sahélienne. D’où
la conquête du nord du Mali par les islamistes d’Al-
Qaïda au Maghreb islamique(AQMI), et leurs alliés,
et le risque, réel, de voir Bamako tomber entre leurs
mains. »

D’où aussi le développement d’un trafic d’armes et
de combattants, à ce jour difficile à maîtriser, entre le
nord de l’Afrique et le Moyen-Orient. Et l’attrait de
la Libye, terre sans État ou presque, pour un groupe
comme Daech dont l’implantation à Syrte risque
fort de provoquer demain une nouvelle intervention
internationale.

« Ce que dessine cette nouvelle politique,
c’est une recolonisation bienveillante »
« Face à ce désordre où nous a plongés le coup de
sang de Sarkozy et qui nous vaut d’être engagés au
Sahel, pour au moins trente ans, François Hollande
n’a pas eu une démarche de stratège, mais une
simple réaction tactique, analyse le général Vincent
Desportes, ancien directeur de l’École de guerre,
aujourd’hui conseiller de Panhard Général Défense et
professeur associé à Sciences Po.

Hélas, un ensemble
de réactions tactiques ne constitue pas une stratégie.
Et cette succession de réactions au coup par coup
auxquelles nous avons assisté, du Mali à la Syrie,
aboutit à surexposer la France en l’engageant partout
sans en avoir les moyens. Par chance, en ordonnant
le lancement de l’opération “Serval”, Hollande a
demandé à l’armée française de faire un travail dans
lequel elle excelle – et dont elle a les moyens :
concentrer des forces aguerries, bien préparées,

bien équipées et fortes d’un puissant soutien aérien,
dans un espace limité, pendant un temps limité.
C’est ce qui explique le succès de “Serval”. Le
problème, c’est que le chef de l’État, ébloui par
ce succès, a totalement oublié ce qui doit être la
tâche majeure d’un dirigeant : équilibrer l’équation
objectifs/moyens. D’où le chapelet de décisions peu
sages qui ont suivi, et qui se poursuivent, notamment
au Moyen-Orient. »

Comparée à « Serval », à ses objectifs et à ses moyens,
l’opération « Sangaris », déclenchée onze mois plus
tard en Centrafrique, paraissait moins périlleuse. Elle
était en fait beaucoup plus difficile. Car il ne s’agissait
plus de détruire un adversaire solidement armé, rompu
à la guerre en zone sahélienne et clairement identifié,
mais de s’interposer entre des factions rivales qui
avaient transformé le pays et en particulier la capitale
en un sanglant chaos.

Aux anciens rebelles musulmans Séléka, qui s’étaient
emparés du pouvoir en mars à Bangui, s’opposaient
les milices anti-balaka, issues de la communauté
chrétienne, improvisées pour se défendre contre
l’arbitraire et la violence des nouveaux maîtres du
pays et devenues avec le temps de véritables escadrons
de la mort anti-musulmans.

Convaincus de pouvoir désarmer en quelques mois les rebelles sans problème majeur, les responsables de « Sangaris » se sont
retrouvés en fait très rapidement face à une situation
« pré-génocidaire », selon la formule d’un humanitaire
atterré. En désarmant en priorité les ex-rebelles de
la Séléka, ils ont donné l’illusion aux anti-balaka, et
aux foules qui les suivaient, qu’ils étaient engagés
aux côtés de chrétiens et que les pogroms contre les
quartiers musulmans étaient permis. Un autre Rwanda
était en marche.

« En fait, confie un observateur de l’ONU, basé
à l’époque à Bangui, les Français, qui connaissent
pourtant bien ce pays au coeur de la Françafrique,
avaient sous-estimé, au début de l’opération, la
menace que représentaient les anti-balaka et le
poids de la haine entre les chrétiens et la minorité
musulmane

Le désir de vengeance contre les dix
mois de cauchemar que les Séléka avaient infligé
au pays s’ajoutait aux vieux ressentiments de la
communauté chrétienne contre les commerçants ou
les éleveurs musulmans, traditionnellement accusés
de s’enrichir et d’occuper des terres aux dépens des
autres communautés. »

Il fallut l’aide des 6 000 soldats africains de la Mission
internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA),
dépêchés par l’Union africaine, puis des 12 500
casques bleus de la MINUSCA, déployés par l’ONU
à partir de février 2014, pour parvenir à une relative
stabilisation du pays, permettant d’élire en février
dernier un nouveau président, Faustin-Archange
Touadéra, et il y a quelques jours, un nouveau
président de l’Assemblée nationale, Abdoul Karim
Meckassoua, issu de la communauté musulmane.

Dans le même temps, les effectifs de « Sangaris »,
qui avaient atteint 2 000 hommes en février 2014,
étaient ramenés à 900, transformés en une Force de
réaction rapide de la MINUSCA. Sauf dégradation
imprévue de la situation, « Sangaris » devrait prendre
fin cette année. Ne resteront plus alors en Centrafrique
que 300 soldats français chargés de la formation de
l’armée locale. « La France est la plus mal placée
pour agir seule en Centrafrique.

On ne construit pas un État à coups de poings. Ce que dessine
cette nouvelle politique, c’est une recolonisation
bienveillante », avait prévenu Dominique de Villepin
au début de l’intervention, en décembre 2013. La
redoutable erreur de jugement des responsables de
« Sangaris » sur la capacité de nuisance des antibalaka
et sur la violence de la haine à l’encontre de la
minorité musulmane, qui ont conduit le pays au bord
du carnage, confirme cette opinion. La bienveillance
en moins.

Car il y a pire dans le bilan de cette opération, qui
portait le nom d’un papillon local, que la mauvaise
connaissance du terrain démontrée par l’état-major
et les consignes désastreuses données au début de
l’opération, puis rectifiées au fil du temps. Selon les
témoignages réunis par les Nations unies et plusieurs
ONG, plusieurs dizaines de viols d’enfants et d’autres
abus sexuels auraient été commis entre 2013 et
2015 par des militaires français et des casques bleus
burundais et gabonais de la MINUSCA.

Après la
transmission aux autorités françaises d’un rapport
interne de l’ONU, communiqué par un diplomate
suédois du Haut-commissariat de l’ONU aux droits
de l’homme, en juillet 2014, Paris avait ouvert une
enquête, restée secrète jusqu’à sa révélation par le
Guardian, en avril 2015.

On sait aujourd’hui qu’en
réalité, trois enquêtes ont été ouvertes par la justice
française et que 5 soldats ont été entendus en décembre
dernier à Paris, sans être mis en examen. La dernière
procédure judiciaire ouverte par le parquet de Paris et
confiée à la gendarmerie prévôtale date de quelques
semaines. Elle faisait suite aux témoignages réunis
par l’ONU et communiqués à Paris de 108 victimes
présumées.

Même si des doutes peuvent subsister sur la fiabilité
de certains récits, l’affaire a été jugée si encombrante
par l’Élysée que François Hollande, en visite début
avril à Washington pour un sommet sur la sûreté
nucléaire, a fait l’impasse sur la « photo de famille »
des chefs d’État invités – cérémonie qu’il rate rarement
– pour improviser une déclaration aux journalistes
français.

« On ne peut pas et je ne peux pas accepter
qu’il y ait la moindre tache sur la réputation de nos
armées, c’est-à-dire de la France », a-t-il affirmé
avant d’appeler à des « sanctions exemplaires » si les
accusations « d’abus sexuels innommables proférées
à l’encontre de soldats français et de casques bleus
étaient confirmées. » « La plus grande exigence de
vérité et la plus grande affirmation du refus de toute
impunité, a insisté le chef de l’État, doivent être
exprimées aujourd’hui. »

L’exigence proclamée par
François Hollande ira-t-elle jusqu’à permettre que les
suspects soient traduits en cour martiale in situ, c’està-
dire dans le pays où les faits ont été commis, comme
le propose Hervé Ladsous, chef des opérations de
maintien de la paix de l’ONU ? Rien ne l’indique pour
le moment.

Et pour peu que la justice traîne, ce visage
honteux de l’intervention française en Centrafrique
risque d’être éclipsé par le dossier syrien, où les morts
se comptent par centaines de milliers et les réfugiés par
millions. Même si la France ne tient dans cette bataille,
qu’elle le veuille ou non, qu’un rôle mineur.

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