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Libéral, libertaire, libertarien

publié le 11/01/2025 par Pierre Feydel

Milliardaire sans limite et ennemi de toute règle,Elon Musk serait un libertarien. Il n’est pas le seul. Mais d’où vient cette idéologie d’une liberté qui se construit d’abord aux dépens des autres?

La liberté, ils n’y voient aucune limite, en tout cas pour la leur, bien sûr. L’égalité, ils l’abhorrent, la jugent dangereuse, tout juste bonne à faire de la place aux incapables, sinon aux malfaisants. La fraternité leur est étrangère, une étrange faiblesse à laquelle ils ne sauraient s’adonner. Non, les libertariens, ces militants d’une forme d’idéologie d’extrême droite, n’ont rien de commun avec ce qui a fondé les démocraties occidentales depuis plus de deux siècles. Pourtant, l’espèce de doctrine dont ils se réclament semble procéder du grand mouvement en faveur des libertés individuelles, né avec les Lumières à la fin du XVIIIᵉ siècle. Mais il ne s’agit pas vraiment d’un libéralisme extrême, ni même d’un libertarisme d’extrême droite.

Libéral, libertaire, libertarien : des mots qui ont la même racine, le latin libertas, mais qui n’ont pas produit les mêmes paysages idéologiques.

Aux origines du libéralisme

Le libéralisme est-il né avec John Locke, le philosophe anglais qui, au XVIIᵉ siècle, s’opposait à l’absolutisme qui échoua dans son pays, mais s’installa en France ? La Révolution anglaise de 1688, la Révolution américaine et la Déclaration d’indépendance de 1776, ainsi que la Révolution française de 1789 et la Déclaration des droits de l’homme installent l’idée libérale dans l’esprit des Américains et des Européens. Emmanuel Kant y ajoute sa vision idéaliste, celle de la dignité humaine inaliénable.

La pensée libérale célèbre la responsabilité morale, l’universalisme, le libre arbitre, etc. Toute notion qui prône la liberté d’expression, le respect de l’État de droit, le pluralisme des idées. Nos démocraties sont fondées sur ces principes. Mais c’est en matière économique que les débats sur le libéralisme sont les plus vifs.

Le libéralisme et ses dérives

L’école libérale classique, celle des Britanniques (Adam Smith, David Ricardo, Stuart Mill), accepte une certaine intervention de l’État pour protéger, réguler, et assurer des conditions de concurrence justes. Les classiques français sont plus restrictifs : ils estiment que toute concurrence de l’initiative privée par l’État est inefficace. Pour les libéraux, le rôle de l’État doit se limiter aux fonctions régaliennes : police, justice, diplomatie et défense. Cependant, cet État minimal s’est parfois octroyé des domaines d’intervention supplémentaires en périodes de crises, de guerre ou de mise en danger du pouvoir en place. Aujourd’hui, en France, le débat reste entier dans une démocratie où la place importante de l’État est souvent contestée.

Libertaires ou l’anti-autorité

Les libertaires, à l’inverse des libéraux, refusent de confier à l’État le monopole de la violence. Ils rejettent toute autorité et toute règle d’organisation sociale. À l’origine, ils se confondent avec les anarchistes, partageant l’objectif d’abolir l’État, le capitalisme et les religions. Dans les années 1980, de nouveaux mouvements sociaux anti-autoritaires et anti-hiérarchiques émergent : féministes, écologistes, LGBT. Ces mouvements s’éloignent de la problématique politique de prise de pouvoir pour se concentrer sur un changement de vie. Ils défendent une liberté individuelle qui, bien qu’éloignée du dogme strict de l’anarchisme, reste dans la sphère libertaire. Il s’agit moins de nier ou de détruire l’État que de tenter de vivre à côté.

Les libertaires d’aujourd’hui refusent toute autorité qu’ils jugent illégitime et privilégient l’action autonome, sans rendre compte à une organisation. Ils valorisent la démocratie directe et le pouvoir déconcentré. Ils s’inscrivent naturellement à gauche.

Libertariens, ennemis de l’Etat

Le Parti libertarien, fondé en 1970 aux États-Unis, prône un libéralisme économique total, un capitalisme dérégulé et un État minimal. Selon eux, le marché s’autorégulera et assurera la croissance économique. Contrairement aux libertaires, les libertariens ne parlent pas d’égalité.

D’abord surnommés les « hippies de droite », ils se développent grâce à des think tanks fédérés par le réseau Atlas, soutenu par les frères Koch, deux milliardaires américains. En 2023, ce réseau compte 586 think tanks dans 103 pays. En 1980, les plus radicaux, opposés aux Koch jugés trop modérés, créent l’Institut Mises, farouchement opposé à toute intervention de l’État. Parallèlement, une tendance plus à gauche émerge, sensible aux enjeux de justice sociale.

Contre la démocratie, la loi du plus fort

Aujourd’hui, aux États-Unis, le libertarianisme semble dominer parmi les milliardaires, comme Elon Musk ou Jeff Bezos, désormais tout-puissants. Donald Trump, lui, semble en partie acquis à cette idéologie. Sa mise en œuvre fracture encore davantage la société américaine, privée des liens sociaux ou des aides aux plus faibles que peuvent fournir les services publics.

Les citoyens, encouragés au port d’armes comme symbole de liberté individuelle, sont livrés à eux-mêmes. Les libertariens aiment une liberté qui consacre la loi du plus fort. Ils détestent le droit, ses contraintes, ses règles. Ce faisant, ils menacent la démocratie, aux États-Unis et ailleurs.


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