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 Mali• France

Livre. Extraits. « Vie et mort d’un soldat d’élite 
MAXIME BLASCO » par Dorothée Olliéric

Livres publié le 12/10/2022 | par grands-reporters

Maxime Blasco a trouvé la mort le 24 septembre 2021 lors d’une opération militaire française contre des djihadistes au Mali. Il est le 52e soldat français tué au combat au Sahel depuis 2013 dans les opérations Serval puis Barkhane, où il s’est illustré à plusieurs reprises.
Maxime Blasco avait 34 ans.

Maxime Blasco était un « héros », mais il réfutait ce qualificatif. Il se voulait simple soldat, servant son pays. Un hommage national lui a été rendu le 29 septembre 2021 aux Invalides, au cours duquel il a été fait officier de la Légion d’honneur.

Dans ce récit bouleversant, au plus près du théâtre des opérations, Dorothée Olliéric revient sur la vie et le destin tragique de ce tireur d’élite, ancien pâtissier qui avait choisi l’armée, et plus particulièrement les chasseurs alpins.

Grâce aux témoignages de ses compagnons d’armes, et aux entretiens qu’elles a eus avec les parents de Maxime et sa compagne, elle retrace au plus près le portrait d’un homme engagé, qui a plusieurs fois risqué sa vie dans le cadre d’opérations extérieures.

Un homme qu’elle avait déjà rencontré, et interrogé, dans son reportage « Nuit d’enfer » où elle racontait comment il avait sauvé, sous le feu de l’ennemi, deux camarades après le crash de leur hélicoptère dans le désert du Sahel en 2019.

Dorothée Olliéric est journaliste et grand reporter, accréditée Défense.
 Elle a couvert tous les conflits depuis plus de vingt ans en Bosnie, République centrafricaine, Mali, Afghanistan et aujourd’hui en Ukraine. Son credo : raconter la guerre, à hauteur «d’hommes et de femmes », au grand public.

 

Lire le chapitre : « Retour sur une nuit d’enfer »

Retour sur une nuit d’enfer

« Je ne souhaite à personne de vivre ce qu’on a vécu. On
n’aurait jamais imaginé vivre une journée comme celle-ci. »
Celui qui parle est le chef des commandos ; son surnom :
Pat. Le 13 juin 2019, il dirige au sol une opération antiterroriste
face à des ennemis prêts à se battre jusqu’au bout. Des
combats d’une violence extrême, qui vont durer toute la nuit.
« On avance dans la forêt, on ne voit quasiment rien.
On distingue à peine les silhouettes à travers les feuilles, et
il est arrivé qu’on trouve des combattants juste derrière des
buissons, les armes à la main, qui nous attendaient… Et là,
c’est au plus rapide. Les ennemis tirent des rafales, ça passe
très, très, près. C’étaient des combats à moins d’un mètre,
quasiment à bout portant, au corps à corps… »
L’opération de ces militaires français se déroule dans
la zone frontalière entre le Mali et le Niger. Plus précisément
dans la forêt d’Azabara, au nord-ouest de la localité
d’Akabar, en territoire malien. Le nom de code de l’opération
est « Aconit ». Elle a commencé le 7 juin avec des
forces maliennes et nigériennes. L’armée française a engagé
400 hommes du GTD (Groupement tactique désert), une
quarantaine de commandos, une centaine de véhicules, des
chars AMX-10RC, des hélicoptères Tigre, Gazelle, Caïman.

Un drone français, Reaper, survole la zone ; la chasse n’est
pas loin, prête à intervenir.
Le groupe djihadiste qui est ciblé par ce déploiement est
clairement identifié, c’est l’EIGS.
Depuis Gao, le colonel Éric Meunier dirige la manip. Dans
l’après-midi, le drone a repéré une moto suspecte à proximité
de la forêt d’Azabara et les renseignements nigériens font
état de mouvements d’une dizaine d’ennemis dans la zone.
« Des personnes regroupées à la nuit tombée, sans faire de
feu, me laissent supposer qu’elles ne veulent pas être détectées
; donc il est important d’aller voir pour comprendre ce
qu’elles sont en train de faire ou de préparer ! »
Vers 20 heures, le colonel français donne donc l’ordre aux
équipages des Tigre de décoller de Gao. Quatre hélicoptères
Caïman déposent ensuite des commandos montagne sur
deux positions différentes. L’équipe de Pat, le chef des GCM,
est prise à partie par l’ennemi dès sa dépose en hélicoptère.
« Je me suis dit, c’est vraiment pas passé loin, raconte
Pat, et dans des cas comme ça, on remercie sa bonne étoile.
Et puisqu’on est toujours sur nos deux jambes, eh bien, on
avance, on continue. »
Les commandos montagne, jumelles de vision nocturne
vissées sur leurs casques, avancent prudemment. Ils sont
en ligne avec les Tigre qui survolent la zone de combat et
font feu…
« Il y a un gars qui vient de se barrer en direction du
bois, il est en face de vous, à 20 mètres, prévient le chef de
bord à la radio, il est armé… OK ça part, ça tire ! »
Depuis le capteur de la machine, il distingue très bien
la forme qui court, arme à la main, pour se cacher derrière
un arbre. Le chef de bord vise les silhouettes. « C’est parti,

feu… Il continue à courir malgré mes impacts », poursuit
le chef de bord. Le Tigre continue ses tirs au canon de
30 mm, avant de neutraliser sa cible. Des images qui ne
laissent guère de doute…
Pour le colonel Meunier, difficile de dire combien de
combattants font face aux Français : « Trente, quarante ou
peut-être même cinquante, avance-t-il. Mais ce qui est sûr,
c’est qu’ils sont entraînés, expérimentés et bien équipés ; ce
ne sont pas des paysans à qui on a donné des kalachnikovs.
Ils cherchent à combattre à très courte distance ! »
Les commandos montagne parviennent à neutraliser un
groupe de combattants mais, à la lisière d’un second bois,
dans une zone marécageuse, les échanges de tirs sont très
intenses. Les militaires français ne parviennent pas à franchir
la dernière butte, se heurtant à une solide position
défensive ennemie.
L’un des équipages Tigre avec à son bord Nicolas, le
pilote, et Paco, le chef de bord, vient à bout de cette position.
« Quelques heures auparavant, nous étions à Gao en train
de finir notre soirée pizza, on se racontait nos précédents
détachements, on se racontait un peu nos guerres, raconte
Paco, sourire en coin. Et on n’imaginait pas un instant ce qui
allait suivre ! » Nicolas, le pilote du Tigre renchérit : « Pour
moi, ce jour-là, c’était mon baptême du feu… Je n’ai pas
vraiment eu le temps de me poser des questions. On était
en pleine phase de combat… On est dans la mission, dans
le combat, et on essaye de protéger au mieux nos camarades
au sol. » Je lui demande alors combien d’ennemis il a tués
et ce qu’il ressent à ce moment-là. « Plusieurs », répond-il.
Puis après un silence : « Je me dis que ça fait beaucoup, mais
l’ennemi est clairement identifié et c’est lui qui a engagé le

combat ; donc on se dit que, de toute façon, c’est lui, ou les
commandos… ou nous ! »
Ce qui suit, tout d’abord, c’est la reprise de la progression
au sol des commandos, stoppée à nouveau par une autre
position défensive. Cette fois, en face, c’est de l’armement
lourd en batterie. Il faut faire appel aux Mirage qui vont
venir frapper cette position depuis la base de Niamey, au
Niger. Depuis l’arrivée sur zone des hélicoptères Tigre et des
commandos, il s’est passé sept heures… Une nuit d’enfer
avec des combats acharnés !
Pendant ce temps, sur la base de Ménaka, à l’arrière,
Maxime Blasco peine à trouver le sommeil. Il fait chaud,
il sait que l’action se déroule à proximité, il attend d’être
déclenché avec l’équipage de la Gazelle pour prêter mainforte
aux copains engagés dans les combats. Il a beau mettre
un casque pour écouter du hard rock, il pense à ses frères
d’armes du GCM : le groupement commando montagne
se bat, et c’est dur, il le sait. Des informations parviennent
à l’arrière. Sur cette mission, Maxime Blasco est tireur d’élite
embarqué sur un hélicoptère Gazelle. Il doit attendre son
heure. Il est impatient…
Le jour se lève à peine quand l’équipage de la Gazelle est
déclenché pour aller relever l’équipage du Tigre, engagé toute
la nuit dans cette bataille. Kevin, le chef de bord, Adrien
le pilote, et Max, le tireur d’élite, se rendent rapidement
à la machine. Chacun vérifie en silence son matériel. Ils
décollent, la nuit est plutôt claire et ils aperçoivent la zone
forêt d’Azabara.
Adrien explique : « Je vois l’équipage Tigre que nous
venons relever et nous échangeons les messages radio pour

être au fait de la situation. Très vite, il me signale un ennemi
à proximité de notre position. On descend pour faire notre
passe de tir, une première fois, puis une deuxième. Dans la
Gazelle, chacun a son rôle. Kevin supervise la manoeuvre,
moi je suis aux commandes et j’amorce la trajectoire pour
permettre à Max, qui est à l’arrière, d’effectuer son tir dans
les meilleures conditions… Mais cela ne se passe pas comme
prévu ! »
Max a l’oeil dans le viseur, il essaye de délivrer le plus de
feu possible, mais il entend les départs de coups et les impacts
sur la machine. Quelque chose de très intense, dira-t-il…
Adrien poursuit : « Je vois une multitude de flashs qui
partent dans notre direction. Je comprends qu’on se fait tirer
dessus. Immédiatement les alarmes retentissent, je perds de
la puissance, le manche se met à vibrer. »
Ils comprennent qu’ils vont se crasher.
« On essaye de faire la procédure que nous devons appliquer
quand il n’y a plus de moteur, poursuit le chef de bord.
Nous sommes alors à environ 130 km/h. »
Comme Maxime me l’a déjà expliqué, c’est à ce momentlà
qu’il rentre les jambes dans l’hélicoptère et s’accroche au
siège du chef de bord en attendant l’impact. Ils pensent
qu’ils vont tous mourir.
En ce matin du 14 juin, alors que des combats sporadiques
se poursuivent dans la forêt d’Azabara, la Gazelle
est touchée par des tirs de mitrailleuse Kalachnikov PKM.
Adrien, le pilote, tente d’éloigner le plus possible la machine
de la zone de combat. Le crash est inévitable.
Depuis le Tigre, Paco et Nicolas voient la Gazelle au sol
qui prend feu. Ce sont eux qui donnent l’alerte. « Crash de
la Gazelle, crash de la Gazelle », annonce Paco à la radio.

Ils voient ensuite l’équipage sortir de la machine : « Les
pilotes sont vivants… Non, les trois sont vivants », crie Paco.
Il va prendre une décision impensable, en accord avec son
pilote : se poser en pleine zone ennemie pour aller tenter
de récupérer les survivants. Un atterrissage très risqué. Un
choix qui engage leur vie.
« On est dans l’action, on n’a pas le temps d’avoir peur, se
justifie Paco plus tard. On réalise très rapidement que c’est
maintenant ou jamais. Donc, on décide d’aller les chercher
malgré les risques. Franchement, on voit des camarades
qui sont vivants et qui ont besoin d’aide. Humainement, il
n’y a pas d’autre choix à faire ! »
Paco annonce à la radio : « On va les chercher… »
Au sol, c’est un miracle… Kevin, Adrien et Max sont en
vie, mais complètement déboussolés. « Je suis passé à travers
le pare-brise de la machine avec le siège qui s’est complètement
détaché alors que moi, j’étais encore attaché dessus,
explique Kevin. Je me suis retrouvé avec les jambes encore
à l’intérieur et le corps à l’extérieur. »
À ses côtés, Adrien réalise qu’ils sont vivants. « La douleur
m’envahit, violente, mais je dois m’extirper au plus vite de la
machine. Je rampe sur le sol, j’essaye de me mettre debout,
mais mes jambes ne me portent plus. Heureusement Max, qui
est moins blessé que Kevin et moi, va venir à notre secours ! »
Pendant quelques secondes, me racontera plus tard le
pilote du Tigre, Max est debout au pied de la machine.
Il semble sonné, hagard. Mais il va vite reprendre ses esprits
pour aller porter secours à ses camarades. Il n’a sur lui que
son arme de poing et décide de laisser son fusil à lunette pour
aller chercher Adrien et l’éloigner de la Gazelle, l’hélicoptère
qui menace d’exploser à tout instant. Max tire Adrien vers

le Tigre qui s’est posé à une centaine de mètres, quelques
secondes auparavant. Il le met à l’abri au pied de l’appareil
de combat et repart chercher Kevin.
« J’ai cherché un moyen de me rapprocher du Tigre pendant
que Max évacuait Adrien, raconte Kevin. Mes jambes
ne me portaient plus, donc j’ai rampé, puis avec une impulsion
qui a déclenché une douleur très violente, j’ai réussi
à rouler sur moi-même. Et j’ai profité de l’élan pour continuer
à rouler, rouler… Je me disais, ne t’arrête pas… Je crois que
j’ai quand même bien crié ! »
Max, qui est retourné chercher Kevin, voit qu’il a parcouru
la moitié de la distance le séparant du Tigre. Des mètres
qui sont infiniment précieux, parce que Max est blessé et
à bout de forces après avoir tiré Adrien qui, tout équipé,
pèse plus de 100 kg. Il l’installe sur le patin de l’hélicoptère
et retourne installer Adrien au-dessus de l’autre roue, au
niveau du train d’atterrissage. Le pilote se tient à la force
des bras à l’extérieur de la carlingue.
Cette installation des deux blessés à l’extérieur de l’hélico
existe dans les manuels militaires, elle s’appelle un
« Tigrex ». C’est une procédure d’évacuation d’urgence,
mais elle n’a jamais été réalisée, pas même à l’exercice, car
trop dangereuse… Max ne la connaît pas. Elle avait été
présentée quelques jours plus tôt à Gao, mais Max était
déjà à Ménaka.
Il sait que le temps est compté, que l’ennemi peut venir
les abattre. Il arrive à se hisser sur l’ailette du Tigre – qui est
une machine biplace – et s’accroche à une simple poignée.
À l’intérieur du cockpit de l’hélicoptère de combat, la
pression monte. L’équipage ne peut pas sortir aider les blessés,
les rotors tournent, ils doivent redécoller au plus vite.

Sur l’enregistrement radio, on entend Paco demander
à Nicolas : « Tu crois qu’on va pouvoir redécoller ? » Et le
pilote répond : « Oui, on va pouvoir décoller. Ils sont tous
montés ? »
Paco est inquiet. « Ils sont trop blessés, ils ne vont pas
pouvoir s’accrocher au Tigre sur un train d’atterrissage…
Enroule la sangle », crie-t-il, pour se faire entendre de Max
à l’extérieur… avant de réaliser : putain, ils n’ont pas de
sangle. « Allez, on décolle vers les commandos. »
À la radio, on entend les alarmes du Tigre résonner et
un commando, à l’arrière, demande : « Tu as récupéré un
blessé ? » Réponse de Paco : « Non, on a récupéré les trois…
On essaye les trois. »
Adrien se souvient : « Moi j’étais sur le patin, du côté
droit de l’hélico. J’avais posé mon pied sur le pneu du Tigre
et je voyais à travers la vitre du cockpit le chef de bord.
C’était très intense. On ne pouvait pas se parler à cause du
bruit, mais je lisais sur son expression “Tiens bon, accrochetoi
!” Ma première pensée a été pour mon fils et pour mon
épouse. Je me suis accroché de toutes mes forces pour eux.
Les minutes de ce vol étaient interminables, les plus longues
de toute ma vie. »
Maxime est un peu plus haut, sur l’ailette. C’est le moment
qui l’a le plus terrifié. Une scène de film d’action, selon ses
mots ! Mais il est sain et sauf.
Le sauvetage a duré six minutes.
Les deux pilotes du 3e régiment d’hélicoptères de combat
d’Étain, dans la Meuse, sont sauvés. Ils seront rapidement
évacués vers un hôpital militaire en France. Diagnostic : des
fractures de la colonne vertébrale. Ils pourront, miraculeusement,
revoler ensemble, un an plus tard.

Paco et Nicolas, l’équipage Tigre du 5e régiment d’hélicoptère
de combat de Pau, ont réalisé un immense acte de
bravoure en se posant pour venir au secours de leurs camarades.
Nicolas poursuit les missions au Mali.
Dans la forêt d’Azabara, les combats s’achèvent. Ils ont
duré une quinzaine d’heures. Plus d’une vingtaine de djihadistes
ont été tués par les militaires français. Par miracle,
aucun soldat de la force Barkhane n’a été abattu. Maxime,
à partir de ce jour-là, est devenu un héros. Bien malgré lui !

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