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Livre-Photos: Et Dieu créa la guerre

Photos publié le 03/12/2019 | par Noël Quidu

“Mes clichés sont durs, certes, mais ils ne sont que le reflet d’une réalité encore plus douloureuse.”


Résumé

En temps de guerre, toutes les digues cèdent, emportant avec elles les hommes dans une vague de haine, de violence et de peur. Beaucoup invoquent alors, plein de ferveur un Dieu unique, infaillible, tout-puissant. Mais où est-il ce Dieu qui incarne la paix, au milieu de toute cette folie sanguinaire ? Ce livre de Noël Quidu illustre la période entre la chute de l’Union soviétique et aujourd’hui dans le monde entier. 30 années marquées par la guerre. Il montre une image sans pitié de la folie dont les hommes sont capables lorsqu’ils brandissent leurs convictions comme un étendard. Les photographies de Noël Quidu montrent quelles conséquences certaines décisions politiques, économiques et religieuses peuvent avoir.

 

Critique du livre.

Dans mon métier, j’ai plus vu le diable à l’œuvre que le bon Dieu. » Après trente années passées à vivre et à capturer les tragédies de l’histoire récente, Noël Quidu s’est enfin décidé à sortir un livre reprenant plus d’une centaine de ses images les plus représentatives. Avec un titre un brin provocateur, comme son auteur : Et Dieu créa la guerre. Ce Breton d’origine, baptisé catholique, en convient : « Je n’ai jamais ressenti la présence de Dieu, mais j’ai vu beaucoup de gens emprunter son nom, l’implorer, pour justifier toutes sortes d’atrocités. »

Long-temps photographe au staff de l’agence Gamma sur les pas des plus prestigieuses signatures comme Gilles Caron, Raymond Depardon ou Sebastião Salgado, ce reporter de 62 ans a colla- boré aux plus grands titres de la presse internationale – dont Le Figaro Maga- zine, grâce auquel il décrocha son tout premier World Press Photo lors d’un reportage à Belgrade sur la chute du président Milosevic dans ce qui était encore la Yougoslavie.

« En août et septembre 2000, nous avons suivi pendant plusieurs semaines la campagne électorale de l’opposant de Milo, Vojislav Kostunica, y compris au Kosovo, où la situation était très tendue, se souvient Jean-Christophe Buisson, l’actuel directeur adjoint du Figaro Magazine, qui a travaillé avec lui dans les Balkans à la fin des années 1990. Noël était quasiment le seul photographe étranger à couvrir cette campagne.

Résultat : le jour du coup d’État du 5 octobre 2000, il savait exactement où il fallait être au moment de son déclenchement, sur la place du Parlement. Voilà pourquoi c’est lui qui a réussi les meilleurs clichés de cette journée historique. C’était le fruit de semaines de travail sur le terrain, les yeux et les oreilles grands ouverts. Sa récolte d’informations lui a permis d’être prêt le jour J à l’heure H. »

Auréolé de nombreux prix, exposé dans les plus grands festivals de photo- journalisme, Et Dieu créa la guerre est son premier livre. « Composer un tel ouvrage sur la guerre demande du recul, de la réflexion, de faire une pause dans mon métier pour revenir sur ces événements du passé, comme un immense flash-back sur ma vie, sur mon travail. »

Pendant un an, Noël a dû poser ses boî- tiers et rouvrir les tiroirs de ses archives où sommeillaient, souvent sous forme de diapositives, tous ces fragments d’histoire.

D’abord assistant dans la publicité, puis photographe dans le monde du cinéma et des paillettes, Quidu s’est lancé dans le reportage d’actualité, servi par les événements… une certaine année 1989. L’axe du monde change en quelques mois, la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique bouleversent alors l’ordre établi. « J’ai voulu que ce livre existe pour que tout le monde sache, pour que personne n’oublie, écrit le photographe dans l’introduction de l’ouvrage.

En trois décennies, j’ai vu la Yougoslavie se disloquer, l’Afrique se déchirer dans des combats interethniques, j’ai vu le Moyen-Orient s’embraser, la Tchétchénie agoniser. J’ai vu l’islamisme radical, depuis l’Afgha- nistan jusqu’à la Syrie, faire régner la terreur et l’obscurantisme au nom de Dieu. Partout des flammes, des coups de feu, des cris, des cadavres et des larmes. Partout la barbarie, la peur, les exécu- tions sommaires et les supplications des condamnés. La guerre est naturelle, hélas, comme la paix est humaine. »

À LA RECHERCHE DE LA PHOTO VÉRITÉ POUR NE PAS OUBLIER

Noël Quidu, photographe de guerre ?

« Je ne me suis jamais défini en tant que tel. Moi, je suis avant tout un photo- graphe de presse à la recherche de la photo vérité, dans un monde en marche, hélas en furie. Mes clichés sont durs, certes, mais ils ne sont que le reflet d’une réalité encore plus douloureuse. Il n’y a aucun effet dans mes images. » Et pour- tant, derrière la violence de ces photo- graphies, on ne peut s’empêcher de distinguer, par endroits, une certaine douceur – ou au moins une discrète et pudique empathie que traduit son objectif. Comme sur ce cliché, déchirant, de rescapés de Srebrenica qui échapperont au massacre. Entassés à l’arrière d’un camion, les visages de ces gamins rappellent « la victime raison- nable/A la robe déchirée/Au regard d’enfant perdue » de Paul Eluard. C’est à ses enfants que Noël Quidu dédie ce livre. Et à sa femme, Géraldine. « Ils ont autant donné que moi », avoue

le photographe qui se souvient d’un de ses fils lui lançant avec une criante simplicité : « Ce qui est terrible avec tes photos, c’est qu’on sait que c’est vrai. » Le photographe, lui, a toujours eu cette qualité de disparaître derrière son appareil. « La discrétion, c’est la première difficulté de ce métier. Notre démarche, ou en tout cas, la mienne, consiste à témoigner. Est-ce que ça sert à quelque chose ? Je ne sais pas. Peut- être pas tout le temps. Mais une photo peut parfois devenir un puissant déto- nateur. » Quel sens donner à ce cliché d’un enfant soldat touché par balle en pleine poitrine dans les ruelles de Monrovia, au Liberia. Sur la photo, prise quelques secondes après l’im- pact, l’adolescent, le regard vide, tente de compresser la plaie béante avec son T-shirt déjà trempé de sang. Derrière lui, et c’est finalement le détail le plus sordide de cette image, un autre com- battant se tient debout. Il ne le regarde même pas. Ici, comme dans beaucoup d’autres théâtres de conflit, la mort est devenue commune, banale, quelcon- que. Avec ce livre, Noël Quidu rap- pelle, en témoin nécessaire de ces tour- billons de violence, que si Dieu a créé la guerre, ce sont toujours les hommes qui la font. ■

 

Vincent Jolly

 

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