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Monde. Annexions sans frontières

publié le 24/04/2025 par Jean-Paul Mari

Le temps des grands prédateurs est revenu. Les grandes puissances ne protègent plus, elles prennent…

À la fin du grand massacre de la Deuxième Guerre mondiale, bis repetita du « plus jamais ça » de la Première, l’humanité s’était prise à rêver d’un ordre mondial pacifique garanti par les grandes puissances unies dans le chœur des nations. C’est fini. Aujourd’hui, l’Organisation des Nations désunies ne semble plus obéir qu’à la loi du plus fort, où les plus grands donnent le la. Oublié, le respect intangible des frontières, voici revenu le temps des colonies et le retour aux États sauvages, pour qui le droit international n’est plus qu’une convention sur papier dont on peut s’affranchir au besoin. Les exemples sont là, devant nous.

Israël ou le temps des colonies


200 000 colons israéliens au début du siècle, 450 000 en 2025. Plus ceux installés à Jérusalem-Est, 220 000, soit 750 000 au total. La méthode est simple : on installe un avant-poste en terre palestinienne – une caravane, un préfabriqué–, protégé par l’armée au nom de la sécurité, puis on légalise : 2 400 nouveaux hectares déclarés « terre d’État » l’année dernière.
C’est l’État qui arme les colons, les soldats de Tsahal qui les accompagnent pour chasser à coups de bâton, de pierres ou d’armes automatiques les Palestiniens de leurs villages.
À Susiya, Basel Adra, le réalisateur de No Other Land, a été attaqué chez lui par des colons. Blessé, emmené dans une ambulance, il est arrêté en chemin par des soldats. Extrait du véhicule, menotté, détenu vingt heures sans boire ni manger. Son crime ? Son film sur l’occupation, couronné – une première pour un documentaire – à la 97e cérémonie des Oscars. En langage de ministre de la Culture, cela se traduit par « propagande anti-israélienne ».
Plus au sud, à Gaza, l’annexion, proclamée par des ministres comme Bezalel Smotrich, a déjà commencé avec la transformation en « périmètres de sécurité » de 30 % de la bande de Gaza. Pour mieux se faire entendre, le gouvernement de Netanyahou bloque depuis six semaines toute aide alimentaire. Pas d’eau, pas de carburant, pas de médicaments. Dehors les habitants.
Nettoyage ethnique.

Russie, de l’invasion à l’annexion


Au nom du concept de « Novorossia » (Nouvelle-Russie), Vladimir Poutine a lancé un vaste plan d’annexion en Ukraine. Pour mémoire : la Crimée en 2014, les régions de Donetsk et de Louhansk en 2022. Moscou revendique également les oblasts de Zaporijjia et de Kherson, qu’elle ne contrôle pas encore totalement, mais aussi les régions de Kharkiv, Dnipropetrovsk, Mykolaïv, et même Odessa, au bord de la mer Noire.
Une fois l’Ukraine avalée, la grande Russie s’occupera de la Géorgie, déjà fortement infiltrée, de la Transnistrie, talon d’Achille de la Moldavie, du Kazakhstan en Asie, et… jusqu’où ? Déjà, les pays baltes se préparent à la résistance.

États-Unis, acheter ou saisir par la force


Quatre mois que le monde vit au gré de l’hubris délirant d’un agent immobilier véreux devenu président de la première démocratie mondiale. Il n’a certes pas encore envahi le Canada – trop gros, trop coûteux – et préfère lui conseiller vivement de devenir le 51e État d’Amérique. En revanche, Donald Trump s’offrirait volontiers la crème glacée du Groenland. Au nom de cette « sécurité » bien sûr, une notion de plus en plus dangereuse. Il est prêt à payer. Ou plus, si ces Inuits têtus boudent son offre. Acheter, saisir, annexer… la démocratie de Trump ne rassure plus. Elle menace.

Chine, Taïwan, la « fenêtre Davidson »


Avec l’arrivée de Trump, l’inflation politique israélienne et l’envol de Poutine, le moment semble venu pour Pékin de mettre à jour son agenda de « réunification » avec Taïwan. Simulations de frappes de précision et de blocus maritime, 64 incursions de navires des garde-côtes chinois dans les eaux territoriales, avec en point d’orgue une répétition de l’encerclement final de l’île de Taïwan. Parmi les scénarios envisagés : le blocus total, une opération de décapitation des dirigeants taïwanais pour désorganiser le gouvernement, l’infiltration et la guerre hybride, cyberattaques, sabotages. Ou invasion à grande échelle, avec débarquement massif. C’est coûteux et plus risqué, mais cela correspond à la « fenêtre Davidson », du nom d’un ancien commandant américain qui estimait que la période la plus critique pour une possible invasion pourrait se matérialiser entre 2023 et 2027.

Russie, États-Unis, Israël, Chine… L’heure est à l’annexion sans limites. Oublié le chaos sanglant du siècle dernier, où les mêmes appétits ont failli conduire à l’apocalypse. Adieu le droit, les règles internationales, la morale et le rêve anachronique d’un monde pacifié et solidaire. À la poubelle l’ONU et ses institutions molles et caduques. Le temps des grands prédateurs est revenu. Les grandes puissances ne protègent plus, elles prennent. Et tant pis pour les plus faibles.


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