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Netanyahou devant le Congrès : à vaincre sans péril…

publié le 09/03/2015 | par René Backmann

Pendant son discours au Capitole devant les membres du Congrès américain, Benjamin Netanyahou a été interrompu à près de quarante reprises par les applaudissements de l’assistance. Triomphe facile, estime le commentateur politique de Haaretz, Amir Oren : le premier ministre israélien s’exprimait devant un public acquis à sa cause, qui aurait réagi de la même manière s’il avait lu à la tribune l’annuaire téléphonique de Césarée – où se trouve sa résidence privée. Sans doute.

Mais avec cette victoire sans péril, Netanyahou a atteint l’un de ses objectifs. Faute d’avoir convaincu la planète entière qu’une menace existentielle pesait sur Israël, il a fourni à son équipe de campagne des images qui vont nourrir ses clips de propagande jusqu’aux élections législatives du 17 mars. Ce qui, pour un politicien aguerri, devancé de quelques points dans les sondages par son principal adversaire, le travailliste Isaac Herzog, chef de file de la liste Union sioniste, n’est pas négligeable. Pour le reste, l’effet stratégique et diplomatique de ce discours, présenté depuis des semaines comme «historique » semble limité.

Comme prévu, Benjamin Netanyahou a affirmé que l’accord en cours de négociation entre les 5 + 1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne) et l’Iran est un mauvais accord, qui met en péril l’existence même d’Israël. Présentant l’Iran comme le centre d’un « réseau terroriste global », qui domine déjà les régimes de Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa, mais rêve d’étendre ses tentacules sur l’ensemble de la région, il a mis en garde son auditoire contre « le plus grand danger qui menace notre monde : l’alliance de l’islam radical et de la bombe atomique ».

« Vaincre l’État islamique et permettre à l’Iran de disposer de bombes nucléaires serait gagner une bataille mais perdre la guerre ». Sans citer une seule fois l’Arabie saoudite ou d’autres monarchies du golfe, dont on connait le rôle majeur dans la naissance et le développement du jihadisme et du terrorisme islamiste, Netanyahou a longuement pris pour cible l’alliance de facto entre l’Iran et les occidentaux, face à l’Etat islamique. « Ne vous laissez pas berner, la bataille entre l’Etat islamique et l’Iran ne fait pas de l’Iran un ami de l’Amérique. Quand il s’agit de l’Iran et de l’Etat islamique, l’ennemi de votre ennemi est votre ennemi ».

Quant à la négociation en cours, qu’il décrit comme un marché de dupes ou Barack Obama et John Kerry apparaissent en naïfs, voire en idiots, elle négligerait totalement, selon lui, l’habitude des Iraniens de ne pas respecter leurs engagements et de dissimuler leurs véritables intentions. Pour le premier ministre israélien l’accord en discussion comporte deux défauts inacceptables, aux yeux d’Israël : – il prévoit le gel contrôlé et non la destruction totale des installations nucléaires iraniennes, notamment des centrifugeuses ; – il ne couvre qu’une période de dix ans.

Les dispositions du traité de non-prolifération (TNP), ratifié en 1970, par Téhéran ? Les visites – renforcées – des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique ? Garanties inopérantes et vaines. Les Iraniens ne joueront jamais le jeu loyalement, affirme le premier ministre d’un pays qui possède près de 80 ogives nucléaires, n’a jamais accepté d’inspections et, comme l’Inde ou le Pakistan, n’a pas signé le TNP.

« Rien de nouveau, Netanyahou n’a proposé aucune autre approche crédible » a commenté la Maison-Blanche, ou Barack Obama avait prévu une conférence téléphonique avec les dirigeants européens, pour parler de l’Ukraine, au moment où s’exprimait Netanyahou. « A entendre ce discours, j’étais au bord des larmes, bouleversée par l’insulte faite à nos services de renseignements et par la condescendance avec laquelle était jugée notre connaissance de la menace iranienne » a confié la représentante Démocrate de la Californie, Nancy Pelosi, qui contrairement à une cinquantaine d’autres parlementaires démocrates avait décidé de venir écouter Netanyahou.

Illustration de l’impact relatif du discours de Netanyahou, sur l’administration Obama, la lutte contre l’Iran et l’aide qu’il fournit au terrorisme, qui figurait, mardi matin, en quatrième position dans les priorités du Pentagone – derrière l’offensive contre l’Etat islamique, le renforcement des forces de sécurité afghanes et la guerre contre Al Qaida – était placée en deuxième position après le discours. Accusant Israël de ne proposer aucune solution réaliste, Susan Rice, chef du Conseil national de sécurité a rappelé que « les frappes militaires ne feraient que nous ramener en arrière » et que l’approche de Washington face à Téhéran demeure la même : « ne pas faire confiance et vérifier »

En Israël, les réactions, comme on peut l’imaginer, sont différentes, voire opposées selon les orientations politiques. Dans le camp du Likoud et de ses alliés, le discours de Netanyahou a été célébré comme une victoire contre l’aveuglement d’Obama. D’autant que les bavures redoutées par Washington n’ont pas eu lieu. Avant d’accuser le président américain d’être prêt à signer un mauvais accord qui met en danger Israël, le premier ministre israélien a pris la précaution de remercier « l’Amérique et les présidents américains, de Henry Truman à Barack Obama », pour l’appui qu’ils sont apporté à Israël.

Et surtout il s’est bien gardé de faire référence dans son discours à des éléments de la négociation couverts par le secret, qu’Israël pourrait avoir en sa possession. Éditorialiste du quotidien gratuit Israël Hayom, le plus gros tirage de la presse israélienne, créé pour soutenir le Likoud, Boaz Bismuth avance que même certains partisans d’Obama ont compris que l’accord en négociation est une « proposition risquée ».

Cruel, le quotidien en ligne Ynet News rappelle qu’en 1993, Netanyahou avait annoncé la bombe iranienne pour 1999. « Ce discours, juge Haaretz, a porté le niveau des sornettes qui caractérisent tous les candidats à cette élection à un sommet. Tous ignorent la véritable menace existentielle qui pèse sur Israël et son aptitude à survivre comme État juif et démocratique : l’interminable occupation des territoires [palestiniens].

L’insistance d’Israël à dominer des millions de palestiniens de Cisjordanie, privés de droits civiques, l’expansion des colonies, le maintien des résidents de Gaza en état de siège. Voila le danger qui menace l’avenir d’Israël ». « Ce discours n’empêchera pas l’Iran d’avoir la bombe, a observé le chef de file des travaillistes, Isaac Herzog. Cet objectif ne pourra être atteint que par la coopération avec les États-Unis ». En d’autres termes, Netanyahou a peut-être joué contre son camp en mettant en péril les relations entre Israël et les États-Unis.

Du côté iranien, les réactions sont étonnement sereines. « Il n’y avait rien de très nouveau dans ce que nous avons entendu, estimait mardi soir, devant l’Académie diplomatique internationale, la vice-présidente de la République islamique, Masoumeh Ebtekar, de passage à Paris, ancienne porte-parole des étudiants qui occupaient l’ambassade américaine. La négociation se poursuit. Netanyahou, seul, n’a pas les leviers pour la faire échouer ».

Principal négociateur iranien, le ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, qui poursuivait à Montreux ses discussions avec John Kerry s’est contenté mardi de répondre aux journalistes qui l’interrogeaient sur les progrès de leurs travaux : « nous essayons, nous essayons ».

Curieusement, ce n’est peut-être pas de Washington que viendra l’évènement de nature à bousculer la campagne électorale israélienne, mais de Tel Aviv. Le 25 février, le contrôleur de l’État a publié un rapport indiquant qu’entre 2008 et 2013 – c’est-à-dire toute la période pendant laquelle Netanyahou – élu en 2009 – a été au pouvoir, le prix des logements à vendre a augmenté de 55%, et les loyers de 30%.

Augmentation qui a frappé de plein fouet les 470 000 foyers les plus modestes. A la lecture de ce document, une centaine de jeunes israéliens, inspirés par l’exemple des « campeurs » de 2011, ont recommencé à installer des tentes sur le boulevard Rotschild, l’un des plus chics de Tel Aviv. Une manière de rappeler à Netanyahu, comme ses adversaires que la menace de la bombe iranienne est moins importante, à leurs yeux, que les conditions de plus en plus difficiles de leur vie quotidienne.

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