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Operation Aube Rouge

publié le 05/11/2006 | par Jean-Paul Mari

Il a rempli les prisons et les charniers de son pays, précipité les Irakiens dans la guerre et donné des cauchemars à l’Amérique. Jean-Paul Mari raconte comment celui qui était devenu le maître absolu de l’Irak a fini par tomber aux mains des soldats de la coalition. Portrait d’un dictateur impitoyable qui fut aussi – jusqu’à l’aveuglement – un prince de l’erreur


Raté! Ils l’ont encore raté. Le colonel James Hickey enrage. Il est déjà 8 heures du soir ce samedi 13 décembre et l’opération Aube rouge s’annonce comme un nouvel échec dans la chasse au dictateur. Pourtant, il ne s’est pas passé plus de sept heures entre le moment où les services de renseignement ont donné l’info et l’arrivée de l’équipe de combat, 600 soldats amenés par hélicoptères, chars et véhicules blindés, des Humvee, sur les lieux où était censé se terrer Saddam Hussein. Sur place, tel qu’on a pu le reconstituer, il y a aussi les forces spéciales et, venue prêter main-forte, une unité de spécialistes kurdes de l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) dirigée par Kousrat Rassoul Ali, celle qui a déjà capturé, en août dernier, Taha Yassine Ramadan, le vice-président irakien. Maintenant, tout le monde tourne en rond dans la nuit sans lune. James Hickey, commandant de la 1re brigade de la 4e division d’infanterie connaît bien Al-Daour, à 150 kilomètres au nord de Bagdad, une zone agricole plantée de palmiers, de citronniers et de petites fermes. Pour les Américains, ce coin est un traquenard permanent. Ezzat Ibrahim, président du Conseil de la Révolution, numéro deux du régime, un homme sec, roux et belliqueux, est originaire d’ici, d’Al-Daour. Introuvable lui aussi! Saddam Hussein est lui-même né dans une maison misérable du village d’Al-Ojah, tout proche. La légende du raïs raconte que le fleuve Tigre qui coule le long des berges l’a sauvé, un jour de 1959, après sa tentative d’assassinat contre le Premier ministre de l’époque. Saddam, blessé, s’est traîné jusqu’à Abra, un endroit où le fleuve se resserre. Et il a réussi à traverser à la nage. Il avait 22 ans.
Tikrit, le nid de l’aigle, est situé à quinze kilomètres à peine: un fief politique, bourré de fidèles du raïs et de combattants inconditionnels, le bastion des tribus qu’il a couvertes d’or et de gloire! En mai dernier, 500 soldats US ont pourtant réussi à encercler des dizaines de partisans de Saddam cachés à Al-Daour, dont un général qui s’était déguisé en berger local. En août, l’opération visait Saddam en personne. Le temps d’obtenir le renseignement, de mobiliser, d’intervenir et l’ancien maître de Bagdad… s’était déjà envolé! Depuis, le colonel Hickey a lancé des dizaines de raids autour de Tikrit. Il sait maintenant que la rapidité de l’action est la clé et que le fugitif ne passe pas plus de quelques heures dans l’une des vingt ou trente caches qui truffent la région. Encore manqué? Cette fois pourtant, les services ont fait très vite et ils ont désigné deux bâtiments possibles, codés «Wolverine One» et «Wolverine Two». Tous les deux se sont avérés désespérément vides. Qu’importe! Le colonel est un homme têtu et méthodique. Depuis le printemps, la procédure opérationnelle adoptée est d’établir un cordon de sécurité de deux kilomètres carrés et de ratisser la zone, mètre par mètre. Alors, il ratisse. Soudain, là, une voiture, un taxi orange garé devant une cahute aux murs de torchis. La baraque appartient à Wais Namuk, un des cuisiniers personnels de Saddam, un homme de toute confiance. A l’intérieur, deux petites pièces, une unique chaise en plastique dans la cuisine et, à même le sol de la chambre, des tee-shirts, des chaussettes et une paire de sandales. Silence. Le colonel Hickey ne le sait pas mais, à deux mètres sous terre, dans le noir absolu, un homme retient sa respiration. La fouille commence. Un des soldats remarque un amas de briques et d’ordures posé sur un tapis. La terre a été fraîchement remuée. Le colonel et ses hommes ont déjà vu cela ailleurs. Un démineur s’approche, casque et combinaison de protection, à la recherche d’un piège explosif. On retire le tapis, un soldat nettoie le sol avec sa pelle puis un orifice apparaît, comme l’entrée d’un puits étroit, un «trou de souris». Il est 20h23. «Nous étions sur le point de dégager cette cache souterraine par des moyens militaires», a dit James Hickey. Les hommes ont déjà leurs grenades à la main, le doigt sur la goupille. Ils ont été envoyés pour «tuer ou capturer» l’ancien dictateur. Près du capitaine Bailey, un artilleur tripote nerveusement la détente de son arme. Par précaution, les hommes se penchent pour regarder à l’intérieur de la cache et… deux mains apparaissent! Deux mains nues, ouvertes, tendues, sans armes, en signe de reddition. Et une voix résonne, en anglais, avec un accent arabe: «Je suis Saddam Hussein, je suis le président d’Irak et je veux négocier.» L’officier lui répond: «Le président Bush vous envoie ses salutations!» La main sur son arme, l’artilleur a l’air un peu déçu: «C’est fini?» Oui. «Il a bien fait de ne pas attendre trop longtemps…», dit le colonel James Hickey.
Dans la cache, profonde de deux mètres, un espace horizontal pour dormir, un système rudimentaire de ventilation, un revolver, deux fusils d’assaut kalachnikov et une mallette de 750 000 dollars: le kit d’un dictateur en cavale. Tout le monde est surpris du manque de résistance de celui qui avait juré de mourir en Saladin moderne, les armes à la main. Pas de combat, pas de suicide, pas de piège. C’est trop rapide, trop simple pour l’ancien maître absolu de l’Irak, celui qui a donné des cauchemars à deux générations d’habitants, rempli les prisons, les salles de torture et les charniers de son pays, ensanglanté la Mésopotamie et la Perse, lancé une guerre de huit ans contre l’Iran, gazé les Kurdes à Halabja, envahi le Koweït et défié les Etats-Unis, l’ONU, le monde entier. Ainsi, c’est lui, cet homme déboussolé, abasourdi, cheveux hirsutes, barbe épaisse poivre et sel, l’habit sale, poussiéreux, l’œil un peu hagard, les traits épuisés d’un homme de 66 ans qui passe ses jours, ses nuits, sa vie depuis huit mois à se terrer, à courir en taxi orange de ferme en ferme, à plonger dans un terrier à la moindre alerte, en écoutant le bruit des semelles des rangers des GI au-dessus de sa tête. Cette nuit, sa grotte d’ermite n’était qu’à un petit kilomètre d’un de ses grands palais d’antan en marbre. Maintenant, un médecin en uniforme de GI et aux mains gantées lui palpe les cheveux, le crâne et lui examine la bouche, la langue, à la lampe de poche. Il se laisse faire, docile, comme un SDF secouru sous un pont, un rescapé, Boudu sauvé des eaux. Sidérant. Pourtant, ce corps épais, lourd, immobile, hiératique, cette façon de tenir la tête relevée, tournée sur le côté, et le regard, – surtout, son regard! – qui a glacé tout un pays pendant vingt-cinq ans. La confirmation objective est affaire de test d’ADN et de l’examen de vieilles cicatrices, dont celle laissée par une balle dans la jambe, vieille blessure qui le fait boiter dès qu’il n’est plus en public. On lui pose des questions et il ne répond pas. «Pas coopératif», note l’officier traitant. «Des remords?» De nouveau, le même regard. Son regard. Oui, c’est bien lui. Et l’officier peut lancer à la radio un cri de victoire: «Nous l’avons!»
Pour atteindre cet objectif, pour «l’avoir», les quelques centaines de soldats, d’hélicoptères et de blindés lancés sur le terrain n’ont constitué que le bras armé d’une organisation mise en place au sommet du Pentagone, à Washington: la Task Force 721, une unité très secrète de chasseurs-tueurs (1). La structure, nouvelle, est composée d’éléments d’élite des Forces Delta, de commandos de marines et de paramilitaires travaillant pour la CIA. Son objectif essentiel: lutter contre la résistance armée en Irak. Ses moyens: priorité à la neutralisation de la direction baassiste, par la capture ou l’assassinat. Pour Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, la création de la Task Force 721 est une victoire personnelle. Voilà deux ans qu’il essayait d’imposer la création de cette unité très particulière. La hiérarchie militaire, très réticente, n’a pas oublié un plan similaire, le sinistre «Programme Phœnix» appliqué au Vietnam, entre 1968 et 1972, qui a abouti à la liquidation de 41 000 «sympathisants vietcongs», dont certains n’avaient rien à voir avec la guerre. Mais, depuis septembre 2001, la lutte contre le terrorisme, la guerre en Afghanistan, le conflit en Irak et les attaques meurtrières contre les GI ont donné au faucon américain les arguments dont il avait besoin. A quoi bon envoyer des tanks contre une guérilla qui frappe les convois de soldats et disparaît aussitôt? Un des hommes chargés de prendre en main la Task Force 721 est le général William Jerry Boykin, qui a renoncé à sa retraite pour l’occasion et s’est déjà distingué par des sermons en uniforme dans les églises où il compare «le monde musulman à Satan qui hait l’Amérique, nation de croyants chrétiens». Pour former les commandos de la 721, le Pentagone a fait appel à l’expérience des Israéliens. A Fort Bragg, en Caroline du Nord, ils sont venus enseigner notamment les techniques des Mist’aravim, des commandos déguisés en Arabes qui s’infiltrent, tuent ou enlèvent des combattants palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. Reste la difficulté d’infiltrer et de localiser une direction baassiste qui préfère communiquer «face à face» et n’utilise jamais de téléphones cellulaires ou de moyens radios.
Pour collecter l’information, les Américains ont donc réactivé le réseau des anciens services de renseignement irakiens, les sinistres Moukhabarat, en s’appuyant sur certains des membres retournés ou repentis. L’un d’eux, un ancien chef des opérations extérieures, Farouk Hijazi, capturé en avril dernier, a accepté de collaborer avec les analystes de la Task Force 721. Les uns renseignent, les autres chassent, une formule décrite par un expert de la CIA par l’équation: «US Shooters-Iraqi Intelligence.» Avec l’effondrement du régime de Saddam, l’éclatement au sommet de la hiérarchie baassiste et le chaos provoqué par la défaite, les «chasseurs» s’intéressent également au «niveau moyen», celui des chefs de tribus fidèles au raïs et du clan familial resserré autour de son fief de Tikrit. La méthode finit par payer: Barzan el-Takriti, un des demi-frères de Saddam, est tué dans un raid aérien; le secrétaire personnel du raïs est capturé; l’ancien commandant de la Garde républicaine puis le cousin du président, «Ali le chimique», sont arrêtés, l’ex-ministre de la Défense se rend et, coup dur pour Saddam, ses deux fils, Oudaï et Qoussaï, sont tués dans un raid à Mossoul. Depuis le 8 juillet dernier, les Américains s’intéressent aussi à un homme du premier cercle, un ancien confident de Saddam Hussein dont l’identité est restée secrète. Le 4 décembre dernier, le suspect échappe de justesse à une chasse à l’homme et à cinq raids de la 4e division d’infanterie. Le len-demain, toujours sur ren-seignement, les soldats du colonel Hickey le traquent à Samarra, le manquent de peu mais récupèrent 1,9 million de dollars: «Nous savions que nous étions sur la bonne piste», dit le colonel. Deux jours plus tard, plus au nord, à Baïji, il passe encore à travers les mailles du filet. Finalement, arrêté vendredi soir à Bagdad, il indique que Saddam pourrait se trouver à l’ouest de Tikrit. On le conduit sur les lieux pour continuer l’interrogatoire «mené par des gens très qualifiés».
Samedi, en fin d’après-midi, l’ancien confident du président finit par craquer: Saddam est à Al-Daour, dans une cache souterraine, proche d’une zone plantée de palmiers. Là où le colonel Hickey a souvent lancé ses soldats, sans succès. Cette fois, c’est différent, le renseignement est précis: quelques heures plus tard, la cavale de Saddam est terminée.
Le lendemain, à l’aube, après quelques heures de sommeil dans une prison de Bagdad, le royal captif, rasé de près, reçoit ses premiers visiteurs, quatre figures politiques majeures du nouveau gouvernement. Ils ont demandé à le voir face à face et pas à travers un miroir sans tain ou un circuit de caméra. Les Américains ont dit oui. Et ils sont là, devant leur ancien bourreau, comme les représentants d’un peuple qu’il a emprisonné, assassiné, supplicié ou forcé à l’exil. «C’était surréel», a dit Mowaffak Rubaïe, un musulman chiite qui a fui l’Irak en 1979 après avoir été arrêté et torturé par la police secrète. Au début, Saddam a l’air toujours fatigué, hagard, un homme brisé. Mais il se métamorphose dès les premières questions sur ses crimes, l’invasion du Koweït, l’utilisation du gaz contre les Kurdes ou l’assassinat de deux célèbres mollahs chiites.
Pas un mot de regret, pas de peur face à la menace d’une condamnation à mort: «Il était provocant, arrogant, haineux, dit l’un des participants, il justifiait ses crimes en disant qu’il n’a fait que gouverner le pays.» Rapidement, le chiite n’y tient plus, il lui demande pourquoi il a fait assassiner Mohammed Bakr Sadr et Mohamed Sadiq Sadr, deux grands mollahs hautement respectés. En réponse, Saddam le toise…«Sadr» (en arabe, cela veut dire aussi poitrine), «Sadr? Lequel? La poitrine ou le pied?» Le mauvais jeu de mot fait bondir le chiite: «C’est scandaleux et immoral. Un blasphème!» Saddam, redevenu le tyran de Bagdad, balaie toutes les questions. Le gazage de 5 000 Kurdes à Halabja?: «L’œuvre de l’Iran!» L’invasion du Koweït?: «Un petit pays qui appartient à l’Irak. » Les charniers de dizaines de milliers de corps?: «Des voleurs, des traîtres à l’armée, des déserteurs.» Ahmed Chalabi, un des leaders de l’opposition, a un haut-le-cœur: «Il n’a pas montré le moindre remord.» Un des participants, ancien prisonnier, frissonne: «S’il était toujours président et nous, toujours détenus… il nous passerait au hachoir à viande.» Rubaïe le chiite s’emporte en menaçant de le livrer au peuple irakien, Saddam hausse les épaules: «Ah oui! me livrer à ces démagogues!»Un autre lui demande comment il compte se présenter devant Dieu? «Je lui ferai face avec un cœur tranquille», répond Saddam.» Rubaïe le chiite n’en peut plus, il sort en le maudissant: «Les Irakiens vous enverront en enfer!» Saddam ne bronche pas.
Battu, prisonnier, défait, épuisé, humilié… qu’importe! Il reste Saddam le dictateur, calme, brutal, hiératique, monolithe sans faille, sûr de lui et sûr de tout, jusqu’à l’obstination. Comme il a toujours été! Un psychopathe tranquille, mélange de tyran féodal et de Staline, le Petit Père des peuples, son idole, qui va régner en accumulant les bourdes monumentales, acharné à détruire une à une toutes les chances de l’Irak. Et les siennes.
«Il est dur jusqu’à la cruauté», a dit de lui Evgueni Primakov, l’ancien ministre russe des Affaires étrangères qui le connaît bien. «Dur»? C’est le moins que l’on puisse dire. En 1969, il est déjà l’homme fort de l’Irak et a grimpé l’échelle du pouvoir en tuant de ses mains certains de ses plus proches collaborateurs. Dix ans plus tard, à 42 ans, il accède au pouvoir et convoque aussitôt des centaines de cadres du parti Baas à une réunion macabre. Ce 22 juillet, il fait lire au secrétaire général du Conseil du Commandement de la Révolution sa «confession» détaillée de participation à un «complot». Puis le malheureux doit énumérer les noms des conjurés, présents dans la salle. Une caméra filme la séance. A chaque nom, l’accusé se lève et on l’emmène, sans pouvoir dire un mot. Vingt-deux membres de la direction du Baas seront fusillés en présence de Saddam. Dans la salle, parmi ceux «épargnés», certains s’épongent le front. Saddam les toise en fumant un gros cigare. Tous ont compris qu’on ne conteste pas le nouveau maître de Bagdad.
Avec la flambée du pétrole en 1973, l’Irak est riche. Et Saddam l’Arabe regarde du côté de l’Iran, le Perse, ennemi héréditaire, affaibli par la révolution de Khomeyni. Un attentat manqué du parti chiite contre Tarek Aziz achève de le convaincre d’éliminer le danger chiite iranien. Il croit n’en faire qu’une bouchée et prend sa décision seul, comme d’habitude. Première erreur. La guerre dure huit ans. Saddam va ruiner son pays, s’endetter de 70 milliards de dollars et pratiquer une terrible saignée. Deux cent mille morts, trois à quatre cent mille blessés: les rues de Bagdad se peuplent de veuves et d’éclopés. Quelqu’un doit payer! Qui? Le Koweït, bien sûr, sommé d’effacer la dette irakienne. Avant d’entrer en guerre, Saddam rencontre April Glaspy, l’ambassadrice américaine en Irak. Durant l’entrevue, il évite soigneusement les mots «guerre» ou «militaire». Il dissimule, comme toujours: «La poche droite de la chemise de mon père ignore ce qui se trouve dans la poche gauche», a dit son fils Oudaï. Saddam est trop rusé pour son interlocutrice qui parle de «non-immixtion des Etats-Unis». Il croit l’avoir piégé en obtenant un feu vert pour la guerre. En réalité, il n’a entendu que ce qui lui convenait: Saddam Hussein s’est piégé lui-même! L’invasion du Koweït provoque un tollé international, une coalition internationale masse un demi-million d’hommes aux portes du désert. Saddam Hussein peut encore faire marche arrière. Evgeni Primakov se précipite à Bagdad: «Je lui ai conseillé d’éviter le pire. De retirer ses troupes du Koweït. En vain.» Les armées alliées le balaient en quelques jours mais il assure, imperturbable, être sorti vainqueur de cette immense déroute: «Notre armée s’est retirée du Koweït parce que nous en avons décidé ainsi.» L’ONU décrète un embargo ruineux mais il ne sait pas tirer les leçons de sa défaite: «Nous pouvons vivre avec les sanctions pendant dix ou vingt ans!» Buté, borné, solitaire… «Saddam est devenu une caricature de dictateur, qui ne retenait que les informations qui lui étaient favorables, dit Primakov, il s’est coupé du réel. Je ne peux pas expliquer autrement les erreurs qu’il a commises.» Il a survécu aux soulèvements, aux tentatives d’assassinats, aux complots, à la guerre, à la défaite, à l’embargo et maintenant aux raids aériens après avoir chassé les inspecteurs en désarmement. Saddam a mis toute la violence dont il est capable au service de son ego. Il se moque de l’argent et n’aime que le pouvoir absolu, il défie le monde entier, couvre le pays de ses statues, fait construire des mosquées gigantesques, donne 25 litres de son sang en trois ans pour faire écrire un Coran. Saddam Hussein se croit à la fois Saladin, Nabuchodonosor et le prophète. Il est Dieu.
En réalité, il se perd. Occupé à massacrer ses populations, à ferrailler contre les inspecteurs de l’ONU, à nourrir sa vengeance contre la dynastie Bush, à ne céder ici que pour mieux reprendre là, à gagner de petites batailles tactiques alors que sa stratégie pitoyable le conduit à la catastrophe finale, à cette deuxième guerre du Golfe qui veut le mettre à bas, lui et son régime. Au printemps dernier, c’est d’abord la statue en bronze du raïs irakien qui s’abat dans un bruit de ferraille place du Paradis, en plein centre de Bagdad martyrisée. Samedi dernier, piégé encore une fois par lui même, sale et hirsute au fond d’un trou sale et à deux pas de ses palais de marbre, Dieu est devenu un clochard de l’histoire.

Jean-Paul Mari


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