Mali : Les geôliers du désert
En 2021, le journaliste Olivier Dubois, sur le point de rencontrer un dirigeant djihadiste, fut enlevé et retenu en otage pendant près de deux ans. Il raconte

Au-delà du récit proprement dit de l’enlèvement et de la captivité de Dubois, quelques sujets géopolitiques émergent à nouveau de ce livre -témoignage.
Le désert, réalité géographique et métaphore du sous-développement
La beauté du désert inspire de belles pages à Dubois. Mais elles soulignent aussi la cruauté de cette prison « en plein air » (et en plein soleil !) d’où toute tentative d’évasion parait vaine tant dans cette immensité, il n’y a nulle part où aller qui ne soit pas accessible en quelques minutes aux ravisseurs. Mais à cette cruauté s’ajoute une autre dimension, celle d’une partie du Mali laissée depuis toujours à l’abandon, à l’écart du développement. Car Dubois a été transféré plusieurs fois dans des « prisons » désertiques différentes. Il a donc circulé pendant sa détention.
Dans ce désert, il a vu à quel oint tout manquait, même les équipements les plus élémentaires, pour l’eau par exemple. Certes, le désert est puissant mais il est des pays qui ont su en faire des espaces habitables où l’homme n’est pas toujours en train de se battre contre les éléments sans le secours de quelque technologie. À cet égard, le nord du Mali fait partie de ces espaces qui ignorent, le plus souvent, même les simples tronçons de bitume ou les systèmes de répartition de l’eau, en-dehors des alentours des quelques villes ou bases militaires. La junte malienne s’est glorifiée d’avoir repris, avec leurs supplétifs russes de Wagner, la base de Kidal aux rebelles, mais cela n’a rien changé.
Au-dehors de Kidal, le désert reste le désert mais il est désormais aux mains, politiquement et militairement, des djihadistes et des mouvements Touaregs rebelles qui se battent pour l’indépendance du Nord-Mali. De là une différence fondamentale entre ces deux mouvements : les indépendantistes veulent faire de ce désert un pays autonome et en promouvoir le développement tandis que les islamistes ne s’en servent que pour, un jour, instaurer un calfat dans tout le pays, éventuellement au-delà dans tout le Sahel. Étrange destin donc pour ce Nord-Mali et sa partie la plus désertique que d’être ainsi disputé par trois groupes dont aucun n’a les mêmes enjeux ni les mêmes objectifs.
L’endogénéisation de la rébellion, djihadiste ou indépendantiste
La conséquence immédiate de cet abandon de territoire par la junte malienne, au-delà de la victoire symbolique remportée à Kidal, son sous-développement dramatique renforcé par l’ingratitude de la nature elle-même, est simple. Les populations qui y vivent se retrouvent de fait face aux seuls groupes rebelles ou djihadistes et s’en trouvent dépendants pour leur simple survie. À sa manière, celle d’un prisonnier sans liberté de mouvement ni de parole, Dubois l’observe très nettement de nombreuses scènes. Selon lui, les habitants croisés sont des sympathisants du groupe responsable de son enlèvement.
Une moto et une Kalachnikov transforme immédiatement un jeune chômeur en terroriste patenté
Il est toujours difficile de savoir si cette « sympathie » est principalement forcée, du fait de cette dépendance des habitants. Mais d’autres témoignages démontrent à quel point, non seulement au Mali mais aussi au Burkina ou au Niger, une partie croissante des populations n’adhère pas forcément à toutes les thèses des islamistes mais ne voient guère d’autres perspectives. Notamment les jeunes, si souvent désœuvrés.
On peut se souvenir à ce propos de ce que disait si lucidement le président nigérien déchu, Mohamed Bazoum, pour son propre pays. Il expliquait comment l’attribution d’une moto et d’une Kalachnikov transformait immédiatement un jeune sans emploi en terroriste patenté. Cette endogénéisation du djihadisme est donc d’abord le fruit de cet abandon par les États concernés, d’apparence démocratique ou juntes, et d’un sous-développement aggravé. À leur manière également, les responsables de ces groupes en tirent argument en déclarant selon un propos rapporté par Olivier Dubois que « tant que la corruption et le népotisme règneront » ils poursuivront leur combat.
Cette observation ne vaut pas seulement pour les islamistes. Elle vaut tout autant pour les indépendantistes, même s’il serait présomptueux de vouloir apprécier le rapport de forces actuel. Le Front de libération de l’Azawad (FLA) en particulier, semble ainsi s’être récemment renforcé, avec le soutien ostensible de l’Algérie et celui, plus discret de la France. Et son rapport aux populations des villes, villages ou parties du désert qu’il contrôle est le même. Une adhésion, peut-être forcée, parce que leur survie en dépend mais qui, de toute façon vaut mieux que celle à un État qui les a abandonnées. Ou pire, qui s’est rendu coupable de crimes atroces contre elles. La liste est déjà longue de telles exactions.

Les impasses de la solution purement militaire
On a donc toutes les raisons de penser que le combat de la junte malienne, comme des autres juntes, burkinabée ou nigérienne, est perdu d’avance, contre des groupes qui maîtrisent une grande partie du territoire et ont su, au moins provisoirement, gagner la con- -fiance des populations. Seul en effet le volet militaire des programmes d’action de ces gouvernements est mis en avant. Les massacres de Moura au Mali ou plus récemment de Barsalogho (voir notamment ma chronique 84 du 15 septembre 2024) en fournissent une parfaite illustration.
Une fois de plus, ce constat est étrange, de la part d’officiers sensés avoir étudié dans leurs écoles militaires tous les mouvements de libération des siècles précédents ! Cette erreur de l’option du « tout-militaire » ne cesse de confondre remise en ordre et répression brutale. Car toute remise en ordre suppose que soit simultanément prise en mains des questions de base du développement, l’eau, l’alimentation, le logement, la sécurité.
Les Français avaient déjà commis la même erreur avec l’opération Barkhane. Vieux réflexe colonial sans doute ! Mais que ces Forces armées maliennes (FAMA) dont les troupes sont issues souvent de ces mêmes régions ne déploient pas une autre stratégie prouve à quel point ces juntes sont coupées d’une grande partie de leurs populations. Ou alors que ce sont leurs supplétifs russes qui mènent la danse. Il est surtout probable que les dirigeants des juntes vivent repliés dans leurs casernes, avec le seul soutien d’élites urbaines ne voyant que leurs propres intérêts !
Le témoignage
Le « prisonnier du désert » que fut Olivier Dubois vient ainsi s’ajouter à la longue liste de tous ceux qui ne voient guère d’issue au Sahel, sinon la victoire progressive des islamistes au Sahel, les trois capitales tombant peu à peu comme dominos, Bamako, puis Ouagadougou, puis Niamey. Dans le même temps, profitant d’une alliance de circonstance, le Front de Libération de l’Azawad pourrait récupérer à son profit et avec le soutien d’Ajger le Nord-Mali. Triste scénario dont on voit mal comment les trois juntes même alliées au sein de l’AES pourraient l’empêcher de se produire. À moins, autre scénario, d’une intervention massive de puissances alliées, à la libyenne. Mais qui n’aurait pour résultat que d’ajouter du chaos au chaos.
Livre : « Prisonnier du désert » – Michel Lafon – 2025
Souscrivez : « jeanpauldegaudemar.substack.com »
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