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Para Bellum : Comment l’Europe doit se préparer à la guerre

publié le 24/03/2025 par Jean paul de Gaudemar

L’Europe n’est pas prête pour affronter un conflit majeur. Elle a oublié la guerre froide. Face à la menace de la Russie et l’abandon américain, il est temps de sortir du rêve

Le parapluie percé de l’OTAN

Habituée depuis quatre-vingts ans à vivre sous la protection de l’OTAN, donc en grande partie des Américains, l’Europe se découvre brutalement fragile et démunie face à la menace russe, dès que son puissant allié (ou supposé tel) fait mine de se retirer. On pourrait s’étonner que cette Europe globalement prospère n’y ait pas pensé plus tôt, notamment lorsque, bien après le traité de Rome à la fin du siècle dernier, ses membres préférèrent un élargissement géographique à un approfondissement de ses compétences propres. Il est vrai que la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS semblaient avoir éliminé l’ennemi. Il y eut toutefois une exception notable, la création de l’euro. Le Rubicon était alors près d’être franchi tant la monnaie est un puissant outil de souveraineté et tant elle implique donc une forte volonté politique partagée. Ce n’était certes pas encore du fédéralisme, mais cela commençait à y ressembler.

Si l’on doit sans doute oublier ces occasions manquées, on peut, on doit tout de même essayer de rappeler les conditions sans lesquelles aucune défense communautaire ne paraît possible.

Pourquoi 500 millions d’Européens demanderaient à 300 millions d’Américains de les protéger contre 150 millions de Russes !

Une indispensable volonté politique

C’est évidemment la première sinon la principale condition, dans un contexte international restant globalement hostile au fédéralisme, les États de l’Union européenne demeurant attachés à d’importants éléments de souveraineté comme la Défense ou, plus curieusement, l’Éducation. Mais dans ce brusque renversement de situation où le rapprochement de la Russie et des États-Unis brouille toutes les cartes, plusieurs États, dont au premier chef la France, ont compris qu’une telle défense communautaire devenait indispensable. Dans cette perspective générale, les nuances abondent, en particulier pour abandonner le moins de souveraineté possible.

C’est particulièrement vrai pour la France et, dans une certaine mesure, pour le Royaume-Uni, seuls détenteurs en Europe de la puissance nucléaire. Les États de l’UE sont donc très partagés, mais certains d’entre eux semblent avoir clairement décidé de franchir le pas. Donald Tusk, le premier ministre polonais acquis à cette cause, a d’ailleurs déclaré avec humour et réalisme qu’il était tout de même étonnant que 500 millions d’Européens demandent à 300 millions d’Américains de les protéger contre 150 millions de Russes !

Certes, 800 millions d’euros sont annoncés, mais cela paraît très insuffisant face à l’urgence actuelle

Cette pusillanimité des Européens pourrait donc se transformer sous l’effet de la décision d’un noyau de pays, suivis ou non par une majorité des pays de l’UE et – pourquoi pas ? – en associant le Royaume-Uni. Selon les cas, ou plutôt selon l’attitude des États-Unis, cela peut se faire avec l’OTAN ou en dehors d’elle. Mais cela imposera un état-major coordinateur dépassant en compétence les essais précédents comme la Force d’action rapide, rassemblant donc un potentiel militaire nettement plus important et agissant sous l’autorité politique d’un conseil regroupant les pays concernés et leur donnant des prérogatives proportionnées à leurs engagements. L’exemple de la façon dont l’euro a été mis en place serait ici une référence intéressante.

Se doter de moyens financiers et industriels à la hauteur

L’industrie européenne ne manque pas d’atouts dès aujourd’hui dans la fabrication d’armements de tous types, comme dans sa capacité à les exporter. Rassemblés, les pays volontaires seraient donc loin d’être démunis, sur terre comme sur mer ou dans les airs, à condition toutefois de cesser de se faire concurrence et de combler rapidement les manques les plus criants, notamment en matière de munitions. En prenant pour modèle l’armée française, réputée adaptée aux conflits modernes, notamment dans sa capacité de projection, on voit immédiatement que l’échelle doit en être amplifiée en termes d’hommes, de matériels et de munitions. Économiquement, cela correspond à des besoins d’environ 100 milliards d’euros annuels. L’Union européenne serait-elle en mesure de mobiliser de telles sommes ?

Le plan récemment présenté par la présidente de la Commission européenne prêterait presque à sourire tant il apparaît davantage comme un leurre de communication que comme une réponse sérieuse à la question posée. Certes, 800 millions d’euros sont annoncés, mais cela paraît très insuffisant face à l’urgence actuelle. En revanche, exclure les dépenses militaires du décompte du déficit public serait une mesure appropriée à la période actuelle et à son urgence. Sans cela, la France pourrait rapidement connaître d’autres types de conflits sociaux.

Mobiliser les hommes et les femmes

On ne fait évidemment pas la guerre sans soldats, hommes ou femmes. La plupart des pays européens ont supprimé le service militaire obligatoire. Malgré les efforts faits dans certains pays pour mobiliser une réserve citoyenne, il est peu probable que cela suffise. Une réflexion approfondie sur la mobilisation générale est nécessaire, avec un débat incluant les modalités d’instruction militaire, l’organisation, la logistique et les coûts afférents.

Préparer les structures du pays

Enfin, la rapidité de déplacement des troupes sur le sol européen est essentielle. Malgré la qualité globale de ses infrastructures, l’Europe reste vulnérable à des blocages territoriaux. Harmoniser la taille et la solidité des ponts, l’écartement des rails, la robustesse des routes et des aéroports ou encore la protection des sites sensibles apparaît donc comme une nécessité stratégique urgente.

La conclusion est claire : l’Europe n’est pas prête pour affronter un conflit majeur. Obsédée par la taille de son marché ou l’immigration, l’Union européenne a oublié que pouvait renaître une nouvelle guerre froide. Mais il est temps de sortir du rêve si l’on veut que la paix reste une réalité.

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