Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Au secours, l’Afrique se noie !

publié le 29/12/2024 par Jean paul de Gaudemar

Face au fléau, l’Afrique mobilise, mais reste victime des grandes puissances et de ses lobbies

2024 : des négociations climatiques à l’arrêt

L’année 2024 vient d’être déclarée comme la plus chaude qu’ait connue l’humanité, dépassant déjà le seuil des 1,5 °C au-dessus de la température de l’ère préindustrielle. Pourtant, c’est cette même année que les négociations internationales sur le changement climatique et ses causes ont eu le plus de mal à aboutir, voire ont carrément échoué. Ainsi, la COP sur la biodiversité, puis la COP 29 à Bakou, ont laissé bien des délégations avec le sentiment d’un retour en arrière, oubliant le projet de « sortie progressive » des énergies d’origine fossile acté l’année précédente à Dubaï. Le dernier exemple en date est cette pseudo-COP qui vient de se tenir à Busan, en Corée du Sud, consacrée à la gestion des plastiques (un produit issu à 99 % du pétrole) et au fléau polluant majeur qu’ils représentent.

La Norvège et le Rwanda vent debout contre le plastique

Plus de 170 pays, dont une quinzaine d’Africains, participaient à cette conférence. Fait rare, le groupe de pays ayant conduit la réflexion la plus approfondie était mené par un pays africain : le Rwanda. Ce pays était accompagné de la Norvège (pourtant un grand producteur de pétrole) et d’un groupe comprenant 68 nations. Ensemble, ils ont défendu une position très radicale visant à une réduction drastique de la production de plastiques, s’appuyant sur un dispositif juridique très contraignant fixant des objectifs précis.

1300 millions de tonnes de plastique à l’horizon 2060

Selon les défenseurs de cette position, l’urgence est manifeste. Plus de 400 millions de tonnes de plastiques sont consommées annuellement au début des années 2020, mais ce chiffre pourrait tripler d’ici 2060 pour atteindre 1 300 millions de tonnes. Depuis 1950, on estime que 8 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été produits. Or, seulement une très faible part de ces déchets est recyclée : environ 9 %, selon l’Atlas du plastique publié par Greenpeace. Toujours selon cet Atlas, 40 % des sacs plastiques sont jetés dans le mois suivant leur usage, et 200 millions de tonnes de plastiques flottent dans les océans.

Ces déchets forment parfois de véritables îles artificielles dans certaines régions du monde. Les dégâts sont majeurs : halieutiques, aviaires, mais aussi humains, car les résidus de décomposition des plastiques sont absorbés par les populations, notamment celles vivant à proximité des décharges sauvages.Ainsi, la question des déchets plastiques dépasse largement le cadre écologique et les énergies fossiles : leur gestion anarchique est devenue un problème sanitaire, tant pour les humains que pour les animaux.

D.R

L’Afrique : petit pollueur, grande victime

L’Afrique est mobilisée car, comme pour les gaz à effet de serre, elle est un faible pollueur : sa part dans la consommation mondiale de plastiques est estimée à 4 %. Toutefois, comme pour les gaz à effet de serre, les plastiques ignorent les frontières : ils voyagent et s’échangent facilement. Jeune Afrique, s’appuyant sur des données de Greenpeace, rappelle le lourd tribut payé par certains pays africains. En Afrique de l’Ouest, par exemple, l’emballage et la construction utilisaient 61 millions de tonnes de plastiques en 2021, dont 50 % étaient rejetés en mer.

En 2020, la seule Italie a exporté vers la Tunisie 282 conteneurs de plastiques. Au Nigeria, environ 300 millions de tonnes de vêtements synthétiques usagés sont exportés chaque année. Au Ghana, 122 000 tonnes de ces déchets ont été réceptionnées en 2022. Au Kenya, 150 tonnes de PVC ont été importées en 2021.

Le « colonialisme des déchets »

Ces exemples démontrent l’urgence d’un mécanisme international pour réguler la production de plastiques et gérer les déchets qu’ils engendrent. Puisque l’Afrique produit peu de plastiques, l’attention doit se porter sur les autres continents, grands exportateurs de déchets, pour mettre en place une gestion efficace de cette crise.

Russie, Arabie saoudite et Iran, l ’ombre des lobbies pétroliers

Si la position radicale du Rwanda, partagée par 68 autres pays, n’a pas été entendue à Busan, c’est en raison de l’opposition farouche des lobbies pétroliers et des États grands producteurs de pétrole, tels que la Russie, l’Arabie saoudite et l’Iran. Ces pays, réunis dans une coalition aux visées économiques et politiques, jugent irréaliste l’objectif d’éliminer la pollution plastique d’ici 2040, surtout s’il s’accompagne de contraintes juridiques imposées aux États. Ces contraintes impliqueraient, de facto, la fin de la production de plastiques.

Il est clair que les énergies fossiles n’ont pas dit leur dernier mot, malgré l’Accord de Paris, malgré un réchauffement climatique désormais avéré, malgré les compromis ambigus de la COP 28 à Dubaï. Avec elles, les plastiques. C’est pourquoi parler de « colonialisme des déchets » reflète une réalité bien tangible pour le continent africain. Il y a donc urgence à ne pas laisser l’Afrique seule face à ce défi.


Tous droits réservés "grands-reporters.com"