Russie : Poutine à la conquête de l’Afrique

Poutine a de la suite dans les idées. Ce fonctionnaire « inoffensif » choisi en 1999 par les oligarques russes pour succéder à Boris Eltsine a réussi à les éliminer et à les remplacer par ses propres hommes du gang de Saint-Pétersbourg. Cette opiniâtreté, Poutine sait aussi la mettre en œuvre pour conquérir l’Afrique. Cette fois, c’est un échec qui lui permet de rebondir.

« L’échec »

L’échec, c’est la chute du régime de Bachar-el-Assad en Syrie. De cette apparente victoire de l’Occident et de la Turquie dans ce nouveau Moyen-Orient également redéfini par la guerre entre Israël, le Hamas et les autres « proxys » iraniens, Poutine tire immédiatement la conséquence : il quitte la Syrie, notamment sa base de Tartous et redéploie le maximum de ses troupes en Afrique. Selon un plan qui semble mûri de longue date.

Un plan préparé de longue date

La chute de Bachar-el-Assad n’a sans doute ni surpris ni pris au dépourvu Poutine et l’état-major de l’armée russe. À l’évidence, ils n’ont pas voulu s’y opposer, sentant sans doute un rapport de forces trop défavorable.

Mais le plan a démarré bien plus tôt. Probablement dès la mort de Prigogine, le chef des milices Wagner mais aussi plus largement du groupe Concord à la tête d’un petit empire africain. Prigogine mort, Poutine reprend les rênes. Concord, dont Wagner, passe sous contrôle du Ministère de la Défense russe et de leurs services de renseignements (GRU) et réapparaissent sous l’appellation Africa Corps, curieuse réminiscence de l’armée de Rommel … Les hommes de Wagner sont parfois renvoyés et remplacés, parfois repris, l’essentiel étant leur loyauté à l’égard de Poutine. L’activité parfois un peu débridée de Prigogine cède la place à une planification militaire planifiée, sous le contrôle direct du Kremlin.

La Libye du Maréchal Haftar

Le point d’entrée le plus simple semble être la Libye grâce au soutien que les Russes apportent au maréchal Haftar, l’un des maîtres d’une Libye en proie au chaos. Contact est donc pris avec l’entourage du maréchal pour l’installation d’une première base militaire logistique en Libye. Le choix se porte  sur une ancienne base aérienne du temps de Kadhafi, dans le sud du pays, Maaten-el-Sarra, à proximité relative du Sahel, du Soudan, voire plus au sud vers le Tchad et la Centrafrique, bastion de longue date de Wagner et Concord.

Dès le début de 2024, les travaux commencent par la réfection des pistes pour accueillir des avions gros porteurs. La chute de Bachar, le 8 décembre 2024, accélère le processus puisque, quelques semaines plus tard, le redéploiement des troupes russes de Syrie se fait en partie vers la Lybie via Benghazi, 1800 hommes, et là encore avec la complicité de Haftar. Le point d’entrée africain, Maaten-el-Sarra, est donc désormais établi. À partir de là, un réseau militaire et logistique s’ébauche. Dans les plans à moyen et long terme de Poutine, il n’est pas interdit de penser qu’au cas où la guerre en Ukraine se termine, une partie de l’armée russe se dirige peu à peu vers ce nouveau front.

Une stratégie de conquête ?

A quelles fins ? Les troupes russes dont Africa Corps sont déjà présentes dans les trois pays du Sahel, Mali, Burkina et Niger. Ainsi qu’au Soudan et surtout en Centrafrique. L’édification et la consolidation progressives de ce réseau de bases n’est donc qu’une question de temps, tant les gouvernements concernés sont favorables à cette présence. La situation est toutefois un peu plus complexe au Soudan où la guerre continue de faire rage entre les deux généraux Bourhane et Hemetti.. L’essentiel pour la Russie est en effet d’obtenir enfin leur base navale près de Port-Soudan, promise de longue date, bien avant ce dernier conflit.


Le Tchad s’est tourné vers Moscou

Reste le Tchad qui déjà renvoyé chez eux, Français, autres Européens et Américains. Il permet d’asseoir encore plus fermement l’emprise russe pouvant s’étendre de l’Afrique du Nord à toute la zone sahélienne jusque vers l’Afrique centrale. Le rapprochement de N’Djamena avec Moscou est déjà en grande partie effectué, la diplomatie russe n’ayant pas ménagé ses efforts, surtout depuis le départ des Français. Mais Le président tchadien Mohamed Idriss Itno, à Moscou début 2024, a amorcé un virage stratégique suffisamment surprenant pour que la possible installation de troupes russes dans la  base militaire historique de Faya-Largeau ne soit plus une hypothèse. Le motif premier en est sans doute le Soudan. On sait l’énorme afflux de réfugiés du Soudan vers le Tchad (plus d’un million et demi de personnes). Le chef de l’État tchadien, qui considère que les Occidentaux sont sourds à ses demandes d’aide, s’est donc tourné vers Moscou comme il pourrait bientôt le faire vers la Chine. Belle opportunité pour Poutine.

Quelles sont les intentions réelles du dictateur russe quand cette stratégie mediterranéo-sahélienne sera opérationnelle. Qu’en fera Poutine dans sa volonté de puissance ? Surtout si la guerre en Ukraine s’approche de son terme…

Les pays de la zone ont-ils choisi leur camp ?

Les chefs d’État africains sont déjà passés maîtres dans l’art de faire monter les enchères, la grande force des Russes étant leur maîtrise de tous les systèmes de corruption possibles. La situation est moins claire en Guinée ou au Tchad, a fortiori au Soudan. La question se pose aussi pour le Sénégal, même si le rempart démocratique y semble plus solide.

Vu le nombre considérable d’accords de nature sécuritaire et militaire passés par la Russie avec une grande majorité de pays africains, il est difficile de parler ici de « soft power » puisque ce sont surtout les armes qui parlent. Mais ce grignotage progressif de l’emprise russe ne peut manquer de confirmer à quel point l’Afrique apparait comme un des lieux privilégiés de la nouvelle guerre froide. Sauf si Trump continue à se désintéresser de l’Afrique.

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