Sahel : la spectaculaire impuissance des juntes face aux Djihadistes
Les militaires africains au pouvoir se sont empressés d’expulser les soldats français…mais se révèlent incapables de protéger leurs populations
Après tant d’autres, la tuerie de Barsalogho au Burkina-Faso n’est pas seulement effrayante par le nombre de victimes civiles mais elle démontre à quel point ce pays, dominé par une junte militaire et son chef le capitaine Traoré, est dans l’impasse face aux mouvements djihadistes. Ce sont en effet plusieurs centaines de victimes parmi les civils qui sont à déplorer, trois cents morts et des dizaines de blessés, voire davantage selon des organisations locales. C’est le GSIM, affilié à Al-Qaïda, qui a revendiqué cette attaque dans une localité suffisamment proche de Ouagadougou pour qu’elle soit considérée comme un des derniers verrous importants avant la capitale. Autant dire qu’au nord de cette zone, les troupes djihadistes contrôlent en grande partie le terrain et que la capitale se voit peu à peu enserrée par les différents groupes rebelles.
Les raisons d’une tuerie
Ce massacre de civils qui signe une nouvelle fois l’incapacité de la junte à défendre les populations contre ces groupes peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier est le recours de plus en plus massif de l’armée burkinabée aux supplétifs dénommés Volontaires pour la Défense de la patrie (VDP). La mobilisation correspondante, très souvent mal vécue, a entraîné le recrutement de jeunes peu motivés, mal formés militairement et mal armés. Autant dire de la « chair à canon » ni désireuse ni capable de résister réellement à des troupes aguerries, et servant paradoxalement de troupes de « première ligne » aux forces armées officielles de la junte. Les relations entre ces « Volontaires » et les populations locales ont souvent été conflictuelles, au point que les VDP se sont déjà rendues coupables de nombreuses exactions envers des civils.
Guerre médiévale
Autre élément à prendre en compte, la stratégie préconisée à outrance par le chef de la junte, celle consistant à creuser des tranchées autour de toutes les localités ou agglomérations, à la manière d’un camp retranché. On pourrait se croire en pareilles circonstances revenus aux guerres du Moyen-Âge, lorsque les paysans se réfugiaient à l’abri des murailles des châteaux de leurs suzerains et de leurs douves! Donc « creuser », tel est le mot d’ordre de Traoré et de son état-major. Mais « creusez vous-même » enjoint-il aux populations villageoises ou vous ne pourrez-vous en prendre qu’à vous-même si vous êtes attaqués.
En clair, face à un djihadisme de plus en plus endémique, apportant un soutien délibéré aux populations abandonnées par l’État, la junte prône une lutte populaire dont le fer de lance serait des VDP bien démunis, laissant aux populations le soin de creuser elles-mêmes les tranchées censées assurer leur défense, aux risques de creuser en même temps leurs propres tombes.
Un engrenage inévitable
Les témoins sont nombreux à décrire la pression forte, voire physique, exercée par les autorités militaires et les VDP, sur les habitants civils de la ville pour les forcer à aller creuser ces tranchées. De même ils sont nombreux, vidéos à l’appui, à retracer l’attaque des islamistes, dès le début du chantier, comme à souligner que les militaires et les VDP présents auraient fui dès le début de l’attaque, laissant seuls les villageois. Il s’est avéré en outre que le GSIM avait en effet été averti de ce projet de tranchées et n’avait cessé de proférer des menaces vis-à-vis de tous ceux qui accepteraient de creuser. Autant de villageois pris entre le marteau de la menace djihadiste et l’enclume de la brutalité des forces armées officielles.
En ce sens, la junte commet elle aussi l’erreur de croire que seule une solution militaire l’endiguera, une erreur déjà commise par les Français, répétée au Mali, comme au Niger.
Un contre-exemple ivoirien ?
On peut à cet égard regarder comme un contre-exemple potentiel, l’attitude adoptée par A. Ouattara en Côte d’Ivoire, à la fois face aux incursions répétées dans le nord de son pays et face aux milliers de réfugiés burkinabés qui désormais s’y pressent fuyant d’autres groupes islamistes armés. L’ONU en aurait décompté 60000. Dans un pays déjà traumatisé par l’attentat de Grand-Bassam en 2016, des incursions du GSIM et d’autres groupes se sont répétées, au-delà de la frontière avec le Burkina, dans la zone du parc national de Comoé, et ont fait de nombreuses victimes militaires en 2020 et 2021.
Ces pertes ont incité les autorités d’Abidjan à mettre en place, dès janvier 2022, un programme spécial dans cette zone et les provinces concernées. Son objectif est formulé très clairement : « renforcer la cohésion sociale et la résilience économique des populations du Nord face aux risques d’attaques terroristes en raison de leur proximité avec le Mali et le Burkina-Faso ». Le ministre ivoirien de la Défense évoque ainsi (voir notamment Jeune Afrique du 27 août 2024) la nécessité de « sortir les localités frontalières de la précarité » pour éviter que les terroristes ne viennent « charmer » les habitants avec des « propositions qui ne les mèneraient nulle part ».
Rien de plus attrayant en effet parfois qu’une moto et une kalachnikov, comme sont souvent décrites les tentations offertes aux jeunes recrues de ces groupes.
Le mot d’ordre du programme ivoirien est donc d’occuper intelligemment ces jeunes en les formant, en leur apprenant un métier, en leur trouvant un emploi. L’ambition n’est pas mince puisqu’entre 2022 et 2024, le programme s’est fixé comme objectif d’accompagner près de 65.000 jeunes avec un budget important pour le pays, de l’ordre de 50 millions d’euros, soit l’équivalent d’environ 7.500 euros par jeune.
Pendant ce temps au Niger…
Pendant ce temps au Niger, l’imbroglio est complet. D’un côté le chef de la junte Tiani continue à entretenir des tensions fortes avec ses voisins du Bénin et du Nigéria qu’il accuse d’accueillir des « agents subversifs » à la solde d’une France revancharde après son expulsion du Niger et complice de l’État islamique et de Boko Haram.
Le drame de Barsalogho va au-delà du fait divers sanglant par ses nombreuses victimes civiles. Il démontre à quel point les États du Sahel, le Burkina-Faso mais aussi le Mali et le Niger, sont actuellement dans une impasse à la fois militaire mais peut-être plus encore politique et sociale. Comme si les juntes semblaient aujourd’hui davantage préoccupées de leur propre survie que de la sécurité et d’une vie normale des populations de leur pays…
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