Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Serbie : les ambiguïtés d’une révolte populaire

publié le 05/07/2025 par Malik Henni

A Belgrade et dans tout le pays, le pouvoir vacille, la rue gronde mais elle est radicalement partagée entre libéraux et pro-européens et nationalistes anti-Vucic

L’ampleur de la mobilisation, qui dure depuis six mois en Serbie, atteint des proportions que peu d’observateurs auraient pu prévoir. Le pays est quadrillé par des barrages de police, des chantiers sont apparus du jour au lendemain pour bloquer les bus transportant les opposants à Belgrade, les barricades se dressent et se laissent démonter par des forces de l’ordre débordées dans les rues de la capitale. Aleksandar Vučić, au pouvoir depuis 2014, n’entend pas laisser son pouvoir tomber face à la rue.

Une gare s’effondre, le pays s’embrase

Car la colère, estudiantine d’abord, citoyenne aujourd’hui, ne retombe pas depuis l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad en novembre 2024, qui a tué 16 personnes. La population en a assez de la corruption et, après des mois de manifestations pacifiques pour demander des comptes, elle en appelle à présent à des élections législatives anticipées. Prenant peur de voir son allié traditionnel balayé par une contestation populaire, Sergueï Lavrov appelle à éviter une « révolution de couleur »*. La tentative de révolte est aujourd’hui décentralisée et organisée à travers tout le pays, sans leader identifié, comme l’avait été l’EuroMaïdan. Les arrestations se multiplient, mais les syndicats et les médias, tous proches du pouvoir, ont fait échouer l’appel au débrayage général du 1er juillet.

Pour l’Europe ou …pour le rattachement di Kosovo à la Serbie?

Est-ce à dire que la révolte citoyenne, au nom de l’État de droit et de la transparence, est faite au nom de l’Union européenne et de ses valeurs, face à un dirigeant prorusse, autoritaire et proche des milieux nationalistes pendant les guerres d’ex-Yougoslavie ? Il convient de ne pas plaquer des représentations mentales simplistes sur un sujet qui a peu à voir avec la géopolitique : très peu de drapeaux européens étoilés à fond bleu sont brandis dans les manifestations. Au contraire, des soutiens au rattachement du Kosovo à la Serbie ont pris la parole sur des estrades samedi dernier, lors d’une soirée particulièrement chaude où 140 000 personnes sont descendues dans la rue.

Si de nouvelles élections avaient lieu, il serait impossible de faire coexister une liste unique entre les éléments libéraux pro-UE et les nationalistes anti-Vučić. De plus, elles seraient probablement tout aussi biaisées que celles de 2023, où des morts avaient eu le civisme de venir voter à l’appel des médias complaisants avec le parti au pouvoir.

Vucic en équilibriste entre Moscou et l’Europe

Enfin, les critiques de l’UE ont été faibles et tardives : le pays étant officiellement candidat à l’adhésion, la Commission marche sur un fil. Aleksandar Vučić a d’excellentes relations avec Emmanuel Macron, qui l’a reçu à l’Élysée le 9 avril dernier. Paris rêve de lui vendre des Rafale, une centrale nucléaire et d’avoir accès à son lithium, sans voir que Vučić joue à l’équilibriste entre son protecteur grand Russe, les investisseurs chinois qui achètent le pays à la découpe, et l’UE qui l’arrose de subventions. Au milieu, resurgit le spectre de voir une nouvelle fois les Balkans déstabilisés.

* L’expression « révolution de couleur » désigne, dans le langage diplomatique et géopolitique, une série de soulèvements populaires ayant eu lieu principalement dans l’espace post-soviétique (Ukraine, Géorgie, Kirghizistan, etc.) au début des années 2000, souvent soutenus, selon Moscou, par des puissances occidentales. Le terme est connoté négativement dans la bouche des dirigeants russes.


📅 Chronologie des événements en Serbie


📢 Abonnez-vous à la Newsletter de Grands Reporters

Vous aimez le grand reportage, l’actualité du monde? Recevez chaque semaine une sélection d’articles de terrain, sans intrusion, sans engagement, et sans formulaire de renseignements.

Adhésion immédiate et gratuite
Un simple nom et une adresse e-mail suffisent
Accès à plus de 3 000 articles, d’enquêtes, de reportages

📩 Inscription en un clic ! Il vous suffit de cliquer sur le pavé jaune « La newsletter – Abonnez-vous » en haut à droite de la page d’accueil.

Et recevez la NL hebdomadaire avec l’édito de grands-reporters et les articles les plus lus de la semaine

📰 Rejoignez la communauté des passionnés du grand reportage dès maintenant !