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Images de la Sibérie, pays extrême.

publié le 15/05/2013 par Guillaume Chauvin

De retour en Sibérie, je l’ai trouvée semblable à un tableau de Repine, comme vu à travers la vitre d’un bus sale où les passagers, silencieusement entassés, expirent de la buée… Treize ans après Poutine 1E, cette Sibérie est encore un peu Far Ouest, tellement à l’Ouest qu’il est à l’Est…

 

 

Sibérie donc. Même chez un Russe ce nom projette encore les pires images : l’insupportable climat, la sauvagerie des éléments, l’âme courageuse des indigènes ou le magnétisme mystique du Baïkal… Et pourtant, malgré ces caricatures (qui n’en sont pas toujours !), la région ne manque pas de res¬sources : vaste comme plus de vingt France, elle représente près de 80% de la Russie et la plupart de ses richesses.

Un proverbe raconte même comment Dieu eut si froid en survolant ces lieux que ses mains tremblantes laissèrent échapper tous les trésors qu’elles contenaient : pétrole, gaz, or, minerais, bois précieux, eau douce… Sans compter la multitude des peuples : Tatars, Bouriates, Iakoutes, Tchouktches, Poumpokoles, Samoyèdes, Nénets, rus¬sisés par l’empire puis rejoints par des Lithuaniens, Allemands, Ukrainiens, Chinois, Coréens, et tant d’autres que l’histoire, le hasard, la folie et l’espoir ont guidé jusqu’ici… Dès lors, vivre la Sibérie sans être sibérien, c’est presque vivre l’Histoire comme si on y était ; comme du Dostoïevski vivant, couvert par le tumulte des Toyotas et des I-phones…

La Sibérie est une région trop grande dans un pays trop grand… Impossible d’y avoir une existence normale. D’autant qu’elle est encore « jeune » : bien que les bords du Baïkal aient toujours vu transiter les hommes et leurs mar¬chandises, ces derniers ont implanté leurs cités le long du transsibérien seulement deux cent ans plus tôt. Être Sibérien impose donc un autre rapport à l’histoire, au monde, aux distances (chaque ville est à une journée de train de la suivante), au climat (moyenne hivernale de -30°), à la communication, à la mort, et donc à la vie…

Dali disait de la révolution russe qu’elle fut comme celle française, mais avec du retard, à cause du froid… Cela reste valable aujourd’hui. À quoi s’ajoutent d’autres priorités, pratiques et quotidiennes, elles… Pour tout cela la Sibérie demeure une région propice aux paradoxes qu’impose souvent la vie russe. Ainsi, steppes et forêts sont vides mais les rues des villes débordent d’Hummers et de camions japonais…

La région est riche à milliards mais l’espérance de vie d’un jeune ne dépasse pas celle d’un somalien du même âge. On déplore les ravages de l’alcool et du tabac mais ce sont les produits les plus abordables… On admire la beauté des paysages (comme un Gers dont l’horizon serait le Jura) tout en les polluant. On rase les monuments historiques pour les reconstruire à l’identique. On parle un russe encore dénué d’anglicismes, tout en étant peu bavards. Les traditions sont innombrables et la jeune génération inculte. Il fait froid mais on mange des glaces. On est xénophobes mais curieux. Modestes mais généreux. Et la corruption continue de côtoyer les chamanes.

Beaucoup ici disent que « le présent est mort en accouchant du futur », avant de souligner fièrement combien leur pays est le plus beau du monde, et de conclure, en français : « c’est la vie ! ». Après quoi, l’on retourne espérer des jours meilleurs, figé devant télévision et internet. Difficile alors de ne pas penser à ces moujiks qui, il n’y a pas si longtemps encore, se trans¬mettaient la peste en embrassant les icônes sacrées… Tragique salvation ! Mais sincère, au moins.

Février 2013

 


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