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 Trump : « The world is mine »

publié le 15/04/2025 par Jean-Paul Mari

La mafia au pouvoir aujourd’hui à Washington ne s’encombre plus de trafic d’alcool, de prostitution ou même de drogue… Elle a compris que l’économie et la finance lui offrait un espace mondial quasi infini

La scène est classique. Chicago, années 30 : une paire de gangsters en cravate et chapeau mou pénètre dans un bar, balaie les étagères, ouvre le robinet du fût de bière qui se répand sur le sol et repart en conseillant au tenancier d’acheter désormais leur bière. Sinon…

Racket, protection, prostitution, paris, jeux, trafic d’alcool, de cigarettes, drogue: il n’y avait jusqu’ici rien de nouveau sous le soleil des mafieux. Jusqu’à l’arrivée de Trump.

« Plata o plomo »


De tout temps, la tentation – péché originel – a existé, celle d’une liaison extra-conjugale entre le pouvoir et le crime organisé. Le pouvoir criminel ne surgit pas toujours par effraction : souvent, c’est l’État lui-même qui lui ouvre la porte. Plutôt que de lutter contre une force maléfique, dépenser de l’argent, de l’énergie et des hommes, pourquoi ne pas mettre le crime à son service ? Au diable la morale quand la realpolitik, mot magique, remplace la politique. Moins dangereux. En Colombie, Pablo Escobar, chef du cartel de Medellín, l’avait compris avec son slogan en forme de paradigme philosophique : « Plata o plomo » (l’argent ou le plomb), parce qu’il est moins désagréable d’être corrompu et riche que mort et froid.

Italie : le pacte de collaboration


Historiquement, les exemples récents abondent. Quand l’Amérique débarque en Italie en juillet 1943, elle découvre Cosa Nostra, que le méchant Mussolini voulait écraser. La mafia, elle aussi libérée, va s’empresser de collaborer avec les gentils libérateurs en administrant les villes, en nommant leurs maires ou, comme à Palerme, en gérant le port au profit des militaires US. Avec la guerre froide, l’État italien, soutenu par l’OTAN, utilisera la mafia pour barrer la route du pouvoir aux communistes. L’assassinat des juges Falcone et Borsellino révèlera l’ampleur du pacte passé entre l’État – et son éternel Premier ministre Giulio Andreotti, dit « le Divin » – avec une mafia, la Pieuvre..

Mexique : l’infiltration des narcos


Là, le crime n’est plus une excroissance de l’État : il le remplace là où celui-ci a disparu. Les cartels gèrent des régions entières échappant au contrôle de l’État, lèvent l’impôt, jugent, protègent, exécutent. Les « Zetas », issus pour certains de l’armée, infiltrent la police, les mairies, les gouvernorats, les hautes sphères fédérales. Jusqu’à l’ancien ministre de la Sécurité publique, Genaro García Luna, officiellement responsable de la lutte antidrogue, qui facilitait en réalité le trafic, en collusion étroite avec les cartels.

Russie : l’ADN de l’État mafieux


Quand l’URSS s’effondre, les mafieux, mais aussi les oligarques, anciens membres du KGB ou politiciens corrompus se disputent les richesses du pays. La frontière entre la sphère politique et le monde du crime devient pour le moins… poreuse. En 1999 arrive Poutine, formé à la fois à l’école des voyous de Saint-Pétersbourg et du KGB. L’État selon Poutine reprend les rênes et utilise les méthodes du crime organisé : extorsion, élimination physique, usage du poison, contrôle des médias. La mafia n’est plus un partenaire. Elle est une composante du système.

États-Unis : Trump ou le triomphe de la mafia consacrée


Trump est-il un délinquant financier ? Oui. Il a été condamné en 2022 et 2023 à New York à 1,6 million de dollars d’amende pour dissimulation de revenus. Inculpé en 2023, toujours à New York, pour falsifications de documents commerciaux. Et condamné en 2024 à 350 millions de dollars pour fraude financière. Lui-même aime affirmer à propos d’Al Capone :  » « Si vous le regardiez de travers, il vous tuerait, et il vous tuerait à mains nues. C’était un dur à cuire. Il a été inculpé une fois. Je l’ai été quatre fois. »
Sans compter son implication dans l’attaque du symbole de l’État, le Capitole, quand il a encouragé une meute d’extrémistes à investir les lieux pour faire table rase de son élection manquée. Tout cela est connu. Sauf que…

Aujourd’hui, Trump, réélu, est président des États-Unis d’Amérique. Lui et ses conseillers décident du sort du pays, de sa politique et surtout de son économie. Tant il est vrai que l’économie, donc le profit, est la pierre angulaire de sa politique. Ce n’est plus la « porosité » entre le crime et le pouvoir, une infiltration, une collusion voire un pacte, ou une composante du système : c’est plus simplement l’accès au sommet du pouvoir d’une caste financière, d’oligarques milliardaires agissant en voyous, qui peuvent décider de mettre l’État à leur service pour gagner toujours et encore plus d’argent.

Un mois après sa réélection, Donald Trump était chaleureusement accueilli à Wall Street.
L’optimisme n’y est plus de mise aujourd’hui. | NYSE VIA SIPA USA VIA REUTERS CONNECT

Le parrain et ses lieutenants

 Le pouvoir est pris ? Servons-nous. D’abord, faire sortir de prison les complices : l’attaque du Capitole ? Oubliée. Les agresseurs, condamnés en justice ? Graciés. Ensuite, distribuer les territoires. A Elon Musk, vendeur de satellites, qui se verrait bien à la tête de la NASA, histoire de décider ce qu’il lui vendra.
La paix au Moyen-Orient ? Formidable opportunité pour Trump, grandi dans l’immobilier, qui se verrait bien transformer la misérable bande de sable des Palestiniens en « Gaza Riviera ». Au prix d’une expulsion des propriétaires actuels. Et peu importe si cela s’appelle un nettoyage ethnique.

Les tarifs de douane ? Ah, là, on touche au mondial, au sublime, à l’acmé du chantage. Vous voulez notre protection ? Payez. (En Sicile, on appelle cela le « pizzo ».) Ou venez négocier. Le bienveillant Parrain est prêt à vous recevoir. N’oubliez pas de lui baiser la main : il rispetto, le respect. Bon, lui dit « Kiss my ass ». Parfois, c’est vrai, il s’emporte. Donc venez négocier. Sinon…

La suprême arithmétique dde Wall Street

Et la bourse ? Là aussi, le gratin du crime a toujours rêvé de manipuler les cours, et ses gigantesques profits, sans se faire épingler. Le secret ? Prendre soi-même les décisions économiques – augmentation des tarifs douaniers, suspension, gel, reprises… – qui vont faire fluctuer les actions mondiales. À la baisse, j’achète ; à la hausse, je revends. Et pour le prévoir, le mieux est encore de les décider à l’avance… au sein du Bureau ovale. ( Voir l’article.) Une vidéo montre Trump féliciter deux hommes d’affaires, des amis, qui ont fait respectivement 900 millions et 2 milliards de gains, en une journée ! Grâce à lui. Respect, non?

« The World is mine ! »

Nul doute que le règne du Parrain élu ne nous promette d’autres épisodes. La mafia au pouvoir aujourd’hui à Washington ne s’encombre plus de fûts de bière interdite, de cartouches de cigarettes, de prostituées dans des hôtels louches ou même d’un sulfureux trafic de drogue… Elle a compris qu’une fois parvenue au sommet du pouvoir, ce n’était plus Chicago ou Baltimore qui s’offrait au crime, ni même le pays tout entier, mais un espace quasi infini. Un futur en or massif. Un rêve planétaire à l’image de Tony Montana, le Scarface de Brian De Palma, qui regarde s’illuminer le ciel de Miami, barré d’un lumineux : « The World is yours».


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