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Série Ukraine: 1/ Un été à Odessa

publié le 05/09/2024 par Jean-Paul Mari

Quelle ville! Envahie, occupée, martyrisée tout au long de l’histoire est sous le feu des missiles russes. Odessa, phoenix qui renait toujours de ses cendres, est aujourd’hui le symbole de l’identité et de la résistance ukrainienne. Quel est son secret? Pour le savoir, grands-reporters.com a décidé d’en faire la chronique

À dix heures quinze ce matin, la sirène d’alarme a retenti dans toute la ville accompagnée de messages intimant aux habitants de se mettre immédiatement à l’abri. Missiles en vue sur la région. Et alors ? La main du marchand de glaces n’a pas tremblé, les touristes au sommet de l’Escalier Potemkine étudient sans broncher le tableau des croisières proposées et les mouettes bâillent de plaisir sous le soleil chaud d’Odessa. Ici, c’est l’été, les vacances au bord de la mer Noire. Après trente mois de guerre, il en faut plus pour troubler la solidité des Ukrainiens.

De Chisinau, dès la frontière passée, on quitte une Moldavie pauvre et brouillonne, ses routes aux airs de départementales cabossées, pour rouler vers Odessa sur un asphalte large et lisse. À peine quelques casemates de béton camouflé, des check-points militaires et rien d’autre. Sinon la plaine d’Ukraine à l’infini qui fait croire à la mer. Ici, guerre ou pas, on circule, on construit, on laboure.

Centre historique à Odessa. Photo Ukrinform/NurPhoto

La ville est là, magnifique, au bord de la mer, ses eaux profondes, du bleu foncé jusqu’au noir. Des immeubles historiques roses crème, beiges et bleus, des bouleaux du Nord et d’immenses platanes pour ombrager les squares, l’exact mariage entre l’esprit slave et la sensualité méditerranéenne. Et la plage à deux pas même si l’accès en est limité à cause des mines qui infestent ses côtes. La rue parle russe, respire le sel, les épices et l’alcool, les hommes sont puissants et tatoués, les femmes ont la poitrine généreuse, et des volées de gosses blonds sucent d’énormes glaces. Parfois, entre deux immeubles à l’architecture du XVIIIe, décrépits, mais toujours debout, s’ouvre une volée de verre et d’acier moderne, mais transitoire, sous l’œil moqueur des angelots de plâtre et des déesses nues alanguies sur leurs colonnades blanches. Odessa n’a pas froid aux yeux.

À 13 h 55, une énorme déflagration secoue l’air. Et une autre, une minute plus tard. Et encore une autre. Aucun signe de panique. On regarde vers le ciel. Les jeunes interrogent les réseaux sociaux. Passe une ambulance, sirène hurlante. Un homme grimace : « Ils recommencent ».

Dégats à la Cathédrale de la Transfiguration- D.R

Odessa est régulièrement frappée par les missiles, les drones kamikazes et ces bombes planantes qui font pleuvoir des milliers de sous-munitions. Onze morts le 6 mars, vingt morts et 73 blessés le 15 mars dernier, cinq de plus dans une autre frappe sur le grand port au moment même où le président Zlensky visitait l’endroit avec le Premier ministre grec. Et cette nuit sombre du 22 au 23 juillet dernier, quand un missile a crevé le toit de la Cathédrale de la Transfiguration en plein centre de la ville, un splendide monument russo-byzantin fin XVIIIe protégé par l’UNESCO, source d’inspiration pour toutes les églises d’orient. Un bijou.

Aujourd’hui, on peut encore la voir, et marcher sous sa voute crevée, entre les échafaudages, les icônes d’or et d’argent, les gravats et l’autel carbonisé… une cible militaire décisive !

Soldes sur les vêtements militaires-Photo Jean Paul Mari-LeJournal.info

Nouvelle déflagration, énorme. Personne ne court, mais cette fois les mères poussent leurs enfants vers les escaliers souterrains. Dans le ciel, une grosse flaque de fumée noire indique que le système de défense sol-air a intercepté les missiles. Et la vie, un instant suspendue, reprend aussitôt. Ce contraste permanent entre cette capitale de la mer, belle comme une déesse, opulente et sensuelle, et l’ombre décharnée et triste, comme la mort qu’elle porte, de la guerre au cœur de l’été. Non, la mort ne rôde pas dans la ville, elle se contente de planer sur Odessa.

A suivre…

 

En partenariat avec lejournal.info

 


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