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Ukraine: Arman Soldin, mort d’un reporter

publié le 11/05/2023 | par Jean-Paul Mari

Arman Soldin, 32 ans, envoyé spécial de l’AFP, a été tué par un tir de roquettes, près de Bakhmout, dans le Donbass. Il est le 11e journaliste tué et le 3e reporter français à mourir sur le front ukrainien

Tcahssiv Iar, un village dans les environs de Bakhmout, à l’est de l’Ukraine. Le front est à une dizaine de kilomètres au plus, donc à portée de l’artillerie, qui bombarde chaque jour la région. À 16H30 locale, une volée de Grad s’abat, des roquettes, peu précises, mais dévastatrices, s’abattent sur un champ. Dans ces cas-là, on se plaque au sol, en se bouchant les oreilles, bouche ouverte, pour éviter que le souffle ne fasse éclater les tympans.

C’est ce qu’ont fait Arman Soldin, 32 ans, et ses quatre compagnons reporters. Arman a l’habitude. Un an qu’il couvre la guerre en Ukraine et tourne dans la région. Il est coordonnateur vidéo pour l’AFP. Il travaille beaucoup et très bien. Énergique, gentil, calme, investi, un excellent compagnon de route qu’on est toujours content de retrouver au front. La guerre l’a pris au berceau.

En 1992, il a un an. On l’évacue de Sarajevo, capitale encerclée et matraquée par les canons serbes et les snipers. Un enfant sauvé. On a beau grandir à Paris, on n’oublie pas. Quand la guerre éclate en Ukraine, il est volontaire, la raconte bien sûr en images, s’emploie malgré la violence des combats à filmer la bataille et les destructions massives.

Il sait aussi le prix de la vie et s’attache à celle des gens ordinaires pris dans ce chaos primal. Il parle couramment français, anglais, italien, baragouine le bosniaque, langue slave, sa langue natale. Se débrouille et se faufile partout, est là où il faut pour l’info. Là où il ne faut pas si on veut pas prendre de risques.

Les roquettes frappent l’herbe du sol avec un bruit épouvantable. Les Grad sont des armes qui font ce bruit très particulier, infernal, un feulement, comme un animal qui se jetterait sur vous en rugissant. Vient du ventre.

Normalement, on se relève une fois les frappes terminées. On enlève la poussière, on respire l’herbe brûlée, parfois on vomit. Et on repart. Pas cette fois. Les quatre compagnons d’Arman sont indemnes. Lui a pris une frappe directe. le hasard. Dans une usine russe, un ouvrier a mis un peu trop ou pas assez de poudre dans le projectile, selon qu’il va déchiqueter la vache dans le pré voisin ou vous couper en deux. La guerre ne fait pas le détail.

Arman Soldin est mort, à 32 ans. Le 21 mars dernier, il avait fêté son anniversaire à Kramatorsk entre collègues, la famille du front. Une bonne bouteille, une guitare. On saluera sa mémoire. Et la guerre continue.

Il est le 11e reporter tué depuis le début du conflit, reporter sou fixers, tous également exposés. Et le troisième journaliste français. Après Pierre Zakrzewski, franco-américain, caméraman pour Fox News, mort près de Kiev en mars 2022 dans son véhicule touché par des tirs.

Et, toujours en mars, Frédéric Leclerc-Imhoff, journaliste de BFMTV. Il couvrait une opération d’évacuation ukrainienne près de Sievierodonetsk. Le véhicule dans lequel il se trouvait, casque sur la tête et gilet pare-éclat, a reçu des fragments d’obus. Un fragment lui a tranché la gorge. Saleté d’artillerie. C’est elle, on le sait, qui blesse et tue 70 % des gens sur le terrain.

À l’Assemblée nationale, les députés ont applaudi le nom d’Arman Soldin, comme on avait salué la mort des deux autres reporters. Piètre consolation. De là-haut, lui et ses compagnons journalistes seront sans doute plus intéressés par la résolution adoptée l’unanimité – rare de nos temps – qui classe les mercenaires tueurs de Wagner parmi les organisations terroristes. Arman aurait surement apprécié l’info.

 

Article réalisé en collaboration avec lejournal.info


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