Ukraine : Quand les drones deviennent des lance-flammes
Une vidéo montre un drone projeter une charge incendiaire sur des zones boisées où les soldats trouvent refuge. Terrifiant
Une cascade de feu à 2000° C dans les bois de Zaporijia
Les images, devenues virales sur les réseaux sociaux au début de la semaine, sont saisissantes. Un drone, probablement de type FPV (First Person View), survole à basse altitude une ligne d’arbres dans la région de Zaporijia, au sud-est de l’Ukraine. Il libère brusquement une traînée incandescente, transformant le sous-bois en brasier. Une explosion secondaire survient. La scène est capturée à la fois par la caméra embarquée et par un second drone en hauteur. La séquence semble conçue pour frapper les esprits.
Selon plusieurs analystes, l’engin utilisé emporte un dispositif contenant de la thermite, un composé chimique à très haute température, connu pour sa capacité à fondre le métal. Sa combustion dépasse les 1 500 °C, parfois 2 000 °C, ce qui laisse peu de chances à tout être vivant ou matériel exposé à proximité.
Une arme low-cost mais terriblement efficace
Le drone en question n’est pas un modèle militaire sophistiqué. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un appareil commercial modifié. Les Ukrainiens – mais aussi les Russes – ont depuis longtemps industrialisé l’usage de drones bon marché, achetés en ligne et adaptés au champ de bataille grâce à des moyens rudimentaires : imprimantes 3D, composants civils, et dans ce cas, un agent incendiaire.
« Ce qui est nouveau ici, ce n’est pas la thermite en elle-même », explique un officier du Pôle interarmées de traitement des munitions et explosifs (Piam) basé près d’Angers. « Ce qui est nouveau, c’est son usage offensif à bord d’un drone. Avec peu de moyens, on peut concevoir un système de largage artisanal. C’est ce que démontre ce conflit. » Autrement dit, ce que l’on voit dans cette vidéo n’est ni plus ni moins qu’une arme de guerre low-cost, facilement réplicable.
Objectif: terroriser l’adversaire
Les experts relèvent un autre facteur : la saison. « Les munitions incendiaires connaissent un regain d’usage en été, lorsque la végétation sèche favorise la propagation du feu », souligne un spécialiste des explosifs. Cette « saisonnalité des armes » est bien identifiée dans les zones forestières de l’est et du sud ukrainien, où les soldats, souvent dissimulés dans les bois, deviennent des cibles vulnérables.
Les militaires français observent cette évolution avec attention. La thermite n’est pas une découverte : elle est utilisée dans les armées depuis plus d’un siècle, principalement à des fins de destruction de matériel pour éviter sa capture. En France, son usage est strictement défensif. Mais en Ukraine, le cadre a changé. Les règles aussi.
Une guerre de communication sur les réseaux
La diffusion de ces images – filmées, montées et partagées par des comptes pro-ukrainiens – n’a rien d’anodin. Le but est clair : intimider l’adversaire et galvaniser les soutiens. La guerre moderne se joue autant sur le terrain qu’en ligne. Chaque vidéo virale devient une opération de communication. Ce premier usage documenté d’un drone cracheur de feu témoigne d’une escalade technologique asymétrique. Le champ de bataille ukrainien devient un laboratoire d’expérimentations tactiques où s’inventent, jour après jour, les conflits de demain. Un conflit où des armes improvisées peuvent avoir un impact stratégique réel.
Une alerte pour les armées occidentales
Les armées occidentales suivent avec une attention croissante l’évolution de ces tactiques. Car ce type de drone incendiaire, bien que rudimentaire, ouvre un nouveau champ de menaces. Faciles à produire, discrets, capables de semer la terreur et de contourner les lignes de défense classiques, ces engins redessinent le visage du combat moderne.
La question, désormais, est de savoir comment contrer ces armes volantes artisanales, capables d’emporter des charges de feu ou d’explosifs avec une précision redoutable. La guerre en Ukraine le démontre : il ne suffit plus d’avoir des chars et des missiles pour dominer. Il faut aussi s’adapter à l’ingéniosité, parfois brutale, de l’ennemi.
« Tu entends le sifflement, puis le feu tombe du ciel »
Zaporijia, ligne de front. Oleksandr, 26 ans, est soldat d’infanterie dans une unité ukrainienne opérant dans les bois au sud de l’oblast. Il a vu l’impact des drones cracheurs de feu de ses propres yeux :
« On s’abrite sous les arbres parce que c’est souvent le seul camouflage qu’on a. Et soudain, tu entends un sifflement aigu au-dessus de ta tête, puis le sol s’enflamme. En quelques secondes, tout devient orange, brûlant. Tu n’as même pas le temps de courir.
Le sergent Roman, commandant de section, évoque une peur nouvelle qu’aucun entraînement ne prépare à affronter :
« On savait que les drones pouvaient larguer des grenades ou même se précipiter sur nous. Mais ceux-là, tu ne les entends pas arriver à temps, et ils déclenchent l’enfer autour de toi. Même quand ils ratent leur cible, ils te forcent à fuir, à te disperser. C’est du feu psychologique. »
Le simple fait de savoir que de tels drones opèrent dans leur secteur modifie les comportements : les soldats se déplacent moins en plein jour, évitent les regroupements et réduisent le temps passé à découvert. « Ils veulent nous faire croire que n’importe quel arbre peut devenir un piège mortel. Et parfois, c’est vrai », confie Dmytro, éclaireur dans une brigade mécanisée.
L’objectif, selon ces combattants, est clair : briser le moral, semer le doute, créer la panique – sans forcément chercher à tuer à chaque fois. Le feu, ici, est autant une arme qu’un message.
📢 Abonnez-vous à la Newsletter de Grands Reporters !
Vous aimez le grand reportage, l’actualité du monde? Recevez chaque semaine une sélection d’articles de terrain, sans intrusion, sans engagement, et sans formulaire de renseignements.
✅ Adhésion immédiate et gratuite
✅ Un simple nom et une adresse e-mail suffisent
✅ Accès à plus de 3 000 articles, d’enquêtes, de reportages
📩 Inscription en un clic ! Il vous suffit de cliquer sur le pavé jaune « La newsletter – Abonnez-vous » en haut à droite de la page d’accueil.
Et recevez la NL hebdomadaire avec l’édito de grands-reporters et les articles les plus lus de la semaine
📰 Rejoignez la communauté des passionnés du grand reportage dès maintenant !
Tous droits réservés "grands-reporters.com"