Jean-Paul Mari présente :
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Vu de l’hôpital: «Notre crainte, c’est de payer l’addition»(35)

Chronique de la bataille des hommes en blancs. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.

Cela ressemble à un poste militaire avancé après une nuit de bombardement. Les troupes sont sonnées et les combattants errent, un peu perdus, en s’essayant à retrouver les gestes du quotidien. On se croise dans les couloirs, masque sur le nez, comme si la poudre dans l’air piquait encore les yeux. Pas de longs discours mais ces regards échangés, l’air de se dire : «Face au virus, on a tenu bon, non ? Sans craquer, sans faire d’erreurs. Il n’est pas passé !»

Sur le front, juste après la bataille, il y a ceux qui fument au sommet de la tranchée, exposés au sniper, et ceux qui tremblent au fond de leurs casemates blindées. Ici, le front, c’est l’urgence, le départ en «camion» et l’ambulance de réanimation, avec trois blouses blanches serrées sur le siège avant . D’un côté, un infirmier et un ambulancier, jeunes, déjà guéris du Covid, mais qui ne quittent pas leur masque ni leur blouse. De l’autre, le médecin urgentiste, cadre du Samu, la soixantaine, jamais malade donc vulnérable, mais qui refuse toute protection.

C’est pourtant la première fois que l’équipe autorise son responsable à sortir s’exposer à l’infection. Pas grand-chose au menu pour cette nuit de garde – un AVC, quelques broutilles –, sinon le plaisir immense de retrouver l’action sur le terrain. Il a eu très peur, il le reconnaît.Au début, la frousse de mourir, intubé, étouffé. Très vite, l’angoisse s’est volatilisée. Il a surtout eu peur pour son service. Peur que l’équipe médicale ne résiste pas. Comme il y a cinq ans, pour l’horrible syndrome hémorragique d’Ebola, mortel à 40 %, générateur de panique : «S’il arrive à l’hôpital, on t’avertit, on s’en va !»

Bien sûr, le Covid a provoqué son lot d’arrêts maladie de circonstance, notamment dans les services non urgents. Personne n’en parle. A quoi bon ? Mais tous les autres ont été exemplaires. Les «anciens» et les étudiants sont revenus spontanément, ont doublé leurs heures, triplé leurs gardes. Les urgentistes ont tenu, la direction hospitalière a su les écouter, les aider, et les réunions ont enfin servi à quelque chose : «Avant, 20 administratifs pour 3 médecins, aujourd’hui, c’est le contraire.» Les fonctionnaires ont dû abandonner leur novlangue et «par un procédé darwinien, les gens qui ne servaient à rien ont… disparu».

Reste demain, sa grande crainte du retour au réel et de l’inévitable tour de vis sur les dépenses publiques : «Jusqu’à présent, c’était open bar !» Les dépenses de santé ont explosé, les recettes se sont effondrées. «Avec 113 % d’endettement national, l’addition sera très lourde pour l’hôpital public.» Demain, l’après-Covid… on verra. Pour l’instant, l’urgentiste est tout à son plaisir d’arpenter le terrain : «Retrouver mes malades, mes recherches. Refaire mon métier. Celui que j’aime.»


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