Vu de l’hôpital: A la poursuite de la molécule « N ». (15)
Chronique de la bataille des hommes en blanc.
Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Il est médecin-urgentiste le jour et chercheur la nuit. Ou l’inverse. Là, le jour va poindre, il finit sa garde et bondit en ouvrant ses mails : « Ah ! Enfin, voilà un résultat encourageant ! » Avec lui, il faut tout décrypter. C’est un scientifique, chercheur de haut niveau, rationnel et compliqué en diable.
Tout a commencé avec l’appel d’une collègue biochimiste, amoureuse de la modélisation mathématique : « T’intéresse de monter un essai clinique sur la molécule N. ? » Oui. Et comment ! Il y croit depuis si longtemps, alerté par ses capacités à se coller au Corona Virus pour inhiber son ARN, en clair, paralyser le tueur. Quinze jours de travail acharné pour écrire un protocole de recherche.Mathématiquement, cela fonctionne. Il ouvre son écran, pointe un écheveau coloré de lignes folles à la Hans Hartung : « Vous voyez ? C’est évident, n’est-ce pas ? » Heu, non, pas vraiment. « La frange obscure, c’est l’endroit où la molécule s’agrège au virus ! » Une preuve moléculaire n’est pas une preuve cellulaire, in vitro.
A Lyon, un labo passe son temps à tester des molécules dans une course effrénée pour trouver un médicament contre la pandémie. Le protocole prévoit plusieurs dosages de la molécule N. Le premier résultat tombe, décevant…négatif ! Quinze jours de travail à la poubelle. On passe à la seconde étape, plus concentrée, à 100 micromolaires. Et là, surprise. Le mail de ce matin du labo révèle que la charge négative du virus s’effondre de 50%… «et le protocole prévoie d’envoyer jusqu’au double dans la gueule du virus!»
Gagné ? Est-ce qu’il y croit ? La question le fait bondir : « Allons ! Ce n’est pas un problème de croyance. Je ne crois pas, je pense…qu’il y a des probabilités que ce médicament soit efficace. » Reste maintenant lancer les essais cliniques en respectant une méthodologie irréprochable : tests randomisés en double aveugle, deux groupes comparatifs, avec placebo » avec toutes les autorisations nécessaires.
Celle de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et du Comité de Protection des Personnes, qui lui ont fait parvenir une liste de questions à donner le tournis à un virus. Indispensable processus. Sauf que dans l’urgence actuelle, avec des humains qui étouffent en salle de réanimation, l’urgentiste espère obtenir un début des essais sous 15 jours.
Et sauver des vies ? Il se barricade: « C’est implicite ». Le médecin veut soigner mais le chercheur se doit de douter : « La science médicale n’est pas un dogme intangible. On tâtonne, on recule, on avance, on se trompe. »Et l’homme sous la blouse ne peut s’empêcher de frémir : « J’ai toujours peur de mal faire. Peur de tuer au lieu de sauver. Ne m’est jamais arrivé mais… le risque zéro n’existe pas. » Il ne l’avouera pas mais sur son écran, les lignes dansent en forme de fol espoir.
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