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Vu de l’hôpital: Et les autres pestiférés, où sont-ils passés ? Disparus (31)

publié le 28/04/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blancs. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


On a beau l’avoir vu ailleurs. On peut bien le suspecter ici. N’empêche. Le tableau vous accable. Ecœurant. C’est le quotidien de Lila (1), 50 ans, assistante sociale au service des urgences. Elle a fui l’Algérie il y a vingt ans, les années de plomb, son quartier chic et francophone d’El-Biar, sur les hauteurs d’Alger. Ses «patients» ? Egyptiens, Maghrébins, Pakistanais, Sri-Lankais, Sénégalais, 80 % de migrants pour 20 % de Français, jeunes pour la plupart. Point commun : la détresse, la misère et la méconnaissance de leurs droits. Qui leur en parlerait ?

A la préfecture, les étrangers se cognent à une administration arrogante : «Non, c’est pas ici – pas le bon certificat – revenez demain.» Lila les voit arriver la peur au ventre, en évitant les contrôles de police, passeport périmé caché dans leur chaussette, tenaillés par une crise d’angoisse, le diabète, la tuberculose ou la gale. La tuberculose, ils l’ont contractée ici, confinés avant même le Covid, à quinze locataires, avec les rats et la vermine, dans le taudis d’un marchand de sommeil : «Ils leur louent une chaise, droite, à 250 euros par mois.» Chaque nuit à dormir assis, chaque jour au travail. Ménage dans une entreprise, vente sur les marchés, ouvrier du bâtiment, au noir évidemment.

La gale ? Elle touche «souvent des jeunes, drogués, alcoolisés, certains agressifs.» Lila les comprend : «La peur et la douleur. Sans-papiers, droit à rien, rejetés de partout, ils explosent.» Même le petit personnel hospitalier, sous-payé, regarde de travers ceux qui ont droit à l’Aide médicale pour les étrangers en situation irrégulière. Rien pourtant n’est acquis. Pas de papiers, pas de justificatif de domicile certifié, un revenu de plus de 500 euros… c’est niet.

Et puis il y a ces garçons de 15 ans à peine, mineurs prostitués, ravagés par les MST et les infections. Ou ce couple de Marocains, qui travaille mais dort dans un local à poubelles et hésite en pénétrant dans son bureau : «Excusez-nous, mais cette odeur de propre ! Plus l’habitude. Donne le tournis.»

Parfois, Lila s’emporte. Ce jeune Sénégalais qui vit avec sa mère cancéreuse, paie son loyer rubis sur l’ongle, le propriétaire qui l’augmente, lui qui ne peut pas suivre, l’autre qui l’expulse et sa mère qui agonise à l’hôpital. Que font les HLM ? Rien. Ou ces femmes battues, mariées au pays, qui appellent au secours :

«Le 114 ? On a plein de numéros « magiques ». En théorie.» Porter plainte et puis quoi ? «Elles n’ont pas besoin de conseils psychologiques, mais de sécurité, d’un refuge !» Et les autres, tous les autres. Où sont-ils passés depuis le coronavirus ? Disparus. «Des zombies qui essaient de survivre, perdus, sans un sou.» Non, ce n’est pas le confinement qui terrifie Lila mais l’après, quand les pestiférés réapparaîtront : «S’il y a une deuxième vague à redouter, ce sera une vague sociale.»

(1) Le prénom a été modifié.


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