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Vu de l’hôpital: La passion de Jeanne, aide-soignante (13)

publié le 07/04/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blanc. Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


Jeanne ne se demande plus si elle sera contaminée par le virus du Covid mais quand est-ce que son tour viendra? Et à quel prix ? Dans son service des Urgences, l’hécatombe a frappé 25 soignants sur 72, plus d’un sur trois, médecins, infirmières ou aides-soignantes comme elle. « En une semaine, mes deux meilleures amies ont été contaminées. ». L’une d’elles, forte, infaillible, protectrice, est son modèle d’infirmière, « celle que je voudrais devenir un jour ». Si son idole a été vaincue, « alors, moi, forcément…».

À 37 ans, douze ans d’expérience, de grands yeux bleus qui ne mentent pas, Jeanne dit qu’elle n’a pas peur. Ce métier, elle l’a voulu si fort. Un BTS d’assistante de direction en maison de retraite, un bon salaire, et puis un jour, ce coup de main aux aides-soignantes à l’étage. L’évidence : « voilà ce que je veux faire. » Elle a tous connu, le bonheur, en soins palliatifs privés, où on accompagnait les malades mourants avec amour et dignité, jusqu’à « éparpiller des pétales de rose sur le lit d’une femme morte ». Et le cauchemar d’une clinique de chirurgie esthétique où des bourgeoises du Trocadéro pinçaient leurs lèvres refaites en critiquant le goût du thé.

Ici, depuis 7 ans, elle a trouvé sa place. On croit qu’une aide-soignante n’est là que pour vider les seaux et changer les couches. Elle le fait, lave les malades contaminés, les soutient quand ils toussent ou vomissent. Mais le Covid a tout changé. Elle qui aimerait les prendre dans ses bras, doit rester à distance, sur la défensive. La compassion peut être mortelle. Jeanne sait aussi prendre le pouls, la tension, surveiller le « scope », le rythme cardiaque et la fréquence respiratoire. Au moment crucial de l’intubation, elle assiste le médecin, sait ventiler ou pratiquer un massage cardiaque.

Surtout, habillage ou déshabillage, il faut se surveiller, soi et les autres. Vérifier que le jeune interne, pris dans l’action, a bien son masque FFP2 ou que ses cheveux ne dépassent pas. Douze heures d’affilée, jour et nuit, un week-end sur deux à la tache, bien plus depuis qu’il faut remplacer les collègues malades. Le tout pour 1600 euros net par mois.

Quand elle rentre chez elle, retrouver mari et enfants, tout câlin lui est interdit. Comment repousser le garçon de 7 ans en plein Œdipe qui vient vous embrasser au cœur de la nuit ? Ne pas contaminer les autres, ne pas tomber malade, surtout pour Jeanne, fumeuse, souffrant de tachycardie avec un cœur qui grimpe à 250 pulsations minute, allergique aux peluches, aux poils, aux fleurs. « On me dit : « tu vas y laisser ta carcasse… »

Certains collègues lui avouent même qu’ils abandonneront le métier après cette crise. Pas elle. « Apporter aux malades le réconfort qu’ils n’ont pas. Accompagner leur souffrance physique et morale. Être là. Pour rien au monde, je ne changerais de métier. »

(1) Les prénoms ont été modifiés.


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