Vu de l’hôpital: » Face à la pénurie de matériel et de moyens, un homme en colère(7)
Chronique de la bataille des hommes en blanc.
Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France
Pierre est en colère. Pas une saute d’humeur, non, une colère profonde, solide, ancienne. Médecin urgentiste, tête et carrure d’explorateur polaire, 59 ans dont trente-cinq dans ce même hôpital où il a débuté comme interne. Il a tout vu, ici, ou ailleurs en mission au Tchad quand il a ouvert la porte aux squelettes ambulants des prisons d’Hissène Habré. Un combattant, en première ligne du Samu, syndicaliste chevronné, politique rugueux – «le gouvernement a toujours un train de retard» – qui n’assène pas une thèse, mais des faits.
Les tests ? Matignon en promet 50 000 par jour fin avril, l’Allemagne en fait déjà 500 000 par semaine ! Il faudrait stopper net les activités non essentielles, mais Safran continue à fournir Airbus et Amazon livrait récemment des DVD à domicile.
Tout manque. D’abord, les lits en réa : «Ce matin, il en restait 20 en Ile-de-France. Il en faut 150 par jour !» Air Liquide fabriquait des bouteilles d’oxygène en Auvergne. L’entreprise a été rachetée par des Britanniques qui l’ont délocalisée en Pologne. Les masques ? Une société en produisait en Bretagne. Plus assez de commandes. Fermée en 2018. Le gouvernement en promet aux Ehpad : un par personne âgée, deux par soignant, total : 2 millions par jour… «et on nous parle de quelques centaines de milliers !»
L’heure est à la débrouille : «Ma femme est allée en voiture dans un labo du XIVe arrondissement pour en récupérer une petite centaine.» Il a fallu en extrême urgence rééquiper un hôpital avec des respirateurs artificiels qu’on venait de démonter par économie. A quoi bon les transferts en TGV, hélico, avions – spectaculaires certes mais trop gourmands en temps pour les équipes soignantes. Il faudrait, selon lui, réquisitionner d’urgence hommes et matériel, BTP compris.
«Le gouvernement promet mais sur le terrain, on patauge dans la réalité d’un « système dégradé »» quand il faut dire non à une soignante d’Ehpad et lui conseiller d’augmenter… l’oxygène et la morphine. Colère contre les politiques et leur guerre de cour d’école, c’est pas moi, c’est l’autre ! «Quand ils ont décidé de réduire le stock de masques sous Hollande, le ministre de l’Economie s’appelait Macron». Et en 2008, c’est bien Roselyne Bachelot qui a vendu aux soignants la nécessité d’une gestion à flux tendu.
Politique du tout ambulatoire, 100 000 lits effacés en vingt ans, zéro stock, aucune marge de manœuvre : «L’hôpita l n’est pas un hôtel où on ne pense qu’à rentabiliser toutes les chambres !» Résultat : à la moindre crise, grippe ou canicule, le système prend l’eau. La tourmente aujourd’hui ? «Une catastrophe annoncée». Soudain, l’homme de pierre vacille. Un ami proche, chef de service à Dourdan, est en réanimation, victime du Covid-19. Quelques jours plus tôt, il avait envoyé un mail : «On n’a pas de matériel de protection. Ils nous laissent crever.»
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