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Vu de l’hôpital: Sur son scanner, le vrai visage du Covid (8)

publié le 01/04/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blanc

Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


Il rayonne. Au sens propre comme au figuré, de photons, de rayons X et d’idées. L’univers du professeur Lucas (1) est un combat permanent de l’ombre contre la lumière, de l’opacité transparente des radios, des scanners et de l’imagerie médicale. Que vient faire le scanner dans une guerre biologique contre le virus ?

Sur toutes les antennes, les spécialistes martèlent le besoin du test PCR, acronyme barbare de Polymerase Chain Reaction. En pratique, un écouvillon au fond du nez, un réactif, quelques heures de labo et le résultat tombe. Il en faudrait des millions.

Testons ! Soit. Sauf que… le système embouteillé, manque de labos, de tests et de réactifs. Entre la prise d’échantillon et la communication du résultat, il peut se passer plusieurs jours pendant lesquels le contaminé est contagieux. Et le test ne dit pas le degré de gravité et depuis quand le malade est infecté.

Plus inquiétante, la méthode, imparfaite, compte 40 % de «faux négatifs». Celui qui a reçu son résultat «négatif» (par erreur) peut donc, rassuré, filer embrasser sa vieille mère…

Ici, dans le service du professeur Lucas, devenu une «usine à Covid», les soignants pratiquent chaque jour une bonne soixantaine d’examens au scanner. Leur cible n’est pas un résultat d’éprouvette, mais une image caractéristique dite «en verre dépoli». Celle des tissus à l’opacité augmentée, «coagulés» par inflammation des alvéoles, d’où la détresse respiratoire aiguë et l’asphyxie mortelle.

L’image scanner donne un résultat immédiat, Covid positif ou négatif, elle dit l’état du poumon, l’extension du mal et la date de début de l’infection. A plus de huit jours, l’alerte est maximum quand les vaisseaux sanguins ne sont même plus visibles. Résultat immédiat, antécédents, datation, sévérité… la méthode sonne comme un petit miracle. «Ce n’est pas un dépistage, mais un tri», avertit le professeur.

Parmi ceux qui respirent mal, le «Covid +» part à l’hôpital, le «Covid -» rentre chez lui. Confiné. Pas question d’en faire un outil de radiologie libérale, pour ne pas agglutiner des patients en salle d’attente. Reste que les scanners d’hôpital et des grosses cliniques privées tournent déjà à plein régime. Dans l’ombre évidemment. Il était temps. Le professeur n’en pouvait plus de cette «drôle de guerre» qui a précédé l’invasion.

Dans leurs tranchées, les radiologues étaient prêts mais impuissants, leurs armes à la main, sans voir l’ennemi, en sachant qu’il allait venir. La «courbe de Strasbourg», celle des contagions sur le front de l’est, le disait clairement, avec son long plateau trompeur avant l’escalade à la verticale. Et puis, le 19 mars, tout a explosé. D’ailleurs, depuis, tout a changé, notamment le regard des autres. Voilà cinq ans que le service demandait des travaux urgents, toujours «en cours». Jusqu’à la semaine dernière où un député a appelé le professeur avec une seule question: «De quoi avez-vous besoin… ? Je m’en occupe. Tout de suite.»


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