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 Asie• Chine

Tibet. Dans Lhassa interdite

publié le 25/09/2006 | par Jean-Paul Mari

Au coeur du Tibet éternel, de ses sommets, de ses temples, de ses prières et de ses mystères, la Chine poursuit un génocide culturel par la répression et la corruption. Sur le Toit du Monde, il y a maintenant un cachot et des bordels. Pourtant, l’âme de Lhassa refuse de mourir Le Tibet n’est pas […]


Au coeur du Tibet éternel, de ses sommets, de ses temples, de ses prières et de ses mystères, la Chine poursuit un génocide culturel par la répression et la corruption. Sur le Toit du Monde, il y a maintenant un cachot et des bordels. Pourtant, l’âme de Lhassa refuse de mourir

Le Tibet n’est pas un pays, c’est une planète. Un espace suspendu où l’homme avance en cherchant
son souffle, un lieu où l’air est rare, la vie
âpre, le soleil incendiaire et l’ombre glaciale.
Un univers où le regard ne peut se tourner que vers les
cieux ou à l’intérieur de soi. Pour arriver jusqu’ici, il faut d’abord
laisser loin derrière le vert tendre du Népal,
percer une énorme couche de nuages et s’élever
encore, plus haut que les plus hautes montagnes.
Maintenant, je vole, à 30 000 pieds du sol porté par le tapis magique
de la mousson qui efface le monde d’en bas. Et soudain
apparaît l’Everest. Tout proche mais
inaccessible, il crève le plafond et dresse une
main de glace éternelle, comme pour vous mettre
en garde :  » N’allez pas là-bas ! Ce pays n’est
pas fait pour les hommes ordinaires…  » Mais il
est déjà trop tard.  » Pont de l’infini / On y est
engagé « , a écrit Henri Michaux. Alors, tant pis
! On file plein nord, direction la Chine, et, en quelques secondes on bascule de
l’autre côté de l’Himalaya. Vers le Tibet.

Du coup, les nuages de la mousson ont disparu,
arrêtés net dans leur course par la formidable
barrière des sommets. Ne reste qu’un désert de
rocaille, jaune sable ou ocre rouge, parfois
ponctué de l’émeraude d’un lac de montagne ou
d’un fond de vallée brune où des humains
s’accrochent à la vie. Le vertige vous saisit à
suivre le tracé des pistes qui courent en
filigrane entre les sommets brûlés, masses de
roches en équilibre instable sur des pentes
abyssales. On ferme un instant les yeux et voici
Lhassa, capitale du Tibet, surmontée de l’immense
drapeau rouge de la Chine nouvelle. Une poigne
d’acier serre les tempes et la poitrine. A 4 000
mètres d’altitude, on respire, mal, un air pauvre
en oxygène que l’on avale goulûment, bouche
ouverte et coeur emballé. L’Everest avait raison
: ce pays n’est pas fait pour les hommes
ordinaires. Ici, tout est plus haut, plus loin,
plus fort, plus fou. D’ailleurs, les habitants
vous tirent la langue pour vous dire bonjour et
il fait nuit à midi dans le Jokhang, le temple le
plus sacré du Tibet.

L’entrée se perd dans la fumée odorante du
genévrier et de la sauge brûlée par fagots
entiers dans de grands fours-stupas. Déjà
asphyxié, nous voilà maintenant aveugle et
enivré, les mains tendues vers la lueur dorée des
centaines de lampes à beurre de yak, le pas
glissant sur un sol imprégné de graisse en
perpétuelle fusion, l’oreille à l’écoute d’un
étrange crissement, un frottement continu, léger
comme le bruit d’une rivière de montagne qui
court sur un lit de galets. Un pas de plus et on
bute sur un spectre debout, les deux mains
jointes sur la tête, puis sur la poitrine ;
l’ombre s’incline, se prosterne et se jette au
sol, jambes liées par une cordelette, bras
étendus, mains posées sur des patins de bambou
qui lissent la pierre nue du temple. Comme lui,
ils sont des centaines à avancer ainsi en priant
– prosternation, reptation -, chacun à son
rythme, parfois sur des centaines de kilomètres,
paysans en pèlerinage venus à plat ventre des
provinces de l’Amdo ou du Kham, entrelacs de
longues rivières de prières qui convergent vers
Lhassa, la ville sainte. Arrivés ici, ils
déambulent sur trois cercles. D’abord, à
l’intérieur du Jokhang, collés les uns aux
autres, tenant un moulin à prières dans une main,
un paquet de beurre d’offrande dans l’autre, une
écharpe blanche ou une broderie d’or fin qu’ils
déposent au pied de bouddhas extatiques ou de
démons grimaçants. Ce sont des nomades, des gens
simples, en habit de laine sombre et tachée,
visages cuivrés et pommettes cramoisies par l’air
vif des sommets, cheveux en paquets, en mèches
luisantes de crasse et de graisse, hommes durs
comme la pierre de lave, femmes effrontées aux
nattes piquées de turquoises, vieilles
ratatinées, gosses au nez morveux, mais, tous, le
regard brillant comme mille lampes à beurre, tous
dégoulinants d’une sueur sacrée. Dehors, autour
du temple, sur le chemin de ronde du Barkhor,
commence le deuxième cercle de déambulation. Là
s’arrête le Tibet de Lhassa. Le troisième cercle,
dans la ville, force les pèlerins à traverser la
nouvelle ville chinoise, ses avenues et ses feux
rouges, en faisant tourner leurs moulins à
prières, au milieu des gaz d’échappement d’un
monde qui ne leur appartient déjà plus. Une sorte
d’expropriation collective d’une ville, d’un
pays, de tout un peuple.

On marche vers le Potala, autrefois palais des
rois et des dalaï-lamas, masse blanche et ocre
resplendissante de glace sous le soleil d’hiver,
brûlé comme un pain d’épice dans la fournaise de
l’été tibétain, l’allure tendre, presque timide
au petit matin quand il émerge de la brume des
montagnes, pharaonique quand il domine les nuages
bleus qui envahissent la vallée, rassurant le
soir quand l’ombre de sa forteresse se fait
douce, complice et semble vous tendre la main
pour écarter les démons de la nuit, les
cauchemars d’altitude, la peur et le chagrin. Le
Potala est un monument changeant, mais toujours
serein, une ancre jetée du ciel plantée au coeur
de Lhassa. Autrefois, il dominait un grand
quartier tibétain et, sur la colline d’en face,
un hôpital de médecine tibétaine où on enseignait
le pouvoir des herbes, l’astrologie et les lignes
d’acupuncture. Aujourd’hui l’hôpital a été
détruit pour laisser la place à l’énorme antenne
métallique de la télévision chinoise.

Face au Potala, on a nivelé le terrain, effacé
l’étroit réseau de ruelles, de cours mystérieuses
et de jardins fleuris, on a rasé les maisons de
pierre, les escaliers de bois, les portes
auréolées de drapeaux de prière et mis la terre à
nu avant de poser une pierre grise, lisse,
réplique impeccable d’une mini-place de
Tiananmen. Quant aux habitants, ils ont été
relogés derrière le Potala dans un paquet serré
d’HLM qui a la grâce urbaine de la Chine du
Nord… De quoi se plaignent-ils ? De rien. Ils
n’ont en pas le droit.

Ailleurs, c’est-à-dire dans la quasi-totalité de
la capitale, se dresse l’orgueil moderne de la
Chine installé à grand renfort de bulldozers à la
vitesse d’un XXIe siècle en toc. Grandes avenues
à angles droits où klaxonnent bus, camions,
limousines, taxis et pousse-pousse coagulés dans
les embouteillages ; ronds-points flambants neufs
où on a érigé ici deux énormes yaks, là, un
colossal archer à cheval, monuments de fonte
bardés d’une épaisse couche de peinture dorée ;
paquets d’immeubles gris, garages dont le rideau
de fer s’ouvre sur un restaurant de soupe
pimentée, un magasin d’électroménager ou une
montagne de chaussures en plastique. On marche au
milieu d’une ville bazar importée droit du
Sichuan, à une semaine entière de bus que des
centaines de milliers de nouveaux colons endurent
sans broncher, fils de Han chassés par leur
misère et encouragés par l’Etat central, ne
sachant rien du Tibet et tout du profit, pour
venir se jeter, voraces, sur le nouvel eldorado
des neiges. Hôtels luxueux, restaurants, boîtes
de nuit tout illuminés d’enseignes au néon
écrites en mandarin ; banques aux murs de marbre
plantés de colonnes dorées ; avec en point
d’orgue, le building de China Telecom, un édifice
recouvert de carrelage blanc, agrémenté de vitres
ordinaires peintes en bleu fluo, somptueux
mélange d’argent, de mauvais goût et de
prétention… Lhassa la chinoise est riche et
elle aime à le montrer.

En 1951, cette terre était pourtant un monastère
où un homme sur quatre vivait dans une
lamasserie, un royaume céleste mais perdu où la
population de la capitale ne dépassait pas 35 000
âmes. En 1990, ils sont déjà près de 150 000
habitants, le supplément d’âme en moins.
Aujourd’hui, à peine neuf ans plus tard, Lhassa
compte plus de 200 000 personnes !

Au grand massacre à la pelleteuse – qui continue
– s’est ajoutée une menace d’extinction
démographique. Près des deux tiers de la
population de Lhassa sont des Chinois, qui
peuplent désormais 40% de l’ensemble de la région
autonome du Tibet. Entre-temps, en 1950, Mao met
fin à l’indépendance du pays en envahissant sa
partie orientale. Aussitôt, les nomades du Kham,
fiers et rebelles, se lancent à cheval… à
l’assaut de l’armée rouge. On imagine la suite.
Triste épopée. Un an plus tard, Pékin force une
délégation tibétaine à signer l’installation de
garnisons chinoises à Lhassa. C’est le début de
la fin. En 1959, à Lhassa, les Tibétains se
révoltent, l’armée rouge écrase tout dans le sang
et le dalaï-lama doit franchir l’Himalaya pour
trouver refuge en Inde. Que dit le monde ? Rien.
Ou si peu. En 1965, le Tibet est rebaptisé Région
autonome du Xizang. Passe ensuite la Révolution
culturelle qui dynamite les monastères, assassine
une partie des moines, torture ou  » rééduque  »
les autres. Quand en 1988, des moines, une pierre
à la main, osent crier  » Vive le Tibet libre ! « ,
Pékin décrète immédiatement la loi martiale et
ferme le pays aux étrangers. Que dit le monde ?
Rien. Ou presque. Puis le régime entrouvre le
Tibet, histoire de laisser entrer quelques
voyageurs et leurs dollars. Dans les hôtels de
Lhassa, une note en forme d’aveu rappelle qu’il
est  » interdit aux touristes de participer à
toute manifestation, de filmer ou de prendre des
photos  » sous peine d’être coupable d’atteinte à
la sécurité de l’Etat. Aujourd’hui le Tibet est
partagé en cinq morceaux et ladite Région
autonome du Tibet ne constitue qu’un tiers
environ du pays original, grand comme cinq fois
la France.

Pour en arriver là, le gouvernement en exil du
dalaï-lama estime qu’il a fallu, entre 1951 et
1983, la mort de 432 000 Tibétains lors
d’affrontements, 157 000 exécutions, 173 000
décès en prison, 343 000 morts de faim, 93 000
autres sous la torture et 9 000 religieux, nonnes
ou solides montagnards poussés au suicide… Plus
d’un million de morts ? Et le monde ne dit pas
grand-chose.

Pourtant, il suffit de marcher quelques heures
autour du Potala pour constater que le Tibet est
un pays colonisé et Lhassa une ville occupée.
Ici, Pékin impose tout, même son décalage horaire
; du coup, en été, il fait nuit noire jusque tard
le matin sur le Toit du Monde ! Alors on profite
de l’obscurité pour se glisser hors de la ville
vers un endroit tabou, niché à mi-pente, près
d’une ancienne université tibétaine du XVIIe
siècle construite sur un énorme monolithe.

Surtout ne pas s’arrêter avant d’avoir dépassé
l’endroit, toujours très surveillé, et d’avoir
atteint deux stupas blancs enfouis sous des
lianes de drapeaux de prière
blanc-bleu-rouge-vert-jaune. Au pied des stupas,
une pierre noire, large et plate : la  » pierre
des morts « . Au Tibet, on n’enterre que les
criminels et les ivrognes, loin de Lhassa dans
des endroits déserts ; les autres, les lépreux et
les grands malades sont brûlés, pour éviter toute
contamination ; les enfants en bas âge sont
emmaillotés à l’intérieur d’une poterie et remis
au torrent qui les emporte ; le corps des saints
sont conservés dans des stupas que les fidèles
viennent honorer. Mais la quasi-totalité des
Tibétains finissent là, sur cette  » pierre des
morts « . Au soir du décès, un homme, le  » Tobtan
« , vient voir la famille en deuil. Personne ne
lui touche jamais la main ou ne boit dans son
verre. Plus tard, il recevra les vêtements du
mort, ses ustensiles et son matelas. Le Tobtan
emporte la dépouille, la pose sur la pierre,
décapite et découpe le corps en morceaux, qu’il
étale avant les premières lueurs de l’aube.
Autour, perchés sur les crêtes, attendent les
vautours habitués à ces banquets funèbres. Bien
avant que le soleil passe la montagne, il ne
restera plus rien du défunt. Qu’importe
l’enveloppe de chair engloutie par ces oiseaux
voraces, l’âme est déjà ailleurs, prête à
investir le corps d’un bébé qui vient de naître.
Peut-être un futur lama.

De l’autre côté de la montagne, à quelques heures
d’ici, il a fallu de longues recherches et
quelques querelles pour parvenir à retrouver un
enfant, réincarnation d’un grand lama. Pour
rendre visite au saint vivant, il faut traverser
Lhassa en passant devant sept grandes casernes
truffées de soldats, croiser un convoi de vingt
camions camouflés tirant des pièces d’artillerie
lourde et passer trois barrages de police
militaire qui arrêtent les véhicules, fouillent
les camions et les bus : cette ville est une
véritable garnison. Ensuite, on suit le cours de
la rivière Tolung Chu et une piste épouvantable
où le 4×4 saute comme un bouchon sur des rochers
coupants, entre falaise et précipice. Parfois, on
roule dans le lit même du torrent entre les
parois verte, violette ou noire de la montagne
alentour, déchiquetée par la fonte glaciaire,
dentelle de roche posée à même le ciel de
l’Himalaya. Au bout du chemin, il y a une vallée
noyée de brume et des nuages de soie blanche qui
s’enroulent autour du sommet comme les écharpes
des fidèles autour du cou de Bouddha. En haut est
le temple de Tsurphu où vous attend un bol de
tsampa, farine d’orge grillée, agrémenté d’une
grande tasse de thé au beurre salé de yak. Et un
grand lama réincarné, adolescent de 15 ans au
sourire sage mais triste, devant lequel se
prosterne une foule venue de tout le Tibet. On
peut recevoir sa bénédiction, déposer une
offrande, mais pas s’attarder. Autour de lui,
deux moinillons-flics empêchent toute tentative.
Et pour dissiper toute équivoque, les autorités
ont installé au premier étage du monastère un
bureau chargé de surveiller l’orthodoxie des
activités du temple. On a beau être un grand lama
réincarné, on reste en résidence surveillée, sous
l’oeil de Pékin.

Pour entendre la voix du Tibet, il faut rouler
encore longtemps, se perdre dans des vallées sans
fin, passer des cols, et errer jusqu’à ce couvent
de nonnes posé à flanc de montagne comme un nid
de rebelles. A l’intérieur résonnent les chants
et les tambours de prière d’un âge oublié. Têtes
rasées, pieds sales et tuniques grenat, les
nonnes de la montagne s’accrochent à leur foi
comme des paysannes à leur terre. Encore quelques
tasses de thé au beurre salé et elles vous
entraînent plus haut au creux d’une cellule
monastique. Là, loin des oreilles indiscrètes,
elles parlent. La première dit qu’il y avait ici
plus de 100 religieuses et qu’il n’en reste pas
plus de 60, que les autorités les surveillent
depuis quatre ans, tolèrent la pratique de la
morale et de la discipline mais empêchent tout
enseignement théologique, et que des policiers
tibétains, collaborateurs soumis, viennent une
fois par mois interroger les nonnes une à une,
traquer les contradictions et leur arracher des
informations. La deuxième explique que les
enquêteurs les  » rééduquent  » en leur expliquant
que  » la Chine est la mère patrie du Tibet  » et
qu’ils repartent souvent en emmenant une de leurs
soeurs pour la jeter dans la terrible prison de
Drapchi à Lhassa. Un jour, une religieuse a osé
approcher la porte de la forteresse pour voir une
détenue. Sans succès. Un moine présent l’a
consolée, lui a demandé le nom de son amie, s’est
inquiété de la répression au monastère et lui a
enjoint de tenir bon… Elle a parlé beaucoup
avant de comprendre, trop tard, que le faux moine
travaillait pour les autorités chinoises.

La  » troisième nonne  » n’en est pas une, elle
n’en a plus le droit depuis ce jour de 1990 où
elle a osé s’avancer sur le Barkhor en chantant à
la gloire du dalaï-lama. Elle avait 13 ans à
peine, le même âge que sa meilleure amie, Nag
Wang Sang Dron qui, elle, n’a pas pu échapper à
la charge de la police. Verdict : trois ans de
prison pour avoir manifesté ; sept ans de plus
pour avoir refusé de renier le dalaï-lama et
encore huit années supplémentaires pour avoir
manifesté avec tous les autres détenus, en 1994,
à l’intérieur même de la prison. Dix-huit ans de
détention à purger à Drapchi où les
fonctionnaires de Pékin affament les détenus,
torturent les prisonniers à l’aiguillon à
bestiaux, violent les nonnes à la matraque
électrique. Aujourd’hui, Nag Wang Sang Dron a 21
ans, et ses parents qui ont pu la voir ont décrit
une femme émaciée, la peau jaunie, affaiblie et
blessée. Dehors, la  » troisième nonne  » vit
aujourd’hui clandestinement au monastère avec
l’aide de ses  » soeurs  » ; la nuit, elles
écoutent clandestinement la BBC pour avoir des
nouvelles du dalaï-lama et quand les policiers
grimpent vers son couvent, la jeune fugitive
emporte une couverture et un bol de tsampa et
court se réfugier encore plus haut dans les
montagnes, là où le vent d’hiver peut vous tuer
en une nuit. Surtout ne lui parlez pas de partir
pour l’Inde ! Elle secoue la tête en jurant
qu’elle ne quittera jamais son monastère.

On redescend la vallée vers Lhassa. Avec la nuit,
on bute sur une montagne de néons, au milieu
d’une île, juste à l’entrée de la ville. Ici,
était Jama Lingka, une île de verdure, longue de
3 kilomètres, entourée par une rivière où les
Tibétains venaient pique-niquer en famille. Le
terrain a été rasé et loti avec l’argent de la
mafia de Macao. Restaurants, bars, salons de thé
et de massage, karaokés… autant de noms pour
les mêmes endroits où la nourriture est chère et
les filles faciles. Il y a déjà un bon millier de
lupanars un peu glauques à Lhassa et 3 000 à 4
000 prostituées. Quand Jama Lingka s’ouvrira aux
clients dans quelques mois à peine, Pékin aura
réussi à faire d’une ville sainte le plus grand
bordel chic de la Chine nouvelle. On revoit cette
bagarre d’ivrognes un soir dans un bar-disco aux
portes du temple du Jokhang, ces nomades
tibétains agglutinés devant la porte d’un
café-vidéo donnant un film de kung-fu, les
maisons closes de l’île de Jama Lingka et, à
plusieurs heures de Lhassa, ces nonnes rebelles,
esseulées, accrochées à leur autel de montagne.
Entre la putain et le sacré, le combat est pour
le moins inégal.

JEAN-PAUL MARI

 » Histoire du Tibet « , par Laurent Deshayes,
Fayard, 1997. °  » Tibet mort ou vif « , par
Pierre-Antoine Donnet, Gallimard, réédition 1995.
°  » Tibet, le guide du pèlerin « , par Victor
Chan, Editions Olizane, 1994. °  » Le Feu sous la
neige « , par Pälden Gyatso, Actes Sud, 1997. °  »
Les Rebelles de l’Himalaya « , par Philippe
Broussard, Denoël, 1996. °  » Mon Pays et mon
peuple « , par le dalaï-lama, Editions Olizane,
Genève, 1998. Et  » Au loin la liberté « , par le
dalaï-lama, Fayard, 1990.

Nouvel Observateur – N°1814

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