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Liberia : Le prix d’une photo

publié le 24/08/2021 | par Jean-Paul Mari

Monrovia, Liberia. le photographe Patrick Robert suit les combattant à l’offensive pour prendre deux ponts-clés. Un temps d’arrêt. Un choc énorme. Il vient d’être touché par une balle de kalachnikov.


Patrick Robert, à Montrovia (Photos Noël Quidu)

Le Nouvel Observateur. – Comment avez-vous été blessé, en 2003, au Liberia?

Patrick Robert. – Ce jour-là, à Monrovia, des foules hystériques de bonheur brandissaient des palmes pour saluer l’annonce de l’arrivée d’une force d’interposition: une fausse rumeur. En réalité, les rebelles avaient décidé de relancer l’offensive. Avec Noël et Michael, deux autres photographes, nous nous sommes portés sur le front à 30 kilomètres de Monrovia. Deux ponts clés étaient au centre de la bataille. Je suivais un groupe de miliciens gouvernementaux, en tee-shirts, dont certains montaient à l’assaut sans armes. Avant le pont, j’ai eu un curieux pressentiment. J’ai dit: «On attend!» Ils ont avancé, j’ai suivi. Les miliciens tiraient de longues rafales. Par expérience, je sais qu’on est à l’abri, derrière un feu continu. Je me suis décalé brièvement pour faire une photo. Un coup d’oeil sur l’arrière, un temps d’arrêt de trop et un choc épouvantable m’a jeté au sol. Tout mon squelette a résonné. La force de percussion de la balle de kalachnikov a fait un trou de 1 centimètre à l’entrée et de 3 à la sortie. Les miliciens m’ont tiré vers l’arrière, certains en ont profité pour me faire les poches. La douleur était intense. J’ai crié à Noël de prendre soin de mes appareils.

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N. O. – Un rein et une partie de l’intestin enlevés, hémorragie interne et malaise cardiaque sur la table d’opération…

P. Robert. – Vivant. Une chance, non? J’ai vu pas mal de gens mourir en quelques minutes. Sur le moment, j’étais triste avec le sentiment d’un travail inachevé. Et je m’engueulais de ne pas avoir vu le coup arriver! J’ai toujours prévu et assumé le risque d’être blessé en reportage et de me débrouiller tout seul.

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N. O. – Vous êtes évacué en pleine guerre grâce à une opération
commando des forces spéciales françaises?

P. Robert. – Un avion Transall, une vingtaine de militaires, une ambulance, l’accord de Jacques Chirac, tous les copains et des diplomates qui s’affairent pour moi… Une sorte de marque de respect pour mon travail. Cela m’a beaucoup ému.

N. O. – Reste cette cicatrice sur le ventre. Qu’est-ce qu’elle va changer à votre métier?

P. Robert. – Rien. Mais j’ai 45 ans et, dans mon métier, c’est plus grave. Je n’aime pas esthétiser les images de guerre, je suis donc condamné à photographier l’action. Je retournerai au Liberia, s’il le faut. Comme après une chute de vélo, un accident du travail.

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N. O. – Que la Sécurité sociale ne veut pas vous rembourser!

P. Robert. – Ah! oui… Je suis un indépendant et j’ai été opéré à l’étranger, donc je n’atteins pas le «taux 50». Cela devrait me coûter quelques milliers d’euros non remboursés.

N. O. – Quelle image vous reste-t-il du Liberia?

P. Robert. – Celle de gens toujours désespérés. Les années passent, la guerre et la misère continuent. Rien ne change.

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N. O. – Cette année, Visa vous rend hommage.

P. Robert. – Perpignan est le seul endroit où l’on voit sur grand écran des reportages forts jamais publiés. J’ai hésité. Il n’y a pas de gloire particulière à se faire blesser. Je ne suis pas sûr d’avoir mérité leur invitation. Après tout, j’ai raté le dénouement de la crise au Liberia.

Jean-Paul Mari

 

Publié en 2006

Voir les photos de Patrick Robert sur la guerre au Libéria


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