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Vu de l’hôpital. Donner de la chloroquine : «Je le ferais pour ma mère»(9)

publié le 02/04/2020 | par Jean-Paul Mari

Chronique de la bataille des hommes en blanc
Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


En donner ou pas ? Le docteur Hassan (1) l’a décidé il y a dix jours. Il a 37 ans, la rigueur du spécialiste et la foi du réanimateur. Et voit dans la polémique plus un problème relevant du corps médical que du corps humain. D’abord, un constat : «La dernière étude chinoise dit que ce n’est pas un médicament miracle.» Seule la grande enquête Discovery pourra trancher… dans plusieurs semaines.

Aujourd’hui, on ne sait pas si le médicament est indispensable ou inutile. Une chose est sûre : l’hydroxychloroquine est toxique pour le cœur. Alors, pourquoi le réanimateur en donne-t-il ? «C’est un pari raisonnable.» Mais pas sur la foi du rapport sommaire écrit par le professeur Raoult : «Présenté par un étudiant pour sa thèse, il se ferait massacrer par le jury !»

Reste que Raoult est un homme brillant, bien que trop pressé, et que son rapport, consternant, ne signifie pas que le médicament ne marche pas. Il est efficace sur le Sras et, in vitro, sur le Sars-Cov-2 (notre Covid)… «mais notre estomac n’est pas une éprouvette». D’ailleurs, le professeur marseillais n’a pas découvert la molécule. «On sait les effets secondaires, les dépister, les anticiper… donc arrêter les frais quand il faut.»

En réanimation, l’équipe vit l’œil vissé sur le moniteur qui dessine en permanence l’élégante arabesque du mouvement cardiaque du malade intubé. Il y a une onde Q et une onde T, séparées par un espace précis. S’il augmente, alerte ! Le cœur est en souffrance. Et on arrête aussitôt.

La période la plus dangereuse se situe entre J + 7 et J + 10. En quelques heures, le patient qui semblait stabilisé est emporté par une détresse respiratoire aiguë. Ce n’est pas le virus qui le tue mais l’inflammation pulmonaire qu’il a causée : «On peut être devenu Covid négatif alors que l’inflammation se met à flamber», note le Dr Hassan. Alors, quand donner l’hydroxychloroquine qui n’agit que sur le virus, au risque d’aggraver l’état du patient ?

En donner, c’est son choix. «J’ai une mère. Et je ferais la même chose pour elle.» Elle a 76 ans, grand-mère tonique malgré un ancien cancer du sein et du diabète, ce qu’on appelle des «facteurs de comorbidité.» Ce type de patiente n’a plus droit au respirateur artificiel, réservé aux plus jeunes. Et pour elle ? «Elle n’en aurait pas. Et cela m’arracherait le cœur.» Et puis, à quoi bon lui infliger trois semaines de réanimation, nue, attachée, le corps percé de tubes, la fonte des muscles… «On l’oublie mais la réa est une véritable séance de torture.»

Pour les survivants, il faut dix jours de rééducation intensive pour chaque jour passé en réanimation. Réapprendre à marcher, se laver, manger. Il faut être fort pour survivre, et revivre. Parfois, le Dr Hassan imagine sa mère couchée devant lui, sous les regards de son père et des petits-enfants. «Décider moi-même que ma mère s’en aille… un cauchemar.»

(1) Le nom a été modifié.


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