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12/ Columbus, Nouveau-Mexique : Guerre sur la frontière.

publié le 18/06/2017 | par Jean-Paul Mari

Bill Johnson n’en peut plus ! Pourtant, c’est un homme solide. Cinquante-sept ans, les pieds ancrés dans sa terre de Columbus où son grand-père s’est installé en 1918. Le type même du sud-texan qui vous jauge d’abord, regard méfiant, mâchoire fermée, puis vous tend une main épaisse et vous ouvre sa maison comme à un vieil ami.

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Chez les Johnson, il y a deux frères, Bill et Joe ; et deux fils, Bill et James. La ferme est un royaume : 40 000 hectares de prairies pour 1400 têtes de bétail et 1500 hectares de cultures, oignons, piments rouges, melons, citrouilles et coton. Tout pousse dans le désert, à condition d’avoir une belle nappe phréatique. Sauf que sa ferme est posée le nez sur la frontière, sur trente km, désert contre désert, à bout touchant de Palomas, des narcos et des Coyotes, passeurs de clandestins…

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« Depuis trois ans, la vie ici est devenue intenable ! » gronde Bill. Le mur d’El Paso pousse les migrants à contourner la ville, droit sur sa ferme. Et ils passent sur ses terres au rythme de cinq à six cents chaque nuit ! « Les Coyotes cassent tout, les clôtures et les robinets des réservoirs d’eau. Ils marchent sur tout, les semis et les cultures. Des groupes de 30 à 50 clandestins abandonnent sacs poubelles, vêtements, bouteilles en plastiques…Chaque nuit !

Le bétail panique, fuit les points d’eau, s’échappe, les récoltes sont abîmées. Cette année, j’ai perdu 100 000 dollars ! » Au petit matin, Bill trouve parfois des groupes d’hommes et de femmes, nus et perdus, qui tournent en rond. . « À 40 km à l’intérieur du pays, on trouve des corps dans le désert. » Le Coyote les a fait déshabiller, pour voler l’argent cousu dans leurs fripes de paysans du Chiapas ou du Chihuahua puis ils les a poussés vers le Nord, en pleine nuit, dans le désert glacé. Bill connaît bien le chef du réseau : « il vit en face à Palomas… c’est un général à cinq étoiles ! »

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Les Coyotes n’aiment pas ceux qui gênent leur passage, ils sont dangereux, menacent, font pression. Il y a une dizaine d’années déjà, Bill s’est fait arrêter, arme au poing, et voler son pick-up par des narcos. Depuis, le trafic de drogue a baissé et celui des êtres humains a augmenté. Le mois dernier, son nouveau pick-up a disparu, il l’a revu, garé dans une rue de Palomas… devant le bureau d’un caïd local. Bill avait un beau chien, les Coyotes l’ont pris en otage et réclamé 350 dollars pour le libérer. Bill n’a pas cédé. Mais, en roulant le long de sa clôture, il a essuyé plusieurs coups de feu, comme un avertissement. Il a installé des fils de fer barbelés : « ils ont aussitôt été démontés, volés, le fil et les poteaux ! »

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Le gouvernement a construit une barrière poteaux anti-véhicules, un poids-lourd venu du Mexique l’a abattu pour ouvrir un passage. Bien sûr, il y a les policiers de la Border Patrol : « Ils arrêtent 10 % de ceux qui passent. Et la nuit suivante, les mêmes repassent la frontière, devant chez moi… » Les Coyotes ont des talkies-walkies, des jumelles infrarouges et une stratégie : quelques-uns uns font diversion sur un point de passage, attirent l’œil des caméras…et le gros des clandestins passe en masse du côté opposé ! Un jour, un officier l’a appelé pour lui montrer un film enregistré par les caméras de surveillance : « j’ai vu mes saisonniers qui chargeaient soigneusement cinq pick-up de chili vert…garés côté mexicain !

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Quand son fils, James, a surpris des voleurs en action, les autres l’ont défié du poing : « Tes oignons seront toujours là. On reviendra les chercher ! » Bill a 400 ouvriers, de mai à octobre, au moment de la récolte. Pour les protéger, il est allé au Mexique, louer pour l’été, les services d’un ex-commandant de l’armée : « Il a fait un travail formidable, l’arme au poing. L’année d’après, je suis allé le revoir…Je n’ai trouvé que sa veuve. Il avait été abattu, chez lui. »

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On a beau être du Texas, la résistance a ses limites. Bill a renoncé à porter une arme, « trop dangereux », il n’appelle plus la Border Patrol quand il voit passer les Coyotes et s’enferme chez lui à la nuit tombée. Il sait que la force n’est pas la solution : « Notre pays s’est bâti sur l’immigration. Pour en finir avec les clandestins et les Coyotes, il faut une loi pour donner des visas de travail aux ouvriers et saisonniers d’en face. » Parfois, notre Texan est saisi de découragement : « Moi, je veux que ça s’arrête ! Sinon… c’est ma terre. Celle de mon grand-père, de mon père et de mes fils. Mais si quelqu’un m’en donne un prix correct, je suis prêt à la vendre ! » le problème est que tout le pays sait la situation des ranchs sur la frontière. Et personne n’est prêt à payer pour venir vivre sur une terre en guerre permanente.

Dessin Yann Le Bechec
Photos Jean-Paul Mari et Yann Le Bechec.

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