Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

(3) USA . Lina Kahn,  la terreur des Gafam

publié le 24/10/2024 par Pierre Feydel

À la tête de la Federal Trade Commission, Lina Khan défend les consommateurs avec énergie et acquiert une incontournable popularité.

Elle est désormais une star de la vie publique aux États-Unis. La voilà, le 22 septembre, à l’émission culte « 60 Minutes » sur CBS, le plus connu des magazines d’information de la télévision américaine. Devant 8 millions de téléspectateurs, elle brandit un inhalateur contre l’asthme vendu des centaines de dollars aux États-Unis alors qu’il en vaut 10 en Europe. L’objectif : dénoncer la façon dont les fabricants continuent à exploiter des brevets obsolètes, empêchant ainsi la concurrence des génériques. Une claque pour l’industrie pharmaceutique. Certaines firmes s’empressent d’abaisser leurs prix. C’est ce genre d’intervention qui vaut à Lina Khan sa popularité.

Elle est née en Grande-Bretagne de parents immigrés pakistanais qui déménagent aux États-Unis. En 2017, elle obtient son diplôme de droit à l’université Yale, l’une des plus prestigieuses de l’Ivy League. Très vite, elle se fait remarquer grâce à un article dans la revue de droit de son université qui montre comment Amazon se joue des lois antitrust. Le New York Times lui ouvre ses colonnes en juin 2017. C’est le début ! Elle ne cessera plus de défendre le consommateur, de se battre pour des prix bas, et d’attaquer les ententes, arrangements et complicités entre grands groupes qui faussent la concurrence et nuisent au public.

La guerre est déclarée. En tant que directrice juridique de l’Open Markets Institute, rattaché à la fondation New America, elle s’en prend à la position dominante de Google. Le moteur de recherche exerce des pressions sur ce think-tank libéral, qui se sépare alors de son groupe de réflexion. En 2018, elle rejoint la Federal Trade Commission comme experte juridique. En septembre 2021, le président Biden la nomme à la tête de cet organisme. Elle a 32 ans. Une réussite éclair qu’elle doit certainement à sa pugnacité, mais aussi à la visibilité qu’elle donne soigneusement à ses actions en en expliquant les tenants et aboutissants.

Cette pédagogie fonctionne. En septembre, elle est invitée partout : au Council on Foreign Relations, un think-tank parrainé par 120 sociétés internationales, sur YouTube qui tente de la mettre en concurrence avec le ministre de la Justice pour savoir qui réussira à démanteler Google. Ceux qu’elle vise sont extrêmement puissants. Hier, c’étaient les quelques sociétés qui contrôlaient le marché de la volaille ou du bœuf dans toute l’Union et pressuraient des milliers de fermiers, ou Starbucks qui, systématiquement, éliminait les cafés indépendants… Aujourd’hui, dans son collimateur, il y a les Gafam, à savoir Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

En juin 2023, Alphabet, Apple, Microsoft et Amazon ont généré 1 544 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit presque le PIB du Brésil. En 2020 déjà, leur capitalisation boursière atteignait 7 500 milliards de dollars, soit 20 % des entreprises cotées aux États-Unis, et l’équivalent de la totalité de celles de la zone euro. Ces chiffres n’impressionnent pas Lina Khan. « Too big to touch » (trop gros pour être atteints) n’est pas sa devise. D’abord parce qu’elle a une stratégie. La commissaire de la Federal Trade Commission sait qu’en ce qui concerne le numérique, le prix n’est pas forcément le seul signe de dysfonctionnement d’un marché. Elle veut donc prendre en compte d’autres critères : le traitement des salariés, la sauvegarde des petits entrepreneurs ou encore les pratiques des distributeurs.

Aujourd’hui, 43 % des entreprises du S&P 500 (l’équivalent du CAC 40 américain) ont fait l’objet d’une enquête antitrust. La FTC a multiplié les actions contre Meta ou Microsoft à propos d’acquisitions. Mais son activisme ne lui vaut pas que des soutiens, même si, à gauche, Bernie Sanders, et à droite, le « ticket » de Trump, J.D. Vance, estiment qu’elle est utile et efficace. En tout cas, elle fait désormais de la politique lorsque l’administration Biden l’utilise pour expliquer sa lutte contre l’inflation et qu’elle va dans les swing states exposer son action. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle de novembre, elle n’est pas prête de disparaître de la scène. »


Tous droits réservés "grands-reporters.com"