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4/ Reynosa: Le goût sauvage de la frontière.

publié le 24/02/2017 | par Jean-Paul Mari

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Ici, à Reynosa, ville frontière mexicaine, personne ne veut y croire. Ni les clandestins qui piétinent en attendant la nuit au bord du Rio Grande, ni les hommes d’affaires qui se nourrissent de la frontière. « L’Amérique, regardez, elle est là. Il suffit de tendre le bras… » dit un commerçant dont les trois enfants vivent de l’autre côté. « Alors, comment parler d’un mur qui n’existe pas encore? » Est-ce une construction de l’esprit, une utopie américaine, un mensonge, le délire d’un pays paranoïaque ou bien une certitude, un grand chantier public voté et planifié, un projet politique, voire idéologique? Sans doute les deux à la fois.

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Quand on parle du « Mur » qui doit séparer le Mexique des États-Unis, on entend une double clôture métallique, renforcée de plaques de métal, de capteurs électroniques, de radars, de tours de guet et un chemin de ronde patrouillé par des policiers de la Border Patrol à pied, leur chien en laisse, en 4X4 ou en hélicoptère, comme il en existe déjà une version de 23 km entre San Diego et Tijuana. Un peu comme le mur de Berlin, qui a tenu trente ans avant de s’effondrer. Ou le mur en Israël qui enferme toute une population en Palestine. Sauf que l’un ou l’autre ressemblent à un aimable jeu de Lego comparé à celui prévu ici. Du Golfe du Mexique aux côtes californiennes du Pacifique, la frontière que nous remontons court sur 3139 km.

Marée humaine.

Sur une grande partie du trajet coule le fleuve du Rio Grande, frontière naturelle.
Le mur prévu sera composé de plusieurs tronçons qui, bout à bout, s’étaleront sur…1132 km. De quoi couper la France en deux, d’un grand coup de hache, de Lille à Marseille. Sur le papier, le projet paraît déjà fou. Il a pourtant été voté par la Chambre des Représentants, approuvé en janvier dernier par le Congrès en janvier dernier et le gouvernement a déjà débloqué 1,2 milliard de dollars pour le financer. Au nom de la sécurité de l’État, de la « guerre contre la terreur », du contrôle des frontières et de l’immigration sauvage.

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Ici, deux mondes s’entrechoquent, à peine séparés par un pont, un champ, un ranch: l’Amérique, puissante et prospère, 26% de la richesse mondiale, face au Mexique, pays du tiers-monde, 1,2 % du PNB et des salaires de misère. Le résultat est spectaculaire : du bout du Chiapas jusqu’aux bas-fonds de Reynosa, toute l’Amérique latine se rue chez son voisin du Nord. Avec des papiers en règle quand elle le peut ; clandestinement quand elle le doit.

Chaque année, quatre à cinq cent mille clandestins passent la frontière illégalement, en camion, à pied, à la nage. Le nombre de clandestins, – sept millions !-, a plus que doublé ces dernières années. A eux seuls, en 2006, les Mexicains installés ici ont envoyé 20 milliards de dollars à leurs familles, de quoi nourrir un village, une région, un pays. L’armée des 12 000 policiers de la Border Patrol, – 18 000 prévus fin 2007 -, a beau intercepter et renvoyer chez eux un million de clandestins, rien n’arrête la marée humaine des affamés venus du Sud.

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Du coup, qu’importe les 3 600 cadavres de migrants découverts depuis 1995 dans le désert ou les eaux sales du Rio Grande qui coule aux pieds de Reynosa! Et cette grande muraille que l’Amérique veut ériger pour couper un continent en deux ! Pour un coût de deux milliards de dollars promet l’administration Trump, en réalité, 8 et 30 milliards de dollars, répondent les experts, l’équivalent de sept mois de guerre en Irak. Oui, c’est cher. Mais il faut beaucoup, beaucoup d’argent pour faire la guerre aux pauvres d’ici.

Dessins de Yann Le Bechec
Photos de Jean-Paul Mari et Yann Le Bechec.
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